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Asthme

Publié le 11 déc 2018Lecture 10 min

Flore intestinale et asthme - Rôle du microbiote intestinal dans le développement de l’asthme allergique

Grégory BOUCHAUD, INRA-BIA, Nantes

Des déséquilibres du microbiote intestinal, aussi appelés « dysbioses », ont été mis en cause dans les dysfonctionnements associés aux allergies comme l’asthme. Ainsi, des différences dans la composition du microbiote intestinal ont été observées entre des enfants asthmatiques ou non. Cette relation forte entre microbiote intestinal et asthme suggère un rôle du microbiote intestinal dans le développement de l’asthme allergique et qu’une modulation de ce microbiote intestinal pourrait contribuer à prévenir et/ou à combattre cette pathologie.

Le microbiote intestinal : un organe pluripotent L’organisme humain est habité par de nombreuses bactéries principalement situées dans l’intestin et connues sous le nom de microbiote intestinal. Être habité par un si grand nombre de micro-organismes n’a rien d’anodin et l’influence du microbiote sur la physiologie de l’hôte n’est plus à démontrer. En effet, celui-ci est impliqué dans la digestion mais également dans la maturation et le développement du système immunitaire. Ainsi, plusieurs souches de bactéries commensales sont capables de moduler la réponse immunitaire adaptative. Par exemple, les bactéries segmentées filamenteuses (SFB) induisent une réponse inflammatoire intestinale de type Th17(1). À l’inverse, plusieurs souches de Clostridium sont capables d’induire des réponses immunitaires anti-inflammatoires en stimulant la prolifération de lymphocytes T régulateurs(1). Compte tenu des effets immunorégulateurs des bactéries intestinales, nous sommes en droit de penser que des altérations du microbiote pourraient conduire à un dysfonctionnement du système immunitaire, induisant l’apparition d’inflammations chroniques et d’allergies (figure 1). Figure 1. Mode d’action du microbiote sur la santé : le microbiote intestinal produit des métabolites, et ces métabolites changent dans les situations de dysbiose, ce qui peut entraîner le développement d’allergie et d’asthme. (Adapté de Thakur et al. J Pharmacol Clin Toxicol 2013). Les premiers liens entre phénomènes allergiques et microbiote sont issus d’un constat épidémiologique simple : les patients allergiques ont un microbiote différent des individus sains. En effet, plusieurs études ont montré que le microbiote d’enfants atteints d’allergies était moins diversifié que celui d’enfants non allergiques. Par ailleurs, au-delà d’une diminution générale de la diversité du microbiote, la colonisation de l’intestin par certaines souches bactériennes comme Clostridium difficile semble prédisposer les patients au développement de symptômes allergiques cutanés comme l’eczéma. À l’inverse, l’appauvrissement en certaines souches de Lactobacillus et de Bifidobacteria est associée à une augmentation de l’apparition de syndromes atopiques(2). Afin d’évaluer l’impact du microbiote intestinal sur l’apparition et la sévérité des allergies, la communauté scientifique a comparé des souris dépourvues de microbiote intestinal (on parle dans ce cas de souris axéniques) avec des souris naturellement colonisées par un microbiote. Ces souris axéniques sont caractérisées par une exacerbation de l’asthme induit par des allergènes. De plus, cette hypersensibilité aux allergènes disparaît lorsque l’on réintroduit un microbiote dans leurs intestins(3). • Notre flore intestinale est constituée de nombreuses souches de bactéries. • Elle joue un rôle majeur dans la digestion et l’immunité. • L’absence de microbiote augmente l’allergie. Microbiote intestinal et asthme : approche préclinique Ces résultats ont suggéré qu’une dysbiose intestinale pourrait jouer un rôle important dans le développement de l’asthme. La génétique, l’environnement, les facteurs alimentaires pourraient altérer le microbiote commensal et entraîner une dysrégulation inflammatoire de l’homéostasie. Ainsi, la théorie hygiéniste, largement étudiée depuis plusieurs décennies(4), expliquant le lien entre l’exposition aux microbes durant la petite enfance et l’épidémie d’allergies pourraient être raffinée en « théorie microbienne »(5). En effet, G.A. Rook et al. en 2008 ont émis l’hypothèse que si un facteur environnemental est lié à l’augmentation des maladies allergiques, celui-ci doit satisfaire à deux critères : – il doit être présent tout au long de l’évolution du système immunitaire des mammifères ; – il doit être progressivement appauvri dans les pays développés. Ainsi, un bon candidat serait le microbiote intestinal. Simultanément, de nombreuses études sur des modèles animaux d’asthme allergique ont mis en évidence l’importance de certaines souches de bactéries dans le développement de l’asthme allergique. En effet, des souches bactériennes du genre Lactobacillus sont capables de prévenir l’asthme allergique en augmentant le nombre de cellules T régulatrices et la sécrétion d’IL-10 dans un modèle d’asthme allergique à l’ovalbumine(6). De même, la colonisation du microbiote intestinal par des bactéries du genre Clostridium au niveau du côlon permet de réduire les symptômes de l’asthme et l’inflammation pulmonaire(7). Néanmoins, très peu d’études se sont intéressées aux mécanismes par lesquels le microbiote intestinal pourrait influencer l’allergie respiratoire. Il a été cependant démontré que des souris ayant reçu un régime enrichi en fibres sont protégées de l’asthme alors qu’un régime appauvri an fibres aggrave l’inflammation et la détérioration de la fonction respiratoire dans l’asthme(8). Ainsi, la teneur en fibres fermentescibles alimentaires de l’alimentation modifie la composition du microbiote intestinal en augmentant la concentration d’acides gras à courte chaîne circulants (AGCC) par métabolisation de ces fibres par les bactéries commensales. Cette augmentation de la teneur en AGCC conduit à une modification de l’hématopoïèse de cellules souches induisant une augmentation de la génération de précurseurs de macrophages et de cellules dendritiques tolérogènes capables de migrer jusqu’aux poumons et d’inhiber la réponse Th2 dans l’asthme allergique(8) (figure 2). Figure 2. L’apport en fibres alimentaires modifie l’asthme via le microbiote intestinal. Les fibres alimentaires sont métabolisées par le microbiote en acide gras à chaîne courte (AGCC) qui eux-mêmes modifient la composition du microbiote et l’immunité intestinale. De plus, ces AGCC peuvent entrer dans la circulation sanguine et atteindre la moelle osseuse, où ils favorisent la formation des précurseurs de cellules dendritiques tolérogènes capables d’atténuer la réponse inflammatoire au niveau pulmonaire dans l’asthme. Par conséquent, les fibres alimentaires, en interaction avec le microbiote intestinal, peuvent façonner l’environnement immunologique dans les poumons et influencer la gravité de l’inflammation allergique. L’un des principaux facteurs influençant la composition et la fonctionnalité du microbiote intestinal reste la période de mise en place de celui-ci et donc la période périnatale(9,10). Ainsi, il n’est pas surprenant que de nombreuses études sur la souris évaluant le rôle du microbiote intestinal dans l’asthme aient démontré un effet drastique de la période. Dans des modèles d’inflammation des voies aériennes induite par l’ovalbumine ou les acariens, une infection orale à Helicobacter pylori aboutit à la protection contre l’hyper- réactivité des voies respiratoires(11). Cependant, cette protection, médiée par les bactéries commensales, est plus apparente chez les souris infectées pendant la période néonatale par rapport aux souris infectées à l’âge adulte. De plus, des souris axéniques exposées à un microbiote normal pendant la période périnatale et chez lesquelles l’asthme était induit montraient une réduction des IgE, de l’éosinophile et des cytokines pro-inflammatoires. À l’inverse, des souris adultes exposées à ce même microbiote ne présentaient aucune protection contre l’asthme(12). De plus, l’utilisation d’antibiotiques pendant cette période avait pour effet d’aggraver l’asthme et d’exacerber l’inflammation Th1/Th17 et l’hypersensibilité pulmonaire(13,14). Il est à noter que l’utilisation d’antibiotiques va induire une dysbiose phyla spécifique. En effet, la streptomycine induira une augmentation des bactéries de type Bacteroides alors que la vancomycine de type Firmicutes(14). Cela met en évidence à la fois les effets sélectifs des antibiotiques et la capacité d’un microbiote altéré d’induire une hypersensibilité à l’asthme(15). Toutes ces études mettent en évidence une période critique dans laquelle les altérations microbiennes peuvent favoriser ou protéger contre l’asthme – période qui, jusqu’à récemment, n’était pas caractérisée chez les humains. Microbiote intestinal et asthme : études cliniques Les études chez l’animal ayant permis des avancées majeures dans l’impact du microbiote dans les maladies allergiques, une application à l’homme a rapidement émergé. Ainsi, une période critique a également été mise en évidence durant laquelle une altération du microbiote intestinal était associée au développement de l’asthme et de l’atopie (figure 3). Une première étude a montré une association entre la diversité du microbiote intestinal chez des enfants âgés de 1 mois et le développement de l’asthme durant leur scolarité. Plus récemment, une modification de la composition microbienne durant cette période, plus qu’un changement global de diversité microbienne, était associée à un risque accru d’asthme. En effet, la diminution de quatre bactéries : Faecalibacterium, Lachnospira, Rothia et Veillonella (FLVR), à l’âge de 3 mois est associée au développement d’asthme et d’atopie à 1 an(10). De plus, le transfert de ces 4 bactéries chez des souris asthmatiques permettait de réduire l’inflammation et les symptômes de l’asthme, mettant en évidence leur rôle immunomodulateur dans le développement de la pathologie. Cette modulation du microbiote intestinal peut être utilisée à des fins diagnostiques. En effet, le ratio entre les bactéries commensales Lachnospira et Clostridium neonatale dans des fèces d’enfants de 3 mois était beaucoup plus faible chez les enfants développant un asthme à l’âge d’un an(16). Ces études mettent l’accent sur le fait qu’une dysbiose dans les 3 premiers mois de vie influence le développement de l’asthme, soulignant l’importance de la période périnatale. Néanmoins, d’autres taxons bactériens (comme d’autres microbes tels que les levures, champignons ou virus) sont également associés au développement de l’asthme(17). Figure 3. Une modification précoce du microbiote intestinal influence le développement de l’asthme et des allergies. La colonisation intestinale des nouveau-nés par des bactéries de type Faecalibacterium, Lachnospira, Rothia ou Veillonella est associée à une diminution de l’apparition de l’asthme chez l’enfant d’un an ou plus. À l’inverse, la colonisation exagérée digestive néonatale par Escherichia coli ou Clostridium sont à risque de développement de l’atopie ou de l’asthme, qui sont typiquement caractérisés par des taux élevés d’IgE sériques. • Notre microbiote intestinal influe sur le développement de l’asthme allergique. • La petite enfance est une période critique pour la mise en place du microbiote. • L’analyse du microbiote pourrait permettre de diagnost iquer l’apparition de l’asthme. Conclusion La littérature actuelle suggère un rôle du microbiote dans le développement de l’asthme avec un accent particulier sur la dysbiose précoce. Notamment, des études récentes ont identifié des changements dans des genres et des espèces bactériennes spécifiques, qui pourraient finalement être utilisées comme probiotiques avant le développement de l’asthme. Ces probiotiques pour raient êt re administ rés directement au bébé, une fois que toutes les questions de sécurité auraient été abordées. Une autre option pour coloniser le nourrisson est l’exposition maternelle à ces microbes avant ou après l’accouchement. Cependant, avant d’établir ces schémas probiotiques, des changements dans les microbes des intestins et des voies respiratoires précoces pourraient également être utilisés comme diagnostics microbiens pour identifier les enfants les plus à risque de souffrir d’asthme et de maladies allergiques connexes. Avant de pouvoir appliquer ces techniques préventives ou diagnostiques, les recherches futures devraient se concentrer sur la validation des résultats actuels dans des cohortes longitudinales de grande ampleur et sur l’amélioration des modèles de souris ayant un microbiote humanisé pour caractériser les interactions cellulaires entre bactéries et cellules immunitaires dans l’asthme. De plus, des stratégies de séquençage métagénomique ciblé et métabolique utilisant des échantillons de selles, d’urine et potentiellement de lait maternel dans des cohortes humaines permettront de mieux caractériser les rôles fonctionnels de ces taxons spécifiques dans le développement immunitaire des nourrissons. En outre, pour mieux comprendre cette période précoce de mise en place du microbiote, des cohortes longitudinales avec une col lecte de selles à partir de la naissance et jusqu’à 1 an, associée à la collecte d’échantillons biologiques supplémentaires pendant les 3 premiers mois de la vie (bien que cela ne soit pas souvent possible) serait idéale pour déterminer si ces altérations microbiennes intestinales surviennent avant la mise en place de la tolérance. De plus, de nombreux autres organismes microbiens (champignons et autres eucaryotes et virus) jouent un rôle clé dans la physiologie de l’hôte et le développement immunitaire. Avec la caractérisation d’autres microbiotes du corps humain (placenta, lait maternel, etc.), il est probable que nous identifierons encore plus de taxons microbiens associés aux maladies des voies respiratoires. Il existe des preuves chez la souris que l’asthme est une maladie d’origine développementale, médiée par des altérations microbiennes intestinales maternelles dans l’utérus. Il sera donc important d’incorporer des analyses pour identifier potentiellement : • Comment les enfants sont colonisés par des microbes spécifiques liés à l’asthme ? • Les rôles d’autres taxons microbiens dans la pathogenèse de l’asthme. Dans ce domaine, les orientations futures offrent une perspective passionnante pour les futurs traitements préventifs à base de microbes ainsi que pour les stratégies de diagnostic pour l’asthme et les maladies atopiques chez les enfants. L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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