Laryngologie
Publié le 14 jan 2016Lecture 13 min
Le bilan de la voix en pratique clinique - Une pratique ouverte à tous
Y. ORMEZZANO, ORL phoniatre, Paris
Il est inconcevable d’envisager la moindre décision thérapeutique en otologie, qu’elle soit prothétique ou chirurgicale, sans un examen clinique du tympan sous microscope et une évaluation fonctionnelle de l’audition par audiométrie. Ce qui semble une évidence en otologie (pour des raisons de bonne pratique médicale mais aussi médico-légales) devrait aussi l’être en phoniatrie. Une éventuelle décision de rééducation orthophonique ou de microchirurgie laryngée doit aujourd’hui reposer sur des éléments décisionnels codifiés. Cet article se propose de passer en revue les éléments d’une évaluation vocale face à une dysphonie en pratique clinique courante.
L’évaluation vocale est multidimensionnelle L’évaluation vocale commence dès le début de la consultation (en faisant s’asseoir le patient !) et comporte, d’une part, des aspects à la fois subjectifs et objectifs et, d’autre part , les éléments apportés à travers les plaintes formulées par le patient et les observations médicales. L’autoévaluation est pratiquée par le patient lui-même, mais le médecin doit aussi avoir son avis sur l’importance de la dysphonie grâce à sa seule oreille... L’évaluation objective utilise les possibilités numériques apportées par l’informatique. L’examen laryngé est probablement plus familier à l’ORL même si tous ne disposent pas d’un système stroboscopique. L’autoévaluation par le patient : le « Voice handicap index » La quantification de la gêne ressentie par le patient face à sa dysphonie est quantifiable par un auto-questionnaire : le VHI (Voice handicap index ou index de handicap vocal). Mi s au point par Barbara Jacobson en 1997(1), il s’agit d’une série de 30 questions, divisées en trois sous-domaines : physique, fonctionnel et émotionnel. Chaque item évoque un aspect d’une gêne vocale comme par exemple : « Limitez-vous vos appels téléphoniques ? », « Avez-vous honte de votre voix ? », « Perdez-vous des revenus à cause de votre voix ? ». Les réponses se font sous la forme de choix forcé (de « jamais » coté 0 à « toujours » coté 4). La traduction du questionnaire(2) a été val idée en français. I l existe même une version pour la voix parlée, une autre pour la voix chantée et un questionnaire est aussi disponible en pédiatrie. Robuste en termes de répétabilité pour un même patient, ce questionnaire est aussi un bon guide pour le suivi. C’est au patient de le remplir, sans aide particulière, ni réflexion trop approfondie. Cela prend dix minutes au maximum et peut, en général, être réalisé dans la salle d’attente, avant la consultation. Trente questions cotées de 0 à 4 donnent un score de 0 à 120, qui s’exprime sous forme de pourcentage. Un score élevé est signe de dysphonie estimée comme importante par le patient, un score au-delà de 15 % étant considéré comme pathologique. Une modification du score de plus 6 % est pertinente (pour le suivi, par exemple, d’une dysphonie avant et après traitement). On affine l’évaluation avec les sous -domaines (également évalués sous forme de pourcentages) : – l’aspect physique concerne ce que le patient ne peut plus faire avec sa voix ; – l’aspect fonctionnel évalue le retentissement sur sa vie de tous les jours ; – l’aspect émotionnel donne une idée de l’importance du retentissement psychologique. Sur un plan pratique, un patient dysphonique présentant un polype, même important, non suspect sur le plan carcinologique mais avec un VHI à 12 %, pourra très bien ne pas être opéré, alors qu’il faudra sans doute être beaucoup plus interventionniste pour une patiente présentant de minuscules kissing nodules mais avec un VHI à 60 %. L’évaluation subjective acoustique : l’échelle GRBAS L’échelle GRBAS se propose de quantifier ce que le praticien entend de la voix d’un patient pour aller au-delà du simple « la dysphonie est importante » ou « la voix est voilée ». Elle a été définie par M. Hirano en 1981 et validée peu après par la Société européenne de laryngologie(3,4). Elle possède une excellente stabilité au cours du temps pour un même jury d’écoute. Il existe aussi une bonne corrélation entre différents auditeurs. Il s’agit bien d’une évaluation acoustique ; ce point est fondamental à bien comprendre. Le GRBAS (encadré 1) évalue l’aspect sonore de la voix mais pas le comportement vocal du patient. Apprendre à coter n’est pas très compliqué et se fait de façon simple pendant l’interrogatoire. Le G désigne l’importance globale de la dysphonie ; le R l’aspect rauque de la voix (lequel correspond sur un plan physique à des irrégularités rapides et brusques de la hauteur tonale ou du timbre comme dans les lésions nodulaires, par exemple) ; le B correspond à l’aspect soufflé de la voix en raison de l’existence d’une incompétence glottique ou de turbulences (comme dans une paralysie cordale, par exemple). Les deux derniers termes A et S concernent l’aspect asthénique ou, au contraire, serré de la voix. On ne peut donc coter les deux termes car ils s’excluent normalement (les deux ont été conservés pour avoir toujours une cotation entre 0 et 3). Le terme A est donc utilisé quand la voix a un aspect fatigué, hypotonique ou faible ; le terme S quand la voix semble serrée, forcée à l’occasion, par exemple mais pas forcément, d’un comportement hypertonique et trop énergique. L’échelle GRBAS caractérise particulièrement le timbre d’une voix sans l’utilisation excessive d’adjectifs. Cependant, chaque terme n’est, dans la vie réel le, pas totalement indépendant et souvent plusieurs paramètres sont altérés, aucun n’étant bien entendu pathognomonique d’une cause particulière de dysphonie. Une évaluation phoniatrique complète devrait aussi tenir compte de la manière dont le sujet produit sa voix : la technique vocale repose aussi sur la respiration et l’attitude corporelle globale. Il n’existe pas encore de consensus bien défini pour ces aspects plus spécialisés. L’évaluation acoustique objective Les paramètres physiques du son vocal : hauteur et intensité Quantifier les paramètres physiques acoustiques d’une voix est maintenant beaucoup plus facile grâce aux logiciels d’analyse vocale. Cela devrait devenir une pratique courante car ces logiciel s sont accessibles à tous, à condition toutefois de respecter une certaine rigueur dans les protocoles (mais après tout, il en va de même en audiométrie !). En effet, donner un mauvais exemple de ce que le patient doit fournir, consistera souvent à le laisser reproduire ce que l’on demande ! Il existe, dans le commerce, des systèmes avec microphone calibré fixé à 30 cm de la bouche du sujet sur un casque (figure 1) avec des logiciels de traitement du signal fournissant les paramètres reconnus par consensus international. Les échantillons vocaux sont faciles à recueillir : voyelle /a/ à « niveau confortable » (c’est celle qui présente le moins de variabilité interindividuelle) et parole continue sur 30 secondes au moins(a). (a) On évitera le texte lu ou récité par coeur pour se rapprocher de la voix habituelle du patient. On peut, bien entendu, vouloir tester un comédien en situation professionnelle : le propos est différent. Figure 1. Un casque pour enregistrer la voix. Ce système du commerce, grâce au microphone installé sur un casque, le maintient à distance constante de la bouche et est calibré pour donner une intensité absolue en décibels (dB). Les paramètres calculés sont la fréquence fondamentale modale (c’est la hauteur de la voix la plus souvent utilisée, ce qui est le plus haut pic de l’histogramme et non la moyenne) donnée en Hz ou sous forme de note de musique, et l’intensité en dB. La combinaison de ces paramètres, dont on recherchera les extrêmes, définit l’amplitude vocale. Toutefois, il faut savoir rester critique face à ces chiffres et ne pas leur faire une con fiance aveugle : une hauteur de voix n’est pas une kaliémie et chaque donnée n’est qu’un des éléments de l’évaluation globale de la voix dans un contexte de production donnée. Le phonétogramme Le phonétogramme ou Voice range profile (VRP) a été défini par Sulter (Allemagne) et validé par l’Union européenne des phoniatres. Il combine sur un même graphique l’étude de la hauteur tonale et l’intensité de la voix. Son format a été standardisé comme pour les audiogrammes : on porte pour chaque échantillon sonore mesuré un point ayant pour abscisse sa hauteur en hertz (Hz) (sur une échelle logarithmique ce qui correspond en fait aux notes de musique) et en ordonnée son intensité en décibels (dB). Si l’on peut enregistrer de la parole continue (on obtient alors un nuage de points), sa définition originelle consiste à demander au sujet de produire toutes les notes possibles depuis le grave à l’aigu selon deux modalités : voix faible et voix forte (figure 2). En pratique clinique courante, le phonétogramme permet très facilement de visualiser la hauteur tonale, la largeur de la tessiture parlée, l’intensité utilisée et surtout sa dynamique. Le phonétogramme en voix chantée indique aisément si le sujet possède un certain contrôle de ces paramètres. En pathologie, il existe très souvent, une amputation des possibilités vocales du dysphonique comme une perte dans les aigus, une impossibilité à produire une voix de faible intensité. Le temps de phonation maximum (Maximum phonation time ou MPT) Ce test très simple consiste à demander au sujet de tenir « à intensité confortable » le son /a/ le plus longtemps possible. On retient le meilleur résultat de trois essais. Le MPT est bien corrélé à la gestion correcte de la pression sous-glottique par rapport au tonus d’accolement des cordes vocales ou à la qualité de l’occlusion glottique. Il baisse en particulier en cas de fuite importante comme dans certaines paralysies laryngées. Il est donc aussi bien corrélé au facteur B du GRBAS. Une valeur normale est de l’ordre de 12 à 15 secondes. Le jitter Le jitter(b) est un paramètre qui mesure la stabilité et la régularité du vibrateur laryngé. Son augmentation est acoustiquement corrélée à l’impression de raucité et donc au facteur R du GRBAS. Il correspond aux variations microscopiques, cycle à cycle, de la fréquence fondamentale de la voix(c). Là encore, le protocole exige que le patient émette trois fois de suite un /a/ à intensité « confortable » et on retient la meilleure valeur sur un intervalle d’une seconde. Un jitter normal est inférieur à 0,53 % et augmente pour les voix pathologiques. (b) En anglais, jitter évoque la notion de « tremblote » (to give to someone the jitters signifie lui flanquer la trouille). (c) Selon sa méthode de calcul mathématique, on le trouve parfois aussi dans la littérature sous le terme de PPQ (Pitch perturbation quotient). Le DSI (Dysphonia severity index) ou l’index de sévérité de la dysphonie Présenté dès 1998 par Floris Wuyts(5), une combinaison mathématique des paramètres précédents permet de définir le DSI sous la forme d’un index de sévérité de la dysphonie (encadré 2) afin de caractériser en un seul chiffre les possibilités vocales d’un individu. Ce paramètre très utile pour suivre l’évolution d’une voix au cours du temps (en particulier avant et après traitement) a, en général, une bonne corrélation avec le score VHI. La laryngoscopie C’est sans doute l’aspect le plus connu de l’évaluation vocale par les ORL, mais s’en contenter équivaudrait à résumer l’abord d’un problème auditif à la seule otoscopie au miroir de Clar. Quel outil pour regarder les cordes vocales ? Les techniques évoluent et l’examen correct d’un larynx ne devrait plus se concevoir à l’aide du seul miroir laryngé. On peut globalement opposer l’examen au fibroscope et au tube rigide (épipharyngoscope pour les puristes). Ce dernier requiert sans doute un peu d’habitude, rarement une anesthésie locale (y compris chez les jeunes enfants), mais il permet une observation fine de la structure de la muqueuse cordale sans commune mesure par rapport au fibroscope (si on fait toutefois exception des onéreux fibroscopes à caméra haute définition intégrée, qui commencent à apparaître sur le marché). À l’opposé, le fibroscope permet de voir « à coup sûr » et est irremplaçable dans certaines dysarthries, où l’observation de l’ensemble du comportement laryngé est importante. Visualiser la vibration muqueuse n’est pas possible sans un système qui en ralentisse le mouvement. Là aussi, l’éclairage stroboscopique a laissé la place aux systèmes vidéo actuels où c’est la prise de vue (en jouant sur le shutter de la caméra) qui est cadencée sur la fréquence fondamentale, permettant l’observation du mouvement ralenti reconstitué. Les caméras à très haute vitesse sont encore d’un coût un peu prohibitif en pratique clinique. L’intérêt de la vidéo L’examen vidéo n’est pas un simple gadget. L’archivage qu’il représente permet de comparer l’évolution de la pathologie cordale d’un examen à l’autre. Il est vraisemblable que son intérêt médico-légal va aller grandissant face à l’exigence du patient, d’une part, des autorités de santé, d’autre part (bizarrement son inscription à la nomenclature CCAM n’a posé aucun problème…). Pouvoir revoir tranquillement, à plusieurs reprises, au ralenti un examen, permet aussi un diagnostic beaucoup plus fin. On inspecte mieux l’aspect exact du bord libre de la corde, le mécanisme laryngé de production vocale (de type I ou II, en gros, voix de poitrine ou de tête), la qualité du rapprochement aryténoïdien, de l’occlusion glottique, l’ampleur et la régularité et la synchronie de l’ondulation muqueuse. Seul un tel examen permet de repérer nombre de minimes mal format ions congénitales des cordes vocales (figure 3) transformant souvent une dysphonie « à cordes vocales normales au fibroscope » en véritable pathologie organique, éventuellement accessible au traitement microchirurgical. Ailleurs, une minime plaque de leucoplasie qui bloque l’ondulation de la muqueuse évoque d’emblée une infiltration de l’espace de Reinke et est donc plus suspecte sur le plan carcinologique. Conclusion L’évaluation vocale doit suivre un certain nombre de règles de bonne pratique médicale et ne saurait aujourd’hui rester dans le vague. L’approche multidimensionnelle est la seule manière de ne négliger aucun des aspects de la dysphonie et de mieux définir la décision thérapeutique en confrontant chaque élément : aspects subjectifs versus objectifs, ressenti du patient versus observation médicale. L’évaluation assure, en outre, un suivi du résultat thérapeutique : les temps actuels sont à l’évaluation de l’efficacité des traitements. Une évaluation vocale qui montre qu’une dysphonie stagne après plusieurs mois d’un traitement rééducatif doit peut-être inciter à une autre approche thérapeutique… Ailleurs, un bilan pourra être utile face à une exigence (éventuellement médico-légale) de la part d’un patient insatisfait. Finalement, tout ORL peut avoir une pratique phoniatrique : il est vrai que cela est parfois un peu chronophage, mais c’est aussi le cas en audiologie ou lors du bilan d’un vertige.
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