Publié le 11 mar 2022Lecture 5 min
Connectivites : conduite à tenir en cas de fibrose pulmonaire
Denise CARO, D’après la communication de V. Cottin (Lyon), CPLF 2022
Le traitement de la fibrose pulmonaire au cours des connectivites telles que la sclérodermie ou la polyarthrite rhumatoïde, évolue avec l’arrivée de nouvelles molécules et des algorithmes en cours d’élaboration.
Le premier objectif est de ne pas nuire. Dans ce contexte, la question d’un effet délétère du méthotrexate sur la fibrose pulmonaire se pose. Une étude récente qui s’est intéressée aux liens entre méthotrexate et détérioration de la fonction pulmonaire, est tout à fait rassurante : le méthotrexate pourrait même ralentir la dégradation de la fonction pulmonaire(1). Ainsi un patient avec une pneumopathie interstitielle n’a pas plus de risque qu’un autre de voir sa fonction pulmonaire se dégrader sous méthotrexate. En revanche, ce médicament peut être responsable d’une pneumopathie d’hypersensibilité, dont la survenue contre-indique définitivement son administration(2).
Le deuxième objectif est d’adapter au mieux la prise en charge thérapeutique à la physiopathologie de la maladie, en l’occurrence aux trois composantes des pneumopathies interstitielles associées aux connectivites qui sont la vasculopathie, l’inflammation associée à l’auto-immunité et la fibrose(3).
La majorité des travaux évaluant le traitement des pneumopathies interstitielles diffuses portent sur la sclérodermie ou sur les connectivites dans leur ensemble. On a besoin de davantage d’études pour affiner le traitement des pneumopathies interstitielles diffuses (PID) associé à chacune des connectivites.
Les traitements immunodépresseurs
Une étude (SLS I) déjà ancienne comparant le cyclophosphamide au placebo dans la sclérodermie a montré une amélioration modeste et transitoire de la fonction pulmonaire dans le groupe principe actif(4). Un travail plus récent n’a pas retrouvé de bénéfice en termes de mortalité(5). Enfin, l’étude SLS II a montré que le mycophénolate faisait à peu près aussi bien que le cyclophosphamide avec une meilleure tolérance (moins d’arrêts de traitement)(6). Si bien que le mycophénolate est généralement préféré au cyclophosphamide pour traiter les PID associées à la sclérodermie.
Des données nouvelles sur deux biothérapies — le tocilizumab (FocuSSed trial) et le rituximab (DESIRES trial) — ouvrent des perspectives. Un essai de phase 3 comparant le tocilizumab à un placebo chez des patients avec une sclérodermie active, des signes systémiques d’inflammation, une atteinte rhumatologique et un score de Rodman qui augmentait au fil du temps, a montré une stabilité de la fonction pulmonaire et de la capacité vitale dans le groupe traité et une détérioration très rapide dans le groupe témoin(7).
Un essai japonais, de plus petite taille, comparant le rituximab au placebo a retrouvé des résultats similaires : à 24 mois, stabilité de la fonction pulmonaire dans le groupe rituximab et détérioration dans le groupe placebo(8).
Les données sur les traitements immunosuppresseurs dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) sont moins riches. Des études rétrospectives semblent montrer que le rituximab inverse ou ralentit la détérioration observée avant la mise en route du traitement. Toutefois le niveau de preuve n’est pas suffisant pour qu’on puisse conclure(9).
Les traitements antifibrosants
On comprend mieux aujourd’hui comment se constitue la fibrose au cours des connectivites. Il semble que ce soit l’inflammation associée à l’auto-immunité qui déclenche le processus de fibrose ; une fois initié, celui-ci s’auto-aggrave pour son propre compte. À ce stade, la fibrose des connectives peut bénéficier comme les autres fibroses progressives de traitements antifibrosants(10).
L’essai SENCIS comparant le nintédanib au placebo dans la sclérodermie systémique a montré une moindre diminution de la capacité vitale chez les patients recevant le principe actif ; le bénéfice thérapeutique était observé tant chez les patients recevant du mycophénolate que ceux n’en recevant pas ; l’efficacité semble se maintenir dans le temps sans nouveaux effets secondaires(11).
L’essai INBUILD a évalué l’intérêt du nintédanib dans les fibroses pulmonaires progressives non FPI. Les auteurs ont observé une moindre dégradation de la capacité vitale (réduction de 57 %) chez les patients sous nintédanib comparé au groupe témoin(12). Une analyse spécifique portant sur le sous-groupe de patients avec une maladie auto-immune associée à une connectivite avec une fibrose pulmonaire, a confirmé l’efficacité du nintédanib dans cette population(13). Enfin, l’analyse des résultats selon le type de connectivites (sclérodermie, PR...) et selon des traitements associés (immunomodulateurs, corticoïdes, etc.) met en évidence une homogénéité de l’efficacité du nintédanib(14).
Un autre antifibrosant, la pirfénidone, utilisée dans la fibrose pulmonaire idiopathique, a été évalué dans les fibroses pulmonaires progressives (dont certaines étaient associées à une connectivite), avec une réduction de la détérioration de la capacité vitale par rapport au placebo(15).
Algorithmes et choix thérapeutiques
On ne dispose pas d’algorithme validé pour traiter la fibrose associée aux connectivites. Les Européens ont néanmoins fait des propositions pour la sclérodermie.
En pratique, un certain nombre de facteurs doivent être pris en compte dans le choix du traitement. Les questions à se poser sont :
y a-t-il ou non des manifestations thoraciques ?
Est-ce que la fibrose est étendue ou limitée ?
Est-elle stable ou évolutive ?
A-t- elle été précoce ou tardive par rapport au diagnostic de la sclérodermie ?
Il faut également décider si on se contente d’une surveillance ou si on met en route un traitement.
Dans cette éventualité, l’algorithme propose de choisir entre le mycophénolate, le cyclophosphamide ou le nintédanib (le seul à avoir une AMM dans cette indication). La progression de la maladie fait ensuite l’objet d’une surveillance prolongée. En cas de dégradation, le traitement est renforcé. Toutefois cet algorithme est incomplet car il n’intègre pas les données récentes concernant le tocilizumab et le rituximab(16).
De façon générale, dans les pneumopathies interstitielles on propose d’abord un traitement immunomodulateur (un immunosuppresseur plutôt que des corticoïdes à fortes doses dans la sclérodermie) et on réserve les antifibrosants aux formes progressives(10).
Il n’y a pas non plus d’algorithme validé dans la PR. Le Pr Cottin propose de procéder de la façon suivante : se contenter de surveiller les patients avec une forme non sévère non progressive ; traiter par immunosuppresseurs en 1re ligne les patients avec une forme modérée (parfois progressive) sans signe de pneumopathie interstitielle commune ; et mettre en place un traitement antifibrosant en cas de progression. Dans les formes sévères ou très progressives d’emblée, bien qu’on n’ait pas de données concernant les antifibrosants en 1re ligne, on peut être amené à en prescrire en cas de pneumopathie interstitielle commune.
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