Publié le 31 mar 2011Lecture 9 min
Quand l’éviction retarde la guérison…ou crée l’allergie
E. BIDAT, Hôpital Ambroise-Paré, APHP, Boulogne-Billancourt
Le nouveau credo de l’allergologie est la tolérance. L’allergie est la non-acquisition de la tolérance à un allergène, ou la perte d’une tolérance qui était acquise(1). Cette nouvelle prophétie repose sur des études cliniques et immunologiques et non sur l’empirisme. Ces nouvelles connaissances ont des conséquences pratiques qui modifient nos modes de raisonnement et nos habitudes. En allergologie, comme dans tous les domaines de la médecine, ces dernières années ont vu l’évolution d’une médecine empirique vers une médecine basée sur les preuves. Par le passé, en l’absence d’études, les recommandations étaient fondées sur des raisonnements analogiques, fonction des connaissances immunologiques de l’époque. Ainsi, le credo de l’allergologie était l’éviction. Éviction dans la prévention primaire de l’allergie, éviction dans la prévention secondaire et tertiaire. On sait maintenant que cette éviction généralisée, systématique et rigoureuse était en fait parfois inutile, voire dangereuse.
Le passé : le temps de l’éviction Quel qu’ait été le niveau de prévention, l’allergologie reposait sur l’éviction (tableau 1). ● En prévention primaire, il était conseillé de retarder le plus possible l’introduction des aliments autres que le lait de mère, et surtout de faire une éviction rigoureuse des pneumallergènes. L’enfant de parents atopiques se voyait interdire la présence d’animaux domestiques. ● En prévention secondaire, il était conseillé à l’enfant sensibilisé aux trophallergènes ou pneumallergènes une éviction « préventive » rigoureuse des allergènes. Le but espéré était d’éviter le développement de manifestations allergiques. ● En prévention tertiaire, il était conseillé à l’allergique alimentaire une éviction la plus stricte possible de l’aliment afin « de faciliter la guérison » (2). Le même raisonnement était appliqué à l’allergique aux pneumallergènes, le salut reposait sur l’éviction rigoureuse des pneumallergènes. Le credo était donc l’éviction. Il existait une escalade à qui conseillerait l’éviction la plus rigoureuse. Mais les études épidémiologiques ont montré l’inefficacité de certaines de ces mesures, voire leur caractère parfois néfaste. Parallèlement, les études immunologiques montrent que l’allergie est la non-acquisition de la tolérance à un allergène, ou la perte d’une tolérance (1). Il existait une escalade à qui conseillerait l’éviction la plus rigoureuse. Le présent : des études troublantes ou bouleversantes Le nouveau credo est la tolérance. Celle-ci est à la base de la prévention en allergologie. *pas tt : le traitement par ITLV est comparé à l’évolution naturelle de l’APLV. ● En prévention primaire, une étude épidémiologique montre que les nourrissons, qui ingèrent entre 5 et 14 mois de l’arachide sous forme de snack, développent moins souvent entre 4 et 11 ans une allergie alimentaire à cette légumineuse que des nourrissons appariés qui ne l’ont pas ingérée dans les premiers mois de vie (0,17 % versus 1,85 %) (3). Les études de cohortes depuis la naissance montrent que l’exposition précoce à un chat ou à un chien n’a pas d’influence sur le développement d’un asthme. L’exposition précoce au chien protège même du développement des sensibilisations vis-à-vis des différents pneumallergènes (4). Ainsi, dans ces deux exemples, l’éviction a un rôle délétère dans la prévention primaire de l’allergie. ● En prévention secondaire, l’éviction des trophallergènes est parfois dangereuse. Barbi et coll. ont collecté 24 observations d’enfants présentant un eczéma et sensibilisés à un aliment. Logiquement, il leur a été proposé un régime d’éviction d’essai de cet aliment. Mais dans ces observations, un régime d’éviction prolongé a été poursuivi malgré l’absence d’amélioration des symptômes d’allergie. Lors de la réintroduction de l’aliment, parfois accidentellement, des réactions anaphylactiques sont survenues, avec quatre fois un choc et une fois un décès. Ces enfants étaient sensibilisés à l’aliment, mais non allergiques, l’éviction a été néfaste voire létale (5). Pour les pneumallergènes, une étude prospective concerne 68 familles qui souhaitent acquérir un chat, un chien ou faire de l’équitation. Le suivi est de 5 ans (128 parents, 158 enfants). Dans cette étude, l’acquisition d’un animal chez un atopique, parfois sensibilisé à cet animal mais non allergique, n’aggrave pas les symptômes de rhinite et d’asthme (6). Ainsi, dans ces deux situations, en prévention secondaire, l’éviction n’apporte pas de bénéfice ou peut avoir un rôle délétère. ● En prévention tertiaire, l’introduction de l’aliment allergisant, sous forme d’immunothérapie (IT), est un progrès majeur dans la prise en charge des allergies alimentaires persistantes. L’IT aux aliments a été essayée par voie sous-cutanée, sublinguale et épicutanée. Lors de l’IT par voie orale, des quantités croissantes de l’aliment responsable de l’allergie alimentaire sont ingérées tous les jours. L’évolution de l’allergie alimentaire est appréciée après l’ingestion de la dose d’entretien pendant une durée de 5 à 24 mois (tableau 2). Lors de l’IT par voie sublinguale, des petites quantités de l’aliment sont déposées sous la langue, gardées deux minutes puis dégluties. La procédure est identique à celle de la désensibilisation aux pollens ou aux acariens. Après 6 mois de ce traitement, l’évolution de l’allergie est appréciée par un nouveau test de provocation à l’aliment. Ces interventions thérapeutiques, dont l’efficacité est prouvée par des essais contrôlés, offrent une opportunité majeure pour améliorer la qualité de vie des patients présentant une allergie alimentaire persistante(7). Pour les pneumallergènes, l’efficacité de certaines désensibilisations aux acariens ou à certains pollens est prouvée dans des études de méthodologie irréprochable (8). Ainsi, dans ces deux exemples, en prévention tertiaire de l’allergie, le traitement ne se fait non pas par l’éviction de l’allergène, mais par son introduction, sous une forme contrôlée. En prévention primaire, secondaire ou tertiaire, l’éviction des allergènes a, pour les études présentées, un rôle néfaste ou est inutile. C’est même l’introduction de l’allergène qui est parfois recherchée pour créer la tolérance (tableau 3). Le présent : incertitudes, questionnements et complexité Dans certaines situations, l’éviction de l’allergène est néfaste. Mais il persiste des incertitudes et des questionnements sur la période optimale d’introduction des allergènes en prévention primaire. Il est aussi certain qu’en prévention secondaire et tertiaire l’introduction de l’allergène peut, dans certaines situations, être néfaste, voire dangereuse. ● En prévention primaire, l’introduction de l’aliment doit se faire à la période optimale. Il existe une « fenêtre » de tolérance entre 3-4 mois et 6-7 mois. Il est difficile de conseiller une période optimale d’introduction des aliments autres que le lait maternel, car la fenêtre de tolérance est individuelle. Elle est fonction de la colonisation bactérienne du tube digestif, de facteurs génétiques, de l’allergène (dose, mode de préparation, intervalle entre l’introduction des aliments), de la perméabilité intestinale, du pH gastrique, de la durée de l’allaitement maternel et d’autres facteurs en cours d’étude (stress, antioxydant, etc.) (9). La période optimale d’exposition aux pneumallergènes diffère en fonction des allergènes. L’exposition aux animaux n’a pas le même effet que l’exposition aux acariens( 10). Il est difficile de conseiller une période optimale d’introduction des aliments autres que le lait maternel, car la fenêtre de tolérance est individuelle. ● En prévention secondaire, l’exposition à l’allergène chez l’enfant sensibilisé n’est pas toujours bénéfique. L’expérience quotidienne montre que des nourrissons allergiques au lait n’ayant jamais consommé d’oeuf et pourtant fortement sensibilisés à cet aliment, présentent une réaction allergique violente lors de la première introduction de l’oeuf. De même, la découverte d’une sensibilisation aux pollens de bétulacées s’accompagne dans 60 % des cas du développement d’une allergie à ce pollen dans les 3 ans à venir (11). ● En prévention tertiaire, l’introduction de minimes quantités de l’aliment allergisant, ou du pneumallergène, peut exceptionnellement déclencher des manifestations allergiques sévères, voire un choc anaphylactique. En prévention primaire, la période optimale d’exposition pour chaque allergène demande à être précisée. En prévention secondaire ou tertiaire, l’éviction de l’allergène doit, dans de rares situations, toujours être rigoureuse (tableau 4). Le futur La prévention primaire, secondaire ou tertiaire de l’allergie passe par l’acquisition ou la réacquisition de la tolérance à l’allergène. En prévention primaire, l’avenir est à un programme individuel probablement guidé par la génétique. En prévention secondaire et tertiaire, les mesures seront individualisées, guidées par la biologie et peut-être la génétique. Conclusion Quel que soit le niveau de prévention, l’éviction généralisée, systématique et rigoureuse est souvent inutile et peut même être dangereuse. Cette éviction peut retarder la guérison ou créer l’allergie. Une éviction stricte est exceptionnellement utile pour de rares patients. Le plus souvent, la présentation optimale de l’allergène permet d’éviter le développement de l’allergie, voire d’en obtenir la guérison.
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