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Cancérologie

Publié le 10 juin 2012Lecture 12 min

Les dangers des parabens : mythe ou réalité ?

M. CASTELAIN - Service de dermato-vénéréologie, hôpital de la Timone, Marseille

Les parabens ont été accusés de provoquer des allergies de contact, des troubles hormonaux, notamment chez les jeunes garçons, et de provoquer des cancers du sein lorsqu’on utilise des antiperspirants axillaires. Qu’en est-il vraiment, en dehors du contexte passionnel ou du marketing ?

Qu’est-ce qu’un paraben ? Les parabens (ou parabènes) sont des esters de l’acide parahydroxybenzoïque. Ils constituent une famille de conservateurs très utilisée depuis les années 30, pour éviter la prolifération microbienne (additifs E 214-219). Quatre esters sont utilisés en pratique : les méthyl-, éthyl-, propyl- et butyl-parabens, la plupart du temps sous forme de mélange ou mix pour accroître leur efficacité à des concentrations faibles. Ces substances ont la particularité de n’avoir pas d’odeur, pas de saveur, aucun pouvoir décolorant. Les parabens pourraient presque être considérés comme « bio », puisqu’ils sont présents dans de nombreux produits naturels, comme les fraises, le jus de raisin, des extraits de levure, le vinaigre, certains fromages, la gelée royale, etc. L’industrie alimentaire utilise essentiellement le méthylet l’éthyl-paraben dans les pâtisseries, les conserves, les boissons sucrées et les confitures ; l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) recommande de ne plus utiliser le propyl-paraben. La réglementation européenne donne une liste d’une quarantaine de conservateurs autorisés en cosmétologie avec une concentration maximale admissible. Parmi eux, les parabens sont appréciés des cosméticiens, pharmacologues et industriels, notamment de l’agroalimentaire, du fait de leur efficacité, de leur faible toxicité, et de leur caractère biodégradable. Ils sont facilement hydrolysables et ne s’accumulent pas dans les tissus. La plupart des études réalisées sur différentes espèces animales a permis de montrer l’absence d’effets toxiques, génotoxiques, cancérogènes, et tératogènes de ces composés. La Commission de cosmétologie de l’Afssaps déconseille l’utilisation du benzyl-paraben du fait d’un risque reprotoxique éventuel. La Commission européenne autorise une concentration dans les cosmétiques de 0,4 % pour un ester de paraben et de 0,8 % au total, pour un mélange de parabens.   Parabens et allergie de contact Les parabens sont peu sensibilisants dans la population normale, sauf peut-être sur une peau préalablement lésée (ulcères de jambes par exemple). Le taux de sensibilisation aux parabens dans la littérature varie entre 0,3 % et 10,9 %, mais dans plus des deux tiers des études, il est inférieur à 2 %. En dehors des produits topiques, il existe de rares observations d’allergies de contact à des jouets gélifiés chez de jeunes enfants, de dermatoses professionnelles lors de contacts avec des parabens alimentaires. Les cas d’allergie alimentaire aux parabens sont extrêmement rares, de même que les cas d’allergie immédiate, notamment à des médicaments injectés qui en contiennent. Les parabens étaient présents dans plus de 90 % des produits cosmétiques au début des années 2000. Depuis que les médias grand public ont semé le doute dans l’esprit du consommateur, la plupart des laboratoires de cosmétiques face à une montée de bouclier anti-parabens du public, ont modifié leur gamme, pour introduire des produits sans parabens, voire « sans conservateurs ». Cette dernière appellation est dans la plupart des cas abusive. En effet, à part certains rares produits fabriqués et délivrés sous vide, la plupart des cosmétiques sont rapidement contaminés (bactéries, levures, moisissures) en l’absence de substance antimicrobienne ou antilevuraire. Les laboratoires utilisent de ce fait des substances qui ont un pouvoir anti-microorganismes, mais qui ne sont pas listés dans les 40 conservateurs « officiels ». Une étude récente montre que 44 % des produits cosmétiques suédois seulement contiennent actuellement des parabens. Pour éviter les conservateurs, les laboratoires ont de plus en plus recours à des substances non listées dans la liste des 40 conservateurs « officiels ». En conséquence, la prévalence de l’allergie de contact aux parabens diminue. À titre indicatif, l’allergie aux parabens est observée chez 0,51 % des patients dans une étude du Revidal-Gerda portant sur plus de 1 500 patients testés en 2010. L’allergie aux parabens est bien connue et documentée, et le remplacement par d’autres conservateurs ou apparentés expose à la commercialisation de produits moins bien connus dans leur toxicité et leur allergénicité, ou carrément nouveaux, et donc à de nouvelles épidémies d’allergie de contact. Ainsi, le formol était le principal conservateur allergisant dans les années 50 et 60. Il a été remplacé à la fin des années 70 par le Kathon CG® ou méthylisothiazolinone/ chloro-méthylisothiazolinone (MCI/MI) qui a donné lieu à une véritable épidémie d’allergies de contact dans les années 80, aboutissant à une sévère réglementation de son usage. Il a été remplacé dans les années 90 par l’Euxyl K400®, mélange de phénoxyéthanol et de dibromodicyanobutane. Ce remplacement a lui aussi rapidement abouti à de nouveaux cas d’allergie de contact, cette fois au dibromodicyanobutane. Ce dernier a finalement été interdit dans les produits cosmétiques de l’Union européenne. On voit donc logiquement émerger de nouveaux conservateurs remplaçant ceux que l’on a éliminés. Ainsi, la méthylisothiazolinone a été réintroduite récemment dans les cosmétiques à la dose de 100 ppm, et dans les lingettes nettoyantes. Des cas d’allergie à ce conservateur sont de plus en plus signalés. Une étude de A. Schnuch et coll. de 2011 montre que dans les produits cosmétiques non rincés, le risque réel de sensibilisation à la méthylisothiazolinone ou aux libérateurs de formol est environ cinq fois plus important qu’avec les parabens. Des cas d’allergie à la méthylisothiazolinone sont de plus en plus signalés.   Parabens et perturbations endocriniennes Routledge en 1998 met en évidence une faible activité estrogénique des parabens de 1 000 à 1 000 000 fois moindre que le 17β-estradiol, et 10 à 100 fois inférieure à celle des phyto-estrogènes du soja. L’acide parahydroxybenzoïque, qui est le principal métabolite des parabens, n’a pas d’activité estrogénique. Concernant l’absorption par voie cutanée, les études réalisées in vitro sur la peau de porc avec les quatre principaux parabens montrent qu’ils pénètrent peu dans la peau, où ils sont métabolisés en grande partie en acide parahydroxybenzoïque.  Chez l’animal, les parabens absorbés dans le tractus gastrointestinal sont métabolisés en acide parahydroxybenzoïque et excrétés rapidement dans l’urine. Chez le rat, le butyl-paraben appliqué sur la peau est quasiment totalement métabolisé en acide parahydroxybenzoïque. Dans son avis de 2004, l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) souligne que l’administration orale de méthyl- et d’éthyl-paraben chez le jeune rat mâle n’a pas d’effet sur les hormones sexuelles et les organes de la reproduction à des doses allant jusqu’à 1 000 mg/kg/j. Pour le propyl-paraben, une diminution des taux de testostérone, des spermatozoïdes et des anomalies de la spermatogenèse ont été observées. La dose minimale induisant un effet nocif observé est fixée à 10 mg/kg/j. De même, dans son avis de juin 2008, le Comité scientifique des produits de consommation (SCCP) considère que l’utilisation du méthyl- et de l’éthyl-paraben ne pose pas de problème de sécurité aux doses maximales autorisées dans les produits cosmétiques. Concernant le propyl- et le butylparaben, les résultats sont moins clairs. Une étude menée chez des rates montre que les parabens ne présentent pas de fort potentiel estrogénique sur le développement utérin ou le cours de la gestation. En revanche, les études sur les organes mâles de la reproduction chez la souris montraient une diminution de la concentration sérique de testostérone, et des anomalies de la spermatogenèse avec la prise orale de butylparaben, alors que méthyl- et éthyl-paraben sont sans effet. Cette étude a été reproduite de façon moins critiquable chez le rat mâle. Elle montre que l’administration par voie orale du méthyl- et du butyl-paraben n’a pas d’effet sur les paramètres et les organes de la reproduction. L’acide parahydroxybenzoïque, principal métabolite des parabens, n’a pas d’activité estrogénique.  Chez l’homme, une étude portant ex vivo sur de la peau isolée à partir d’interventions chirurgicales sur laquelle on dépose des parabens, montre que plus les molécules sont lipophiles (butyle > propyle > éthyle > méthyle), moins elles pénètrent à travers la peau. L’étude de l’absorption transcutanée après application d’une crème contenant 2 % de butylparabens (c.à.d. 5 fois la concentration autorisée) chez 26 volontaires sains montre un pic de concentration sérique de butylparabens correspondant à environ 0,1 % de la dose administrée, sans qu’aucun effet ne soit observé sur les taux d’hormones sériques. Une étude norvégienne de 2011 portant sur 332 femmes appliquant des lotions corporelles contenant des parabens montre une absorption chiffrable de méthyl-parabens chez 63 % d’entre elles, d’éthyl-parabens chez 23 %, de propyl-parabens à des taux très faibles chez 29 % et pas d’absorption pour le butylparabens. D’autres composés chimiques que les parabens ont sans doute des effets perturbateurs endocriniens. Les effets du bisphénol A sont les plus connus : ils s’exercent sur la fonction sexuelle et les taux d’hormones chez l’homme adulte ; ils peuvent être liés à de faibles doses et révélés à long terme. Les phtalates ont potentiellement, chez l’homme, des effets sur la distance anogénitale, l’hypospadias, la cryptorchidie (si exposition in utero) et les taux hormonaux et, chez la femme, sur la puberté précoce. Mais pour l’instant, si l’on sait qu’une petite fraction des parabens appliqués sur la peau peut pénétrer, les premières études (ponctuelles) chez l’homme comparant les taux hormonaux, l’excrétion urinaire de parabens et la spermatogenèse ne montrent pas d’anomalie chiffrable. Les propyl- et butyl-parabens sont néanmoins interdits au Danemark chez l’enfant de moins de 3 ans depuis janvier 2011. Une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 13 juillet 2010 par M. Yvan Lachaud a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 3 mai 2011 par 236 voix contre 222 : « La fabrication, l’importation, la vente ou l’offre de produits contenant des phtalates, des parabens ou des alkylphénols sont interdites ». Le texte est au stade de la première lecture au Sénat. Les décrets d’application ne sont pas parus.   Parabens et cancer du sein En 2003, K.G. McGrath publie un article démontrant que les femmes qui utilisent des déodorants et qui se rasent les aisselles auraient des cancers du sein diagnostiqués plus précocement ; il suspecte éventuellement le rôle des sels d’aluminium. En janvier 2004, paraît un article de P.D. Darbre et coll. faisant état d’un lien possible entre l’utilisation de produits cosmétiques contenant des parabens et la présence de ces conservateurs dans des échantillons de tissus prélevés dans des cancers du sein. Entretemps, le mensuel Que choisir publie, en novembre 2005, un dossier intitulé « Crèmes hydratantes, votre santé en danger ». Il met en garde les utilisateurs d’antitranspirants contre le plus grand nombre de cancers du sein observé dans le quadrant supéroexterne, au voisinage de la zone où sont appliqués les antitranspirants. Ces derniers peuvent contenir des parabens, qui ont expérimentalement sur des cultures cellulaires et chez certains animaux d’expérience une faible action estrogénique, y compris sur une lignée de cellules de cancers du sein. C’est à la suite notamment de cet article qu’a été menée la campagne médiatique anti-parabens. Une autre étude, depuis, a montré qu’effectivement cette lignée de cellules cancéreuses humaines MCF7 est stimulée par l’éthyl-paraben et le butyl-paraben à des concentrations, respectivement 10 000 et 1 000 fois supérieures à celle du 17β-estradiol, mais que l’expression des gènes qui en résultait diffère selon que le stimulant est le paraben ou l’estrogène et que les conséquences pour la lignée cellulaire ne sont ainsi pas superposables. En avril 2004, l’Afssaps avait conclu que l’étude de P.D. Darbre et coll. portant sur un nombre réduit de cas (une vingtaine), contenait des biais méthodologiques et ne permettait pas de mettre en évidence un lien possible entre l’exposition aux parabens via un usage cosmétique et la présence de ces molécules dans des échantillons de tumeurs du sein (ils pourraient venir par exemple de l’alimentation ou des médicaments absorbés). Il faut noter que la plus grande fréquence des cancers du sein dans le quadrant supéro-externe des seins peut être liée à la plus grande quantité de tissu mammaire dans ce quadrant. Il n’y a pas plus de cancer du sein chez les femmes qui utilisent des antiperspirants sur les aisselles que chez celles qui n’en utilisent pas ; de plus, les déodorants contiennent très rarement des parabens. Les parabens retrouvés dans les tumeurs sont surtout des méthyl-parabens, dont le pouvoir estrogénique est quasi inexistant. Tous les cancers du sein ne sont pas estrogéno- dépendants ; ils sont plutôt en rapport avec l’âge et la génétique. Enfin, le courant sanguin et lymphatique va plutôt du sein vers l’aisselle, que l’inverse. Une revue récente de la littérature conclut à l’absence de lien entre parabens et cancers du sein. En pratique, on retiendra  Les parabens sont peu allergisants, moins que la plupart des autres conservateurs.  En ce qui concerne l’éventualité d’une activité hormonale des parabens : – méthyl- et éthyl-parabens sont sans risque aux doses utilisées ; – propyl- et butyl-parabens sont toujours en investigation, mais le niveau d’inquiétude n’était pas suffisant pour en interdire l’utilisation,en dehors du Danemark. Des études expérimentales complémentaires doivent être mises en oeuvre dans le but de mieux préciser le risque sur la fertilité pour l’homme exposé durant son enfance en termes de dose seuil de toxicité, de durée d’exposition et de réversibilité de l’atteinte après arrêt de l’exposition.  Les études analysées par plusieurs groupes européens dans les domaines de l’aliment, des cosmétiques et du médicament ont conclu qu’il n’y avait pas d’argument scientifique irréfutable en faveur du rôle des parabens dans le cancer du sein.  Le vote surprise récent de l’interdiction des parabens (ainsi que des phtalates et des alkylphénols) dans les produits de consommation courante par l’Assemblée nationale semble excessif ; les parabens sont bien connus, peu toxiques et peu allergisants ; par quoi seront-ils remplacés ? Tout nouveau produit mis sur le marché expose à des surprises, pas toujours bonnes.

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