Publié le 03 oct 2022Lecture 9 min
Impact de la pollution atmosphérique d’origine automobile sur la morbidité respiratoire allergique au cours de l’enfance : leçons de la cohorte PARIS
François LAVAUD, D’après la communication de I. Momas (INSERM U 1153, Paris) CFA 2022
Les transports et le trafic routier contribuent largement à la pollution atmosphérique et les émissions sont en augmentation dans les métropoles, en parallèle avec une augmentation de la population urbaine.
Maladies allergiques et exposition au trafic
Il existe des interrogations sur le rôle de la pollution atmosphérique d’origine automobile (PAA) dans la survenue de maladies allergiques. En effet, les résultats des études épidémiologiques sont hétérogènes en raison de différences méthodologiques. Ceci peut concerner la prise en compte des variables sanitaires (les sifflements sont sur-considérés par rapport aux autres symptômes), ou les populations étudiées avec présence de sous-groupes plus vulnérables et de polymorphismes génétiques, ou encore les modalités d’exposition à la PAA (lieux comme école ou domicile, outils, fenêtres d’exposition comme vie entière ou période donnée).
De nombreux polluants traceurs sont étudiés, NO2, NOx, PM2,5, ozone, et on tient compte soit de la distance par rapport à un axe routier, soit de la densité du trafic. Les mesures des polluants se font par station fixe ce qui peut être peu représentatif, avec une étude des résultats par modélisation statistique LUR en prenant en compte un modèle de dispersion physico-chimique, facteurs d’extrapolation par rapport à la vraie vie.
Dans ce contexte d’incertitudes, la mise en place de la cohorte de naissances PARIS a concerné 3 840 nouveau-nés franciliens recrutés en 2003-2006 avec pour objectif l’étude des symptômes et des maladies respiratoires et allergiques chez l’enfant et leur relation avec l’évolution du mode et du cadre de vie. Cette étude reposait sur un partenariat entre la ville de Paris, l’université RenéDescartes, l’APHP et la CPAM.
Méthodologie de l'étude sur la cohorte Paris
Population concernée
Le groupe d’étude était de 3 840 nouveau-nés sains, inclus à terme à la naissance dans 5 maternités parisiennes et venant de la population générale. La morbidité a été suivie de la naissance jusqu’à l’âge de 15/16 ans. À l’inclusion en maternité étaient pris en compte les conditions de grossesse et de naissance, le type de famille et le rang dans la fratrie, un questionnaire téléphonique relevait le descriptif complet du cadre de vie puis jusqu’à l’âge de 15/16 ans des auto-questionnaires sanitaires prenaient en compte les symptômes selon les questions standardisées ISAAC, les infections et les diagnostics posés par un médecin. Un autoquestionnaire environnemental y était associé pour évaluer des données sur le logement, l’allaitement, l’alimentation, le mode de garde, les activités physiques et les événements familiaux (décès, séparation, chômage, etc.). Une visite médicale et une étude biologique étaient effectuées à 18 mois, 8/9 ans et entre 13 et 15/16 ans. Ces visites permettaient la constitution de biothèques et un bilan appréciant les performances respiratoires par EFR et mesure du NO exhalé ainsi que les sensibilisations allergéniques par tests cutanés et IgE spécifiques associées à une mesure de l’éosinophilie.
Exposition chronique à la PAA
Elle était mesurée par l’indice d’exposition ExTra, validé pour les oxydes d’azote NOx (NO + NO2 ) qui sont de bons traceurs du trafic routier alors que les particules reflètent la pollution résidentielle selon Airparif. L’indice ExTra représente le niveau d’exposition moyen (µg/m3 équivalent NO2) en façade, calculé en cumulant le niveau de pollution de fond mesuré par Airparif avec le niveau de pollution locale selon un modèle de dispersion type OSPM (Operational Street Pollution Model) intégrant le trafic local, la topographie et les conditions météorologiques. Ces données étaient cumulées avec l’exposition au domicile, à l’école et sur le lieu de garde et pondérées par un budget espace-temps. Les mesures concernaient l’exposition précoce pendant la première année de vie, les expositions annuelle et actuelle et pour la vie entière. L’exposition prénatale était appréciée par l’exposition quotidienne aux NOx mesurée par la station fixe la plus proche du domicile pondérée par l’inverse de la distance.
Analyse statistique
L’incidence de la morbidité respiratoire et allergique selon une exposition à la PAA prénatale, précoce et cumulée a été évaluée par régression de Cox avec hazards ratios ajustés (HRa), la prévalence annuelle prénatale, précoce et annuelle a fait l’objet d’une étude par modèle GEE et odds ratios ajustés (ORa) et la prévalence prénatale, précoce et cumulée à une date de point a été mesurée par régression logistique et ORa. La PAA prénatale, précoce, cumulée et actuelle a été corrélée à la fonction respiratoire par régression linéaire et coefficientsβajustés (βa).
Les variables renseignées aux différentes dates de point par les parents étaient le sexe, les antécédents médicaux des parents, les facteurs socio-démographiques et psycho-sociaux, le cadre de vie (logement, humidité), le mode de vie (allaitement, tabac, animaux domestiques, mode de garde). Ces variables permettaient un ajustement des résultats. Une modification d’effet était définie par la présence d’antécédents parentaux d’allergie, des événements familiaux stressants, et des infections des voies respiratoires basses.
Résultats
Participation
D’un total de 3 840 enfants à l’inclusion, les participants au bilan clinico-biologique étaient 2 012 à l’âge de 18 mois et 1 080 à l’âge de 13 ans, l’étude se poursuivant encore actuellement. Les abandons étaient liés à un déménagement hors d’Ile-de-France (795 enfants), des perdus de vue (184), un refus de continuer (116), un problème de santé ou un décès (16), une absence de réponse (398). Les facteurs associés à la non-participation étaient des PCS (profession et catégorie socioprofessionnelle) faibles, un bas niveau d’études de la mère, son jeune âge, un tabagisme actif ou passif pendant la grossesse. N’étaient pas associés à la non-participation les antécédents familiaux d’allergie, la zone de résidence et le sexe.
Démographie
La cohorte PARIS comporte 51 % de garçons et 49 % de filles, dans 57 % des cas il s’agissait du premier enfant, 2/3 ont eu une petite sœur ou un petit frère au cours des 8 ans. À la naissance, 93 % vivaient en appartement, 63 % à Paris et 37 % en petite couronne, actuellement 46 % vivent à Paris, 44 % en petite couronne et 10 % en grande couronne.
Morbidité ressentie entre 0 et 13 ans
La prévalence cumulée des sifflements jusqu’à 8/9 ans est de 36 % dont 12 % sont persistants. La prévalence cumulée des symptômes évocateurs de dermatite atopique jusqu’à 8/9 ans est de 41 %. La prévalence cumulée des symptômes évocateurs de rhinite jusqu’à 8/9 ans est de 51 % dont 12 % sont persistants. La prévalence cumulée de symptômes de rhino-conjonctivite jusqu’à 8/9 ans est de 19 % avec 2 % de formes persistantes.
Morbidité ressentie entre 0 et 8/9 ans
À l’âge de 3 ans l’asthme est diagnostiqué chez 9,2 % des enfants, l’eczéma chez 23,5 % des enfants à l’âge de 2,1 ans et le rhume des foins chez 5,7 % des enfants à l’âge de 5,3 ans. Les comorbidités sont fréquentes, observées chez 6,2 % des enfants.
Sensibilisation allergénique
À 18 mois, 13,6 % sont sensibilisés, 2,3 % pour les pneumallergènes et 12,3 % pour les trophallergènes. À 8/9 ans la sensibilisation atteint 34,5 % de la cohorte avec 19,7 % de polysensibilisation. Les pneumallergènes perannuels concernent 25 % des enfants, les pollens 16,2 % et les trophallergènes 15,5 %.
Fonction respiratoire et NO exhalé
Évaluées à l’âge de 8/9 ans, les EFR objectivent une diminution de 15 % du VEMS attendu chez 4,9 % de la population, chez 7,6 % pour une diminution du rapport VEMS/CVF, chez 9,1 % pour un DEM 25-75 abaissé alors que 18,5 % des enfants ont un NO exhalé augmenté.
Exposition chronique à la PAA entre 0 et 8/9 ans
L’ExTra à l’âge de 1 an montre une exposition moyenne au NO2 à 81 avec des extrêmes de 42 à 246. À l’âge de 8 ans, l’ExTra moyen est à 59, avec des extrêmes de 32 à 109. La différence ExTra 8 ans moins ExTra 1 an (µg/m3 équivalent NO2) est de 20,7 ± 15,9, résultat significatif, p < 0,001 que ce soit pour toute la cohorte ou les habitats à Paris ou en banlieue.
Association entre exposition chronique à la PAA et morbidité respiratoire et allergique
Il existe une association positive entre l’exposition postnatale à la PAA, précoce ou cumulée, et les pathologies respiratoires et allergiques rapportées entre 0 et 8/9 ans. Mais tous les enfants ne semblent pas égaux avec des facteurs de vulnérabilité (modification d’effet) qui sont la survenue précoce d’infections respiratoires basses, des antécédents parentaux d’allergie et surtout d’asthme et la survenue d’événements familiaux « stressants ». L’association exposition à la PAA et diagnostic d’asthme médical est significative pour une exposition précoce ou cumulée (1,21 et 1,19 respectivement) alors que ce lien n’apparaît pas pour la dermatite atopique et le rhume des foins.
Si on considère l’exposition annuelle, on retrouve aussi une association significative pour l’existence de sifflements (ORa 1,15) mais aussi pour la rhinite (ORa 1,09) et la rhino-conjonctivite (ORa 1,16). En revanche, cette association n’apparaît pas pour l’eczéma. Aucune relation n’est objectivée entre l’exposition à la PAA pendant la grossesse et la morbidité respiratoire et allergique de l’enfant.
L’association PAA et fonction respiratoire ne montre pas de diminution significative du VEMS, du rapport de Tiffeneau VEMS/CVF et du DEM 25-75, sauf si on prend en compte l’existence d’infections des voies respiratoires basses. Dans ce cas s’il y a eu au moins 2 infections respiratoires basses précoces le VEMS, la CV et le DEM 25-75 sont significativement diminués à l’âge de 8/9 ans (βajusté).
Forces et limites de l'étude
Forces
Il s’agit du suivi prospectif d’une cohorte de naissances. Elle comporte des autoquestionnaires standardisés et répétés à intervalles rapprochés. Ils sont complétés par des mesures objectives (sensibilisation, fonction respiratoire, NO exhalé). L’exposition postnatale à la PAA est finement évaluée par un modèle validé.
Limites
Le taux d’attrition est relativement bas. Les symptômes sont déclaratifs, soit par le fait des parents soit par les enfants à partir de 13 ans. L’exposition prénatale n’est pas modélisée.
Principaux apports
Les associations entre l’exposition à la PAA à différentes fenêtres et les pathologies respiratoires et allergiques ne sont pas significatives pour la dermatite atopique en exposition prénatale, précoce, annuelle ou cumulée. Pour la rhinite, seule l’association à une prévalence annuelle est significative avec exacerbation des symptômes de rhinite par la PAA.
Pour l’asthme, les résultats sont plus significatifs avec augmentation de l’incidence de la prévalence annuelle, de la prévalence à une date point en cas d’exposition précoce à la PAA. En revanche, la fonction respiratoire n’est pas affectée. Cette période de la petite enfance est critique avec développement du système respiratoire et du système immunitaire, la PAA créant des lésions des voies aériennes avec rôle de la PAA sur l’inflammation via le stress oxydatif et création d’hyperréactivité bronchique.
Cette étude montre également que tous les enfants ne sont pas égaux devant la PAA et celle-ci se surajoute à un facteur de vulnérabilité qui est représenté par la survenue d’infections respiratoires basses à répétition qui ont un effet modificateur sur l’incidence de l’asthme, la prévalence annuelle des sifflements, la prévalence de l’asthme à l’âge de 13 ans et l’altération de la fonction respiratoire.
Autres facteurs de vulnérabilité, les antécédents d’allergie et la sensibilisation allergénique ont également un effet modificateur sur l’augmentation de l’incidence de l’asthme, l’augmentation de sa prévalence et la persistance de symptômes entre 4 et 13 ans ainsi que la dégradation de la fonction respiratoire.
Les événements stressants ont aussi un effet modificateur affectant l’augmentation de la prévalence de l’asthme et la persistance de symptômes entre 4 et 13 ans.
CONCLUSION
Il faut noter des remarques positives, et l’exposition à la PAA au cours de l’enfance est en nette diminution grâce à des politiques publiques de transport, couloirs de bus protégés, bus en flottes captives (diesel avec filtres à particules, GPL, véhicules électriques), tramway, Vélib’, Autolib’, covoiturage… et par la réglementation des émissions (normes Euro).
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