Allergologie
Publié le 31 oct 2023Lecture 6 min
Guy DUTAU, pédiatre-pneumologue-allergologue, Toulouse
Les moisissures atmosphériques et domestiques sont très nombreuses. Nous devons aux mycologistes une meilleure connaissance de ces champignons microscopiques parmi lesquels Aspergillus, Alternaria et Cladosporium sont les mieux connus(1). De janvier à octobre, les moisissures atmosphériques, en particulier Alternaria et Cladosporium, sont comptées avec les grains de pollen par le Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA). Le RNSA, association loi 1901, créée en 1996, a pour objectif principal d’étudier le contenu de l’air en particules biologiques, pollens et moisissures. Il donne ainsi des informations préventives à la population des individus allergiques, ce qui leur permet de prévoir leur risque individuel, dans une région donnée. En même temps, il peut corréler les données recueillies avec les symptômes cliniquesa.
CLASSIFICATIONS
Les moisissures sont subdivisées selon leur morphologie, leur habitat, leur métabolisme, leur mode de reproduction et leur cycle de vie(1).
Les 5 subdivisions décrites sont les suivantes :
– chytridiomycètes (Chytidiomyceta) ou chytrides, vaste groupe de champignons saprophytes ou parasites, majoritairement aquatiquesb ;
– zygomycètes (Zygomycota), taxon aujourd’hui abandonnéc ;
– ascomycètes (Ascomycota), vaste division de champignons supérieurs, à mycélium cloisonné (environ 65 000 espèces recensées en 2016)d ;
– basidiomycètes (Basidiomycota), vaste embranchement qui regroupe la plupart des espèces désignées couramment par le terme de champignon, caractérisées par des spores formées à l’extrémité de cellules spécialisées, les basidese ;
– deutéromycètes (Fungi imperfecti, ou champignons imparfaits) : champignons à hyphesf septés, se multipliant de façon non sexuée, constituant un groupe polyphylétique (assemblage d’organismes excluant leur ancêtre commun le plus récent)g. Ce groupe comporte Fusarium et Aspergillus.
Le nombre des espèces constitutif ces 5 subdivisions va de 792 (chitrides) à 56 360 espèces (Fungi imperfecti) en passant par 32 267 (ascomycètes), 22 244 (Basidiomycètes), 867 pour les zygomycètes, et 185 pour les entomophthoralesh (zygomycètes à mycélium non cloisonné).
Cette énumération, même schématique, illustre la grande complexité d’une classification encore susceptible d’évoluer (voir le lexique ci-dessous). Il existe également une distinction entre les moisissures de l’intérieur et de l’extérieur des maisons, mais les moisissures impliquées sont pratiquement les mêmes dans les deux cas.
En pratique, pour l’allergologue, la plupart des moisissures allergisantes appartiennent aux deutéromycètes (Fungi imperfecti) qui comportent un grand nombre de genres. Les zygomycètes sont représentés par les genres Mucor et Rhizopus, les basidiomycètes par Ustilago tritici(1).
Naguère, lorsque l’allergologue effectuait des tests cutanés aux moisissures, il utilisait le plus souvent des mélanges comportant chacun 4 moisissures. Pour mémoire, ces groupes, identifiés de I à VI, étaient les suivants :
– groupe I (Alternaria, Aspergillus, Cladosporium, Penicillium) ;
– groupe II (Botrytis, Mucor, Rhizopus, Stemphyllium) ;
– groupe III (Chaetonium, Fusarium, Neurospora, Pullularia) ;
– groupe IV (Epicoccum, Helmin-thosporium, Merulius, Trichothecium) ;
– groupe V (levure de bière et de boulangerie, Saccharomyces cerevisiae) ;
– groupe VI (charbons céréaliers, Ustilago avenae [avoine], Ustilago tritici [blé], Ustilago holnci [houque], Ustilago zeae [maïs]).
Les figures 1 à 6 montrent quelques exemples de ce que l’analyse des comptages de l’air peut révéler.
Figure 1. Spores d’Ustilago tritici, champignon basidiomycète (ustilaginacées) responsable de la maladie du charbon du blé (collection RNSA).
Figure 2. Maladie du charbon du blé (Ustilago tritici et nuda).
Figure 3. Spores de myxomycètes, organismes saprophytes sur les débris des feuilles ou des bois pourris (collection RNSA).
Figure 4. Spores de Tillietiopsis, exobasidiomycète parasite des plantes à fleurs, dont les Tilletiale (collection RNSA). Tillietiopsis minor n’a été impliqué que deux fois en pathologie humaine, sous la forme de kératite.
Figure 5. Spore de Didymella Spp., genre de champignons cosmopolites appartenant à la famille des didymellacées. Didymella exitialis, responsable de taches foliaires du blé, a été impliqué à tort dans l’asthme associé aux orages (Thunderstorm Associated Asthma).
Figure 6. Spore d’Alternaria : aspect caractéristique « en massue » (collection RNSA).
SYMPTÔMES ET DIAGNOSTIC
Les symptômes des allergies aux moisissures répondent à la classification dite de l’ombrelle(4)i. Ils relèvent le plus souvent d’une « hypersensibilité allergique IgE-dépendante » (type 1 de la classification de Gell et Coombs) ou d’une « hypersensibilité non IgE-dépendante » (par exemple IgG-dépendante comme pour l’alvéolite allergique extrinsèque).
Il existe aussi une « hypersensibilité non allergique » où, par définition, tout mécanisme allergique est exclu : un bon exemple est le syndrome toxique lié aux moisissures par libération de mycotoxinesj.
Les symptômes IgE-dépendants de l’allergie aux moisissures sont bien connus : conjonctivite, rhinite, rhinosinusite, bronchite, asthme, urticaire, et même anaphylaxie. La dermatite atopique est possible (voir ci-dessous).
Il faut penser à une allergie IgE-dépendante aux moisissures si l’habitat est humide (tapisseries décollées, traces de moisissures grises ou noires sur les murs)k , si l’habitation est située dans un micro-environnement humide (bois, proximité d’un lac ou de cours d’eau, fond de vallon, etc.), si les symptômes surviennent dans des circonstances d’exposition particulières (promenades en forêt)(5) et/ou coïncident avec la présence de spores dans l’atmosphère(6). On peut également trouver des moisissures sur les joints (cuisine, salle de bains, châssis, etc.), sur les rideaux de douche, et d’une manière générale dans tous les endroits présentant un taux d’humidité élevé.
Certaines professions sont exposées (fabrication de saucisses), champignonnistes, travailleurs du tabac, vignerons, horticulteurs, etc.(7,8).
À notre connaissance, la souche Tillietiopsis minor n’a été impliquée que deux fois en pathologie humaine, sous la forme de kératite, en particulier après une séance de laser chez un diabétique non insulinodépendant qui développa ensuite un abcès oculaire fungique([9], figure 4).
L’interrogatoire est capital pour orienter le diagnostic qui doit être confirmé par les prick-tests (PT) (figure 7), le dosage unitaire des IgE sériques spécifiques (IgEs), les prélèvements aéromycologiques de l’environnement qui peuvent représenter une aide pour le diagnostic allergologique, en particulier pour Alternaria, Cladosporium ou Aspergillus.
Figure 7. Le prick-test au mélange II ayant été positif, les 4 moisissures constitutives de ce groupe ont été testées de façon séparée : Cladosporium herbarum (C), Aspergillus fumigatus (As), Alternaria alternata (AL), Penicillium (P). Comme on le voit c’est Stemphylium qui est très fortement positif avec pseudopodes (13 x 18 mm) (collection Guy Dutau).
Il est utile de prendre avis après d’un conseiller/ère en environnement intérieur pour l’expertise (vices de construction, foyers d’humidité, faux plafonds) et pour effectuer correctement les prélèvements mycologiques des taches suspectes de moisissures. L’aspect des colonies (couleur en particulier) est un des éléments importants du diagnostic étiologique(1). Le tableau fournit quelques données utiles à l’allergologue.
L’encadré montre que l’émergence d’allergies alimentaires (AA), inattendues ou insolites, est toujours possible(10-12), à l’exemple du Quorn (substitut de viandes préparées à partir de mycoprotéines comme Fusarium graminareum ou Fusarium venenatum ou d’autres mycoprotéines).
Notes
a. https://www.pollens.fr
b. https://fr.wikipedia.org/wiki/Chytridiomycota (consulté le 5 décembre 2022).
c. Composé de plusieurs lignées évolutives distinctes dont les membres ont été répartis entre deux groupes principaux, considérés depuis 2018 comme des sous-règnes, Mucoromyceta et Zoopagomyceta, champignons. Ils sont également caractérisés par une abondante reproduction asexuée et une croissance rapide qui leur permettent de coloniser très vite leur milieu. https://fr.wikipedia.org/wiki/Zygomycota (consulté le 5 décembre 2022).
d. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ascomycota (consulté le 5 décembre 2022).
e. https://fr.wikipedia.org/wiki/Basidiomycota (consulté le 5 décembre 2022).
f. Élément végétatif filamenteux, souvent à plusieurs noyaux cellulaires, caractéristique des champignons, de certaines algues et de certains protistes végétaux. https://fr.wikipedia.org /wiki/Hyphe (consulté le 7 décembre 2022).
g. https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuteromycota (consulté le 5 décembre 2022).
h. https://fr.wikipedia.org/wiki/Entomophthorales (consulté le 5 décembre 2022).
Notes
i. Cette classification, plutôt simpliste, n’a pas rencontré un grand succès.
j. Les moisissures entrent dans les habitations par les courants d’air ou par les êtres vivants (personnes et animaux domestiques). En milieu humide, les moisissures se développent, libèrent des spores, et parfois même des mycotoxines toxiques. https://www.centreantipoisons.be/autre/moisissures-dans-les-habitations (consulté le 8 décembre 2022).
k. La moisissure blanche (Sclerotinia sclerotiorum) se développe sur le bois qui a été en contact avec l’eau. Maladie également connue sous le nom de « pourriture blanche » ou sclérotiniose, elle affecte diverses plantes comme le colza, le tournesol, les haricots et les carottes. https://fr.wikipedia.org/wiki/Sclerotinia_sclerotiorum (consulté le 7 décembre 2022).
L’auteur n’a pas de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.
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