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Allergologie

Publié le 17 juin 2012Lecture 11 min

Fréquentation des piscines et allergies respiratoires

A. BERNARD Directeur de recherches FNRS, Université catholique de Louvain ; Centre de toxicologie et pharmacologie appliquée, Faculté de médecine, Bruxelles, Belgique
Des études récentes suggèrent que la fréquentation de piscines désinfectées au chlore, surtout pendant la petite enfance, peut augmenter les risques d’allergies. Ces risques seraient liés à une fragilisation des barrières épithéliales par le chlore actif ou les sous-produits de chloration dans les piscines privées ou publiques. La prudence est de mise pour les jeunes enfants, surtout s’ils présentent un terrain atopique ou des antécédents familiaux d’allergie.
Allergies, hygiène et chlore On assiste depuis plusieurs années à une augmentation importante des prévalences d’affections allergiques dans la plupart des pays industrialisés. L’asthme en particulier est devenu au fil des ans l’affection chronique la plus fréquente chez l’enfant ou l’adolescent avec des estimations de prévalence qui varient entre 10 et 20 % selon les pays et les indicateurs utilisés. Cette augmentation ne se limite pas à l’asthme et s’étend aux autres affections allergiques comme l’eczéma et les rhinites allergiques, dont le rhume des foins. On ignore la ou les causes exactes de cette épidémie, mais les chercheurs sont unanimes pour l’attribuer à une modification dans notre environnement ou notre mode de vie d’une partie importante de la population des pays développés. Parmi les hypothèses testées, celle qui suscite toujours le plus d’intérêt est l’hypothèse d’hygiène proposée par un médecin britannique en 1989 (D. Strachan). Selon cette hypothèse, l’augmentation des affections allergiques serait due à une diminution de l’exposition aux agents microbiens pendant l’enfance, entraînant un déséquilibre de la balance Th1/Th2 en faveur de Th2. À ce stade cependant, cette hypothèse n’a pas permis de déboucher sur des mesures concrètes permettant d’infléchir l’évolution des maladies allergiques. L’hypothèse du chlore ou de la chloration, proposée en 2003 (1) est en quelque sorte la face chimique de l’hypothèse d’hygiène. Plutôt que de relier l’augmentation des maladies allergiques à une diminution de l’exposition aux agents microbiens, elle l’attribue davantage à l’exposition croissante, en particulier des enfants, aux produits ou résidus de la chloration, qui est la méthode adoptée par le monde occidental pour assurer une bonne hygiène. Dans les pays comme la France où la natation est une activité fréquente et obligatoire en milieu scolaire, l’exposition aux produits de chloration a lieu surtout dans les piscines publiques ou privées pratiquement toutes désinfectées au chlore. La natation dans une eau chaude et peu renouvelée comporte des risques infectieux très importants qui nécessitent des doses élevées de chlore. De plus, les baigneurs, surtout les plus jeunes, libèrent dans l’eau de la matière organique que la chloration transforme en résidus toxiques, parmi lesquels on retrouve de puissants irritants come les chloramines (figure 1). Figure 1. Formation des sous-produits de chloration dans les piscines. Dans l’eau, les produits de chloration (chloro-isocyanurates, hypochlorite ou chlore gazeux) libèrent de l’acide hypochloreux, un puissant oxydant qui est le biocide actif. L’acide hypochloreux transforme les matières organiques apportées par les baigneurs en un cocktail de sous-produits de chloration comprenant des irritants, des composés mutagènes et reprotoxiques. Les composés très volatils comme le chloroforme et la trichloramine se retrouvent surtout dans l’air des piscines intérieures publiques. Figure 2. Schéma illustrant le dépôt des produits de chloration le long de l’arbre respiratoire. Les produits inhalés sous forme d’eau ou d’aérosols se déposent surtout au niveau des voies respiratoires, tandis que les composés volatils peuvent descendre dans l’arbre respiratoire surtout lorsqu’ils sont peu solubles dans l’eau (trichloramine). La respiration buccale permet aux aérosols et aux composés normalement retenus par le filtre pharyngé d’atteindre le poumon profond. Enfin, lors de la natation, les baigneurs inhalent très activement ces dérivés chlorés qui pénètrent plus ou moins profondément dans les voies respiratoires en fonction du mode de respiration (buccale en cas d’effort intense) et de leur forme physico-chimique (taille des aérosols, solubilité des gaz) (figure 2).   Une fragilisation des barrières épithéliales L’acide hypochloreux et les chloramines sont de puissants oxydants qui, aux concentrations observées dans l’eau des piscines, peuvent ouvrir les jonctions serrées des barrières épithéliales et donc faciliter la pénétration des allergènes et agents pathogènes vers les cellules dendritiques (2). Ces molécules peuvent aussi provoquer des dommages cellulaires en particulier au niveau des cellules de Clara, avec pour conséquence une diminution de la synthèse de protéines anti-inflammatoires comme la protéine de la cellule de Clara (CC16) (3). Ce sont ces altérations épithéliales découvertes fortuitement chez les nageurs qui ont attiré l’attention des chercheurs sur les risques des produits de chloration en piscine (1). Ces altérations ont été observées aussi bien chez des nageurs en piscine intérieure qu’extérieure, ce qui signifie qu’ils ne résultent pas uniquement de l’inhalation de la trichloramine, le gaz responsable de l’odeur caractéristique des piscines publiques. La majeure partie des irritants respiratoires provient sans doute du cocktail de composés chlorés qui s’accumulent dans l’eau ou flottent à la surface des piscines. Dans les piscines privées, peu fréquentées et souvent surchargées en chlore, le principal irritant est sans doute représenté par le chlore actif sous forme d’hypochlorite ou d’acide hypochloreux. En revanche, dans les piscines publiques, ce sont surtout les sous-produits de chloration et en particulier les chloramines qui irritent les muqueuses des nageurs. Les conséquences de ces altérations épithéliales dans le développement des allergies dépendent de leur localisation le long de l’arbre respiratoire, mais aussi de toute une série d’autres facteurs comme le sexe, l’âge, le terrain atopique ou l’exposition aux allergènes.   Des effets adjuvants sur la marche allergique Les données épidémiologiques et expérimentales suggèrent que la fragilisation des barrières épithéliales par les produits de chloration pourrait exercer des effets adjuvants à différents stades de la marche allergique, expression utilisée pour définir la progression des allergies avec l’âge. Trois types d’effets adjuvants ont été mis en évidence (4).   Risques accrus de bronchiolite et d’allergies associés à la pratique de bébé nageur Plusieurs études concordantes ont montré que la pratique de bébé nageur pouvait sensibiliser l’enfant aux infections virales et en particulier à la bronchiolite qui est un facteur de risque bien connu dans le développement des allergies(3,5). Nous avons observé que le développement d’affections allergiques chez les enfants ayant souffert de bronchiolite n’était significativement augmenté qu’en cas de bronchiolite associée à la pratique de bébé nageur, donc en d’autres termes chez les enfants ayant subi à la fois l’agression virale et l’agression par les composés chlorés (6). À l’appui de cette interprétation, nous avons retrouvé chez ces enfants une diminution des concentrations de la protéine des cellules de Clara, reflet probable d’une destruction d’une partie de ces cellules (3). Cette interaction entre bronchiolite et exposition aux produits de chloration en piscine chez ces bébés nageurs apparaît comme une des manifestations les plus précoces de la fragilisation des voies respiratoires associées à la fréquentation de piscines chlorées.   Effet adjuvant dans le processus de sensibilisation allergique Lorsque l’exposition est très précoce (avant 7 ans) ou très intense (nageurs de compétition), il semble que l’exposition régulière aux produits de chloration en piscine puisse aussi exercer un effet adjuvant dans le processus de sensibilisation lui-même et donc dans le développement d’un terrain atopique (2). Par exemple, un risque accru de sensibilisation aux aérollargènes, en particulier aux acariens, a été décrit chez des enfants ayant fréquenté une piscine chlorée extérieure pendant plus de 50 heures avant l’âge de 7 ans (3). Ces risques ont été mis en relation avec des lésions épithéliales au niveau de la cavité nasale qui pourraient faciliter le processus de sensibilisation allergique. Comme pour la bronchiolite il est probable que ce phénomène ne nécessite pas d’exposition vraiment très prolongée pourvu qu’il y ait à plusieurs reprises une certaine coexposition à l’allergène et aux irritants chlorés.   Effet adjuvant dans l’expression clinique de l’atopie L’effet des produits de chloration qui à ce stade est le mieux documenté est celui d’une interaction avec le terrain atopique, favorisant l’expression clinique de l’allergie sous forme d’asthme, de rhinite et peut être aussi d’eczéma (7,8). Ce sont des risques qui ne concernent donc que les sujets déjà sensibilisés et nécessitent des expositions répétées sur des périodes plus ou moins longues en fonction des concentrations des produits de chloration et de leur dépôt le long de l’arbre respiratoire. La majeure partie des produits de chloration se déposant d’abord au niveau des voies respiratoires supérieures, les risques de rhinite allergique comme le rhume des foins requièrent pour se manifester des niveaux d’exposition moins importants que les risques d’asthme. Puisque la plupart des enfants apprennent à nager vers l’âge de 6-7 ans, le niveau de fréquentation pouvant induire de l’asthme n’est pas atteint avant l’âge de 10 ans. Chez les sujets atopiques, le risque relatif d’asthme augmente quasi linéairement de 0,5 à 1 % par heure de natation, ce qui signifie un doublement du risque après avoir passé au total 100 à 200 heures dans une piscine publique. Hormis dans le cas de l’interaction avec la bronchiolite décrit plus haut, il faut donc attendre pratiquement le début de l’adolescence pour voir une augmentation de la prévalence d’asthme chez les enfants fréquentant régulièrement les piscines. Cela explique que les études associant l’asthme à la fréquentation de piscine ont toutes été menées chez des adolescents et des adultes (3,7-10). En revanche, l’exposition à une eau de piscine surchargée en dérivés chlorés pendant la petite enfance peut suffire à augmenter le risque d’eczéma chez les sujets atopiques, ce qui peut s’expliquer par le fait que la peau — du reste très fragile chez le bébé — est bien évidemment en contact direct avec les produits de chloration dans l’eau.   Recommandations pratiques • En l’absence d’antécédents familiaux d’allergie et d’autres facteurs de risque, il est intéressant d’interroger le patient sur ses pratiques sportives. La pratique régulière de la natation en piscine privée ou publique peut se révéler un facteur de risque de l’asthme et d’affections allergiques dont l’éviction pourrait améliorer l’état du patient. • Il faut s’interroger aussi sur les bénéfices et les risques de la pratique de la natation chez les très jeunes enfants dont les systèmes immunitaire et respiratoire sont immatures. Si cette pratique se fait dans des établissements où il règne une forte odeur de chlore, elle pourrait fragiliser les voies respiratoires des bébés et augmenter les risques d’infection et d’allergies. • La pratique de la natation est une activité obligatoire dans beaucoup de programmes scolaires. Si l’enfant présente un terrain atopique et se plaint de symptômes d’irritation après la piscine, une dispense de piscine scolaire pour raisons médicales pourrait se justifier surtout si l’établissement fréquenté n’offre aucune garantie quant à la qualité de l’air ou de l’eau (la trichloramine dans l’air doit être inférieure à 500 μg/m3 selon l’OMS). • La natation est un sport bien toléré par les patients asthmatiques. L’atmosphère chaude et humide des piscines intérieures leur permet en effet de faire de l’exercice sans risquer une crise d’asthme. Cependant, si cette atmosphère contient des concentrations trop élevées de résidus de chloration, si les concentrations de chlore dans l’air ou l’eau sont trop importantes, le patient peut ressentir une gêne respiratoire et, dans ce cas, les bienfaits de la natation pourraient être contrecarrés par l’action irritante des produits de chloration. • Enfin, les risques des sous-produits de chloration ne se limitent à une action irritante sur la peau et des muqueuses. Ces produits présentent notamment des propriétés reprotoxiques qui pourraient compromettre le développement du système reproducteur masculin particulièrement bien exposé (11).

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