Publié le 16 juin 2014Lecture 10 min
L’exploration à l’exercice chez l’asthmatique
A. GICQUELLO, B. WALLAERT, Service de pneumologie et immunoallergologie, hôpital Albert Calmette, Lille
L’asthme est une maladie inflammatoire chronique en augmentation constante dont la prévalence en France est actuellement de 10 % chez les enfants de plus de 10 ans et de 6 à 7 % chez l’adulte(1). Parmi les patients asthmatiques adultes, environ 5 % présentent un asthme sévère, difficilement ou incomplètement contrôlé sous fortes doses de corticostéroïdes inhalés(2).
Quelle que soit la sévérité de la maladie, le contrôle de l’asthme est un facteur essentiel dans la prise en charge. Or, sous traitement, une partie des patients asthmatiques pré- sente une dyspnée persistante. Ces patients sont alors considérés comme ayant un asthme difficile, non contrôlé et l’attitude est en général de rattacher la dyspnée au mauvais contrôle de l’asthme, justifiant en conséquence une escalade thérapeutique. De plus, chez les asthmatiques dont la maladie est bien contrôlée, il existe parfois une dyspnée d’effort qui handicape la vie quotidienne du patient. La dyspnée est une sensation subjective de gêne respiratoire. Cette sensation est le résultat d’une intégration de plusieurs stimuli : contraintes mécaniques thoraciques, chémorécepteurs, débit dans les voies aériennes supérieures, informations provenant du cortex cérébral(3). L’épreuve fonctionnelle à l’exercice (EFX) permet d’appréhender les mécanismes responsables de cette dyspnée et de faire la différence entre la part liée à l’asthme et la part liée à des facteurs associés (pathologie cardiaque, atteinte vasculaire, dysfonction des cordes vocales, déconditionnement, etc.). L’exploration fonctionnelle à l’exercice (EFX) L’EFX permet d’évaluer, au cours d’un exercice progressif, les réponses ventilatoires, cardio-circulatoires et métaboliques. En effet, lors de l’effort, ces réponses fonctionnelles sont interdépendantes et l’analyse intégrée de ces réponses permet de mieux décrire les déficiences liées à la pathologie. Elle peut également mettre en évidence des causes extrapulmonaires d’origine cardiaque ou musculaire. C’est une méthode adaptée à tous les patients asthmatiques, même les plus sévères(4). Les observations que nous rapportons dans l’asthme résultent d’une étude réalisée chez 114 patients présentant soit un asthme persistant léger à modéré, soit un asthme persistant sévère. Tous les patients asthmatiques présentaient une dyspnée d’effort. La sévérité de l’asthme a été définie selon la classification du GINA(5), puis les patients ont été répartis en deux groupes. Le groupe « modéré » comprenait les patients asthmatiques des stades 1 à 3 et le groupe « sévère », les asthmes classés en stade 4. Ces deux groupes étaient similaires sur le plan des caractéristiques générales (âge, genre, IMC, statut allergique). Seul le contrôle de l’asthme différait, avec seulement 18 % de patients contrôlés dans le groupe sévère contre 65 % dans le groupe modéré, ce qui est cohérent puisque les asthmatiques sévères sont une population difficile à équilibrer sur le plan thérapeutique. Le groupe des asthmatiques sévères était caractérisé par un syndrome obstructif plus marqué (avec un VEMs moyen et un rapport de Tiffeneau à 58 % versus 81 % et 71 % pour le groupe modéré). Étonnamment, la capacité à l’exercice, illustrée par l’aptitude aérobie (VO2 max), était identique entre les deux groupes. Le facteur limitant n’était donc pas uniquement lié à l’obstruction bronchique. L’EFX a permis de rechercher d’autres causes à la dyspnée, de guider la prise en charge thérapeutique (notamment médicamenteuse) et de proposer une réhabilitation respiratoire chez les patients les plus susceptibles d’en bénéficier. Cela montre l’importance, chez ces patients, de l’étude de la dyspnée, qui peut être associée à tort à la maladie asthmatique (figure 1). Figure 1. Capacité aérobie, représentée par la VO2 max en %, des deux groupes de patients, asthmatiques modérés (n) et sévères (n), exprimée en médiane ± minimum et maximum. Les causes de dyspnée La sévérité de la maladie n’entraîne pas de modification de la capacité à l’effort, cependant les causes de dyspnée ne sont pas identiques selon les groupes. Dans le groupe des asthmatiques sévères, le syndrome obstructif explique un peu plus de 40 % des symptômes d’effort. En revanche, chez les patients modérés, l’obstruction n’est en cause que dans 14 % des cas. L’EFX est un examen utile dans la population des patients asthmatiques ; elle permet le plus souvent d’établir un diagnostic « mécanistique » expliquant la dyspnée (tableau). Lors de l’effort, la dyspnée ressentie par les patients asthmatiques peut être liée à plusieurs mécanismes. L’exercice peut entraîner l’apparition d’un bronchospasme à l’effort(6). Tous les asthmatiques ne déclenchent pas de bronchospasme lors de l’exercice. L’EFX incrémentale n’est pas le meilleur test pour identifier un asthme d’effort, mais elle peut suffire à en faire le diagnostic. Dans notre étude, nous avions inclus le bronchospasme dans la limitation ventilatoire, car un nombre restreint de patients était concerné. Une autre étude réalisée uniquement chez des patients asthmatiques sévères mettait en évidence un taux de 20 %(7). Même chez les patients stables, l’hyperinflation dynamique peut être une cause de limitation à l’exercice. Elle correspond à une diminution de la capacité inspiratoire par augmentation de la capacité résiduelle fonctionnelle. Elle est recherchée lors de l’EFX par la réalisation d’une courbe débit-volume en fin d’exercice. Les patients ventilent dans les hauts volumes pulmonaires, à petit volume et à haute fréquence, ce qui engendre la dyspnée. Celle-ci est peu représentée dans notre population, mais une équipe a montré que ce phénomène était présent chez tous leurs patients asthmatiques sévères et jouait un rôle majeur dans leur dyspnée(4) (figure 2). Figure 2. Courbe débit-volume d’un patient présentant une hyperinflation dynamique à l’exercice. La courbe se décale vers la gauche, vers les hauts volumes pulmonaires. L’épreuve d’effort permet également de démasquer un syndrome d’hyperventilation (SHV) inappropriée à l’exercice ou une dysfonction des cordes vocales. Le SHV, qui est une hyperventilation alvéolaire inadéquate, n’est pas observé fréquemment dans l’asthme. Il doit être évoqué lorsque les patients présentent un asthme incontrôlé, des exacerbations fréquentes et sévères, ou lorsqu’il existe un profil psychologique particulier(8). Figure 3. Mise en évidence d’une dysfonction des cordes vocales à l’exercice par nasofibroscopie sus-glottique. Patiente de 60 ans présentant un asthme modéré contrôlé ayant une dyspnée d’effort. L’EFX met en évidence une limitation de l’aptitude aérobie et un mode ventilatoire anormal caractérisé par une augmentation trop importante de la fréquence respiratoire (76/min) par rapport au volume courant (VT = 24 % de la capacité vitale forcée [CVF]). A. Dysfonction des cordes vocales en adduction lors de l’exercice. B. Aspect normal des cordes vocales à l’exercice chez un sujet sain de même âge. Cette hyperventilation inappropriée à l’effort occasionne la dyspnée des patients. À l’EFX, cela se traduit par une augmentation disproportionnée de la ventilation(9). Le diagnostic de SHV repose « classiquement » sur trois examens : la gazométrie artérielle, le questionnaire de Nijmegen et le test d’hyperventilation. Ces tests sont mal adaptés au diagnostic d’une hyperventilation à l’effort, qui repose alors sur l’analyse de l’EFX. Dans notre population, l’hyperventilation inappropriée à l’effort était plus fréquente chez les patients asthmatiques modérés, ce qui a également été rapporté par d’autres auteurs(10). À l’inverse, certains retrouvent une part prépondérante de SHV chez les patients asthmatiques sévères(7). L’objectif en réhabilitation respiratoire sera de rééduquer la ventilation afin d’améliorer les symptômes. La dysfonction des cordes vocales est caractérisée par une adduction intermittente paradoxale des cordes vocales, principalement durant l’inspiration, responsable d’une obstruction haute et de la dyspnée. Elle est régulièrement associée à l’asthme et peut être une cause de mauvais contrôle de la maladie(11). Le diagnostic de référence est la nasofibroscopie. Cependant, la modification du mode ventilatoire au cours de l’EFX doit faire évoquer ce diagnostic. En raison de l’obstruction engendrée, le volume courant augmente peu et l’augmentation de la ventilation se fera par une accélération préférentielle de la fréquence respiratoire. Dans notre étude, la dysfonction des cordes vocales est une cause rare de dyspnée, mais certaines équipes estiment qu’elle concernerait 15 à 20 % des asthmatiques. Le traitement de cette pathologie repose sur l’orthophonie. Le déconditionnement est la cause la plus fréquente de limitation à l’exercice, quelle que soit la sévérité de la pathologie. Lors de l’EFX, une augmentation disproportionnée de la lactatémie ou une fatigue musculaire intense après un effort modéré sont des éléments d’orientation. Le déconditionnement était plus fréquent dans le groupe des asthmatiques modérés. L’incidence au cours d’une étude dans l’asthme sévère n’était pas aussi importante(7). Chez ces patients, on peut proposer un réentraînement à l’effort soit dans le cadre d’une réhabilitation respiratoire, soit par la reprise d’une activité physique régulière effectuée par le patient lui-même. Enfin, les anomalies cardiaques et vasculaires sont des causes rares de dyspnées – respectivement 6 et 3 % de notre population –, mais elles doivent être recherchées, car elles peuvent être masquées par la limitation ventilatoire. Toute anomalie du pouls en O2 (représenté par le rapport de la capacité aérobie sur la fréquence cardiaque maximale) ou de l’espace mort(12), devra faire réaliser un bilan cardiovasculaire complet, surtout s’il existe des facteurs de risque. En pratique Ces observations montrent que la dyspnée d’effort de l’asthmatique n’est pas nécessairement la conséquence de l’obstruction bronchique. Il n’y a pas de corrélation entre la limitation à l’exercice et la sévérité de la pathologie asthmatique. Il convient donc, devant tout patient asthmatique dyspnéique, de rechercher une étiologie à sa dyspnée. Dans ce cadre, l’EFX permet d’émettre une hypothèse sur l’origine de cette dyspnée et de proposer une prise en charge adaptée, le but étant d’améliorer la qualité de vie(13) sans systématiquement augmenter la pression thérapeutique de fond de la maladie, ce d’autant que le VEMs est peu impliqué dans l’altération de la capacité aérobie.
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