Allergologie
Publié le 03 oct 2022Lecture 6 min
En l’absence de tests cutanés, la biologie permet-elle de faire le diagnostic de l’allergie aux venins d’hyménoptères ?
François LAVAUD, D’après une communication de X. Van der Brempt (Bouge, Belgique) CFA 2022
Pourquoi cette question ? Les tests cutanés ont toujours été la base du travail des allergologues, et notamment dans l’allergie aux venins d’hyménoptères (AVH). Cependant, les pénuries et ruptures d’approvisionnement ont amené à une économie des extraits allergéniques produits pour les tests. D’un autre côté, les augmentations de prix ont amené les pharmacies hospitalières à interpeler les praticiens sur l’utilité diagnostique des tests cutanés pour les venins. Est-il donc possible de se passer des tests cutanés, ce qui sous-entend une bonne sensibilité des autres moyens diagnostiques de routine (IgE spécifiques) ? Et quelle est la place des allergènes moléculaires pour le diagnostic et l’identification de l’insecte ? Existe-t-il aussi d’autres techniques diagnostiques ?
Apports de la littérature scientifique internationale
Consensus européen (Bilo, Allergy 2005)
Le diagnostic de l’AVH repose sur l’histoire clinique étayée par les tests cutanés en pricks (0,01 à 100 µg /ml) ou en IDR (0,02 ml de 0,001 à 1 µg /ml). La sensibilité est de plus de 90 %, un peu moins bonne pour les pricks. Le dosage des IgE spécifiques pour le venin est cité après les tests cutanés car la sensibilité est moins bonne, mais l’un ou l’autre de ces moyens diagnostiques peut être utilisé. Il existe des doubles positivités par effet des déterminants carbohydrates (CCD). Le taux des IgE spécifiques n’est pas corrélé à la sévérité de la réaction. Tests et IgE spécifiques sont des marqueurs de sensibilisation, pas d’allergie, et leur spécificité est mal connue. Le dosage des IgG spécifiques est un reflet de l’exposition et il n’est pas recommandé pour le diagnostic.
Consensus américain (Golden, AAAI 2017)
Si l’histoire clinique est évocatrice, la priorité revient aux tests cutanés avec une meilleure sensibilité et un coût moindre que le dosage des IgE spécifiques. Les prick-tests cutanés sont poussés « éventuellement » jusqu’à 100 µg/ml. Les IDR sont réalisées par l’injection de 0,02 à 0,03 ml pour obtenir une bulle de 3 à 4 mm à une concentration de 0,001 à 1 µg/ml. Si l’histoire clinique est évocatrice sans doute sur l’insecte et les tests cutanés positifs, l’indication d’une immunothérapie spécifique est posée. Si les tests sont négatifs ou douteux, ou en cas de positivités multiples, il est proposé de refaire les tests et/ou de réaliser un dosage d’IgE spécifiques. Les critères de positivité des IDR sont une papule de 3 à 5 mm, plus grande que le témoin négatif avec érythème, ou pour certains fabricants d’extraits allergéniques une papule de 5 à 10 mm avec érythème de plus de 11 à 12 mm. Le calcul du PI/PO n’est plus recommandé
L’apport des allergènes moléculaires est considéré comme peu convaincant et le test d’activation des basophiles n’aurait pas un intérêt diagnostique significatif, mais il est peu utilisé aux USA.
Différences pratiques entre Europe et USA
• En Europe, les extraits disponibles sont les venins d’abeille, de guêpes Vespula et Polistes avec en complément les frelons européens et asiatiques mais uniquement pour dosage d’IgE spécifiques. En pratique, on indique une immunothérapie (ITA) uniquement pour l’insecte en cause. Les allergènes moléculaires sont disponibles depuis des années et sont utilisés pour discriminer les sensibilités multiples.
• Aux USA, 5 insectes sont testés à chaque fois, abeille, yellow jacket (guêpe Vespula), paper wasp (guêpe Polistes), white faced hornet (frelon à tête blanche), yellow hornet (frelon à tête jaune) et éventuellement les fourmis Solenopsis (fire ant). En pratique, l’ITA est indiquée pour tous les insectes à test cutané positif. Les allergènes moléculaires ne sont disponibles que depuis peu.
Pratique des allergologues
Enquête auprès des allergologues du groupe insectes piqueurs de la SFA
Il s’agissait d’une enquête rapide de type Survey Monkey réalisée en avril 2022. Les répondants étaient au nombre de 25, pour le diagnostic d’AVH, 35 % réalisaient en premier lieu des tests cutanés, 11 % des dosages d’IgE spécifiques et plus de 50 % les 2 examens systématiquement. À la question : « Dans mon expérience j’estime que l’identification de l’insecte en cause est difficile », pour 72 % d’entre eux répondaient que ceci se produisait dans 0 à 20 % des situations, dans 20 à 50 % des cas pour 15 % des répondants et dans plus de 50 % des cas pour 12 %.
À la question « Si je n’avais à ma disposition que les dosages d’IgE spécifiques (venins entiers et allergènes moléculaires) pour l’identification de l’insecte en cause », 15 % estiment que leur pratique serait fortement modifiée, 43 % qu’elle ne changerait pas ou peu, 15 % qu’ils auraient des difficultés pour le diagnostic et 20 % qu’ils devraient faire plus souvent des doubles ITA.
Dans leur pratique, les tests cutanés sont plus performants que les dosages d’IgE spécifiques pour 29 % des répondants, moins performants pour 2 % et complémentaires pour 62 %.
L’utilisation des allergènes moléculaires est effectuée « parfois » pour 34 % des allergologues, « souvent » pour 23 % et « toujours » pour 41 %.
Expérience de l’allergopôle de la clinique Saint-Luc (Bouge, Belgique)
Dans une étude menée entre 2017 et 2020 sur 117 patients, les prick-tests même menés jusqu’à 300 µg /ml sont peu sensibles et ne peuvent être recommandés pour un diagnostic d’AVH fiable. Les IDR ont une sensibilité de 90 % pour l ’abeille et de 98 % pour la guêpe Vespula.
Les extraits préparés pour IDR à une dilution de 0,1 µg /ml ont une stabilité pouvant atteindre 12 à 18 mois, ce qui peut permettre de les économiser plutôt que de les utiliser extemporanément.
Dans une étude rétrospective menée entre 2017 et 2021 sur 110 patients, la comparaison entre histoire clinique, résultat des tests cutanés et dosage des IgE spécifiques montre une concordance entre tests et IgE dans 101 cas sur 110 (92 %) et des résultats discordants dans 9 fois sur 110 (8 %). Le dosage des allergènes moléculaires est peu utile pour distinguer les sensibilisations abeille/guêpe Vespula.
Concordance tests cutanés-IgE spécifiques
L’étude de Park et coll. (JACIP 2022) sur 70 cas d’anaphylaxie au venin vs 51 contrôles conclut que le dosage des IgE spécifiques est plus sensible que les tests cutanés mais avec des biais sur des histoires cliniques d’anaphylaxie anciennes, une technique d’IDR pas claire et non expliquée et un seuil de positivité du dosage d’IgE non mentionné.
L’éditorial de Tracy dans la même revue pondère l’étude précédente et conclut que « les tests cutanés restent le standard diagnostique initial, mais tests cutanés et IgE spécifiques sont complémentaires et doivent rester dans les mains d’allergologues expérimentés».
Quels autres tests ?
Le CAP-inhibition
Lorsque la distinction entre guêpe Vespula et guêpe Polistes n’a pu être faite par le patient, le CAP-inhibition permettrait de limiter les doubles ITA et dans une étude italienne de 2018 cet examen permet de faire passer les doubles ITA de 65 % à 25 %. Cependant cet examen est cher, non standardisé et peu répandu.
Le test d’activation des basophiles (TAB)
À l’heure actuelle, le TAB n’a pas d’utilité démontrée par rapport aux autre moyens diagnostiques dans l’AVH. Cependant il peut apporter des précisions lorsque les autres exa mens sont restés négatifs. Mais là aussi la technique n’est pas standardisée, avec une technique complexe et coûteuse nécessitant une équipe bien entraînée.
CONCLUSION
• Tant qu’il sera possible de réaliser des tests cutanés par voie IDR il n’y a pas de nécessité de changer les pratiques sauf en ce qui concerne la conservation des extraits de venin qui pourrait être revue à la hausse. L’IDR aux venins garde sa priorité.
• Le dosage des IgE spécifiques n’est pas toujours indispensable mais souvent utile, IDR et dosage des IgE spécifiques ont des performances à peu près identiques et sont complémentaires.
• Si on demande un dosage d’IgE spécifiques il doit s’orienter vers les 2 ou 3 venins entiers de la région d’exercice en première intention.
• Le dosage d’IgE pour des allergènes moléculaires ne peut intervenir qu’en dernière intention dans des cas très particuliers mais il faut bien les connaître pour interpréter correctement les résultats.
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