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Asthme

Publié le 06 déc 2024Lecture 9 min

Asthme et SAOS : les liaisons dangereuses

Sarah EGUIENTA, pneumologue-allergologue, Bordeaux

L’asthme et le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) sont deux pathologies avec des principes physiopathologiques propres, pourtant elles sont étroitement liées et influent chacune sur le contrôle de l’autre. Elles ont chacune une prévalence importante dans la population générale en France de 5 à 7 % pour l’asthme et de 5 à 8 % pour le SAOS. Les comorbidités doivent être prises en charge de façon optimale pour améliorer le contrôle de l’asthme, le SAOS en faisant partie, selon les recommandations du GINA 2024(1). Par ailleurs, le non-contrôle de l’asthme peut, entre autres, être à l’origine de symptômes nocturnes pouvant entraîner un défaut d’observance du traitement par pression positive continue. Il s’agit de faire une revue de la littérature afin d’essayer de comprendre ce qui lie ces deux maladies depuis leurs origines macroscopiques anatomiques jusqu’aux mécanismes cellulaires et biologiques.

De brefs rappels L’asthme est une maladie inflammatoire chronique obstructive des bronches. Il existe 5 stades de sévérité répertoriés au GINA, avec des traitements allant de la corticothérapie inhalée à faible dose aux thérapies injectables ciblées, ces dernières étant choisies selon le phénotype du patient. Le SAOS est un trouble respiratoire du sommeil caractérisé par une alternance d’apnées et/ou d’hypopnées résultant d’une obstruction des voies aériennes supérieures. On parle de SAOS si l’Index apnées/hypopnées IAH est ≥ 5/h, classé de minime à sévère en fonction de cet IAH. Le stade sévère étant atteint pour un IAH ≥ 30/h. Ces événements respiratoires étant à l’origine de micro-réveils participant à l’une des principales plaintes des patients à savoir la somnolence diurne. Au GINA 2024, il est établi que le Syndrome d’apnées du sommeil (SAS) est une comorbidité à prendre en charge afin de garantir un contrôle optimal de l’asthme. Il est intéressant de remarquer que les autres comorbidités à traiter, à savoir la rhinite chronique, la rhinosinusite, l’obésité, le reflux gastro-œsophagien, la dépression et l’anxiété sont également étroitement liées au SAS(2). Figure 1 Figure 1. Liens bidirectionnels indirects entre l’asthme, le SAOS et leurs comorbidités communes à savoir la rhinite allergique ou non allergique, le reflux gastro-œsophagien (GER), l’obésité. Bharati Prasad et al. Asthma and obstructive sleep apnea overlap: what have the evidence thougt us? 2019.   Liens macroscopiques   L’obésité L’obésité est définie par l’OMS par un indice de masse corporelle ≥ 30 kg/m2. Elle est associée à de nombreuses comorbidités et à l’origine d’un taux de mortalité élevé. En France, la prévalence de l’excès de poids (incluant le surpoids et l’obésité) était de 47,3 %, dont 17 % des sujets en situation d’obésité en 2020. Elle ne cesse d’augmenter à un rythme rapide. Elle est ainsi passée de 8,5 % en 1997 à 15 % en 2012 et 17 % en 2020(3). Les patients en surpoids et de surcroît en situation d’obésité présentent un risque accru de SAS du fait notamment d’une infiltration graisseuse des voies aériennes supérieures (VAS). Le lien étroit entre l’asthme et l’obésité n’est plus à démontrer. On sait désormais que l’obésité augmente le risque d’asthme sévère(4). L’obésité étant à l’origine d’une augmentation de l’inflammation bronchique et des exacerbations, de l’hyper-réactivité bronchique, d’une diminution de la fonction respiratoire. Les patients asthmatiques étant plus à risque de développer une obésité du fait de la réduction de l’activité physique en lien avec la dyspnée et les exacerbations, mais également du fait des cures corticoïdes. Le SAS est à l’origine d’une altération de la qualité du sommeil, cette dernière étant un facteur de risque de perte de contrôle de l’asthme. La perte de contrôle de l’asthme influant négativement sur le traitement du SAS avec une baisse d’observance des dispositifs de traitements par pression positive continue (PPC), voire d’orthèse d’avancée mandibulaire. Cela en lien avec l’inconfort respiratoire ressenti lors des exacerbations, mais également en lien avec la prise de corticoïdes oraux entraînant chez certains patients des phénomènes d’insomnie.   La rhinite La rhinite chronique, notamment allergique, est une comorbidité classique de l’asthme(5). La prévalence de la rhinite (allergique et non allergique) pouvant atteindre 80-90 %(6). Le SAS, le plus souvent obstructif (SAOS), est favorisé par une inflammation chronique des voies aériennes supérieures. Il est primordial lors de la prise en charge thérapeutique du SAOS de traiter la rhinite. Idéalement, cela même avant le diagnostic afin de ne pas porter en excès un diagnostic de SAS du fait d’une diminution du flux nasal lors des enregistrements du sommeil. Une fois le diagnostic établi et le patient traité par PPC, une rhinite mal soignée peut diminuer l’observance de la PPC du fait de l’inconfort généré par le port du masque. L’obstruction des voies aériennes supérieures pouvant causer une augmentation des pressions nécessaires au niveau de la PPC afin de lever l’obstacle mécanique. Il peut en résulter un inconfort au port du masque, les patients décrivant des phénomènes d’étouffement qu’ils peuvent souvent confondre avec des symptômes asthmatiques. Cela peut alors entraîner un recours plus fréquent aux B2 mimétiques d’action rapide, mais aussi aux corticoïdes oraux, parfois en automédication avec le risque plus important de prise de poids dont nous avons parlé précédemment. Une rhinite chronique, surtout si allergique est un facteur de non-contrôle de l’asthme et une perte de contrôle de l’asthme peut potentiellement être à l’origine d’une diminution de l’observance des traitements.   Le reflux gastro-œsophagien (RGO) Diagnostiquer et traiter un RGO permet d’améliorer le contrôle de l’asthme et de prévenir les exacerbations. Ce sont notamment les micro-inhalations de liquide gastrique qui sont à l’origine d’une augmentation de l’inflammation bronchique. Mais, étant donné les origines embryologiques communes entre l’innervation de l’œsophage et des bronches via le nerf vague, une association directe peut-être imaginée en dehors de toute micro-inhalation de liquide gastrique(7). La toux chronique étant un symptôme de perte de contrôle de l’asthme, traiter une toux sur RGO permet d’éviter d’augmenter la pression thérapeutique en traitements inhalés. Les patients obèses sont plus à risque de présenter un RGO du fait de l’embonpoint abdominal, de la perte de l’angulation entre l’estomac et l’œsophage, et des changements dans le gradient de pression transdiaphragmatique(8). Les douleurs gastriques nocturnes altérant la qualité de sommeil, l’observance de la PPC, et le contrôle de l’asthme. Les réveils nocturnes du fait du pyrosis sont souvent confondus avec des sorties d’apnées par les patients, voire des symptômes d’asthme. Les sifflements, en lien avec l’inflammation des VAS générée par le reflux, confondus avec des sibilants bronchiques(9). Les patients sous PPC se plaignent souvent de ballonnements, de sensations de pesanteur gastrique. Traiter un RGO améliore aisément cette plainte, sans avoir à modifier les pressions insufflées par la PPC. Le RGO augmentant l’inflammation des VAS, une rhinite chronique non allergique est souvent décrite chez les patients présentant un SAOS.   La dépression et l’anxiété La dépression est une comorbidité largement décrite dans l’asthme(10). Elle réduit le contrôle de l’asthme du fait de la réduction de l’observance des traitements, de l’altération de la compréhension de la maladie avec difficultés à reconnaître les symptômes d’asthme, souvent confondus avec des phénomènes d’angoisse. Les troubles du sommeil liés à la dépression, avec comme chef de file l’insomnie, réduisent l’observance de la PPC et entraînent une lassitude à la prise des traitements. Les troubles des conduites alimentaires chez les patients dépressifs sont à l’origine d’une augmentation de la prévalence de l’obésité. Sur le plan thérapeutique, les corticoïdes oraux entraînent parfois des complications psychiatriques et les benzodiazépines sont à l’origine d’apnées, notamment centrales renforçant le lien étroit entre asthme, SAS et dépression.   Liens microscopiques  Figure 2 Figure 2. Liens bidirectionnels directs entre l’asthme et le SAOS(11).   Boucle réflexe Des ronflements répétés peuvent causer des altérations des tissus mous des VAS. En plus du traumatisme mécanique, l’augmentation du tonus vagal pendant les épisodes apnéiques du SAOS déclencherait une activation des récepteurs muscariniques au niveau du muscle lisse bronchique à l’origine d’une bronchoconstriction et des crises d’asthme nocturnes.   Hypoxémie intermittente Les événements respiratoires nocturnes (apnées ou hypopnées) à l’origine de désaturations entraînent un stress oxydatif avec surcharge du système sympathique à l’origine d’anomalies endothéliales conduisant à une bronchoconstriction.   Inflammation À la fois locale et systémique avec augmentation de cytokines pro-inflammatoires (TNF-α, CRP, IL6). Le SAS est plus souvent associé aux profils asthmatiques neutrophiliques, notamment chez des patients obèses. Dans les expectorations, le taux de neutrophiles est plus important chez les patients présentant un SAS et ceux-ci sont plus souvent sujets au remodelage bronchique(12-13). Figure 3 Figure 3. Bharati Prasad et al. Asthma and obstructive sleep apnea overlap: what has the evidence taught us? American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine 2020. L’inflammation intrinsèque des voies aériennes dans l’asthme, associée à l’effet à long terme de la corticothérapie orale et inhalée, entraînerait une désadaptation des mécanismes de contrôle périphériques et centraux de la respiration. Cela prépare le terrain pour l’effondrement des voies aériennes supérieures (VAS) et l’éventuelle apparition d’un SAOS. Par ailleurs, les corticoïdes, qu’ils soient administrés par voie inhalée ou orale, favorisent des dépôts graisseux au niveau des VAS, une certaine forme de myopathie des muscles dilatateurs des VAS, et l’apparition possible d’une obésité. Une fois en place, le SAOS entraîne des phases d’hypoxémie à l’origine d’une augmentation des facteurs de l’inflammation Th2, avec comme conséquence une obstruction des bronches. Un cercle vicieux se met alors en place.   VEGF Le VEGF (Vascular Endothelial Groth Factor) est une glycoprotéine sensible à l’hypoxie. L’existence d’un SAS avec ou sans asthme peut favoriser son expression. Le VEGF contribue à l’inflammation, à l’hyper-réactivité et au remodelage bronchique. Bien que la relation entre les niveaux élevés de VEGF dans le SAS et l’asthme soit concevable, aucune donnée concluante n’est disponible actuellement.   Leptine Hormone produite par les adipocytes, mais également par l’estomac, le tissu musculaire squelettique, les cellules hypophysaires, induisant une sensation de satiété. Son taux circulant est augmenté chez l’obèse suggérant une résistance à la leptine. Cette dernière favorise la production d’IL6 et de TNF-α. Des études chez la souris suggèrent que l’administration de Leptine favorise la réponse à la méthacholine inhalée et l’augmentation du taux d’IgE totales. Elle pourrait être le lien entre l’inflammation et la stimulation des lymphocytes T dans l’asthme. Par voie nasale la Leptine pourrait diminuer les troubles respiratoires du sommeil. En effet, il a été montré qu’elle diminue le nombre de désaturations pendant le sommeil paradoxal et a augmenté la ventilation dans le sommeil lent(14).   Fragmentation du sommeil La fragmentation du sommeil et les éveils fréquents, qui sont caractéristiques du SAS, peuvent potentiellement entraîner une augmentation de la résistance des voies respiratoires. Il semblerait que les patients asthmatiques respireraient plus irrégulièrement (avec hypopnée, apnée et hyperpnée) en sommeil paradoxal que ceux sans asthme. Les troubles respiratoires du sommeil étant plus fréquents dans l’asthme sévère.   Traitements Le traitement par PPC améliore la qualité de vie des patients asthmatiques et le contrôle de leur maladie. Les patients présentant un SAS non traité ont plus souvent un déclin du VEMS, des symptômes nocturnes plus rebelles, et plus souvent des crises d’asthme diurnes (tableau). Peu d’études ont été réalisées sur le bénéfice des traitements alternatifs à la PPC, notamment l’orthèse d’avancée mandibulaire. Il semblerait que ce traitement améliore également le contrôle de l’asthme(15). Figure 4 Tableau. Études ayant investigué l’intérêt de l’utilisation d’une PPC chez des patients asthmatiques atteints de SAOS. Figure 4. Courbe de Kaplan-Meier montrant une augmentation de la mortalité chez les patients atteints d’asthme et de SAOS, en comparaison avec ceux atteints d’une seule des deux maladies.  Octavian C. Loachimescu et al. Obstructive Lung Disease and Obstructive Sleep Apnea (OLDOSA) cohort study: 10-year assessment. Journal of clinical and sleep medecine 2020.   Conclusion L’asthme et le SAS présentent des liens bidirectionnels. Un interrogatoire à la recherche de symptômes de SAS semble être indispensable lors de la prise en charge d’un patient asthmatique. Cela afin de garantir le bon contrôle des deux pathologies.

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