Publié le 14 mar 2019Lecture 9 min
Pneumopathies d’hypersensibilité
Jean-Charles DALPHIN, Anne GONDOUIN, Service de pneumologie, CHU de Besançon
À l’heure actuelle, l’environnement est « à la mode ». Il est perçu de manière variable, souvent comme une entité à protéger, mais aussi parfois comme un monde hostile, incriminé dans de nombreuses pathologies. Les pneumopathies d’hypersensibilité (PHS) en font partie et, malgré leur relative rareté, leur connaissance est indispensable à un diagnostic rapide, car seule la modification de l’environnement pourra permettre la guérison.
Les pneumopathies d’hyper-sensibilité (aussi appelées alvéolites allergiques extrinsèques) sont des pathologies liées à l’environnement, qu’il soit professionnel ou domestique, et résultent d’une inhalation répétée d’antigènes responsables, chez un patient préalablement sensibilisé, d’une réaction inflammatoire granulomateuse pulmonaire.
Les formes les plus connues sont la maladie du poumon de fermier et la maladie des éleveurs d’oiseaux, mais de très nombreux antigènes et circonstances d’exposition ont été identifiés ces dernières années. Cependant,certaines PHS dont le diagnostic est certain restent parfois sans cause identifiée.
Les critères diagnostiques des PHS ne sont pas standardisés.Plusieurs propositions d’algorithmes diagnostiques ont été publiées récemment(1,2), donnant toutes une part importante aux aspects radiologiques et à la notion d’exposition à un antigène connu pour donner des PHS, qui est un critère majeur.
L’évolution des PHS est très variable, allant de la guérison complète à des formes graves fibrosantes ou, moins connues,emphysémateuses. Elle dépend des antigènes en cause, de la rapidité du diagnostic, de la réalisation possible et effective d’une éviction antigénique qui est le seul traitement efficace.
Antigènes en cause et circonstances étiologiques
Les antigènes le plus souvent impliqués dans les PHS sont des micro-organismes fongiques et bactériens, mais aussi des substances protéiques animales, et enfin plus rarement des agents chimiques.
Les bactéries et moisissures
Ce sont des agents fréquemment rencontrés dans les milieux professionnels : en premier lieu l’agriculture de production laitière, où le foin moisi est responsable de l’une des PHS les plus fréquentes, la maladie du poumon de fermier, mais aussi dans de nombreuses autres professions.
Les moisissures sont aussi les agents rencontrés dans la grande majorité des cas de PHS domestiques : développement dans des pièces humides, froides, sombres,dans des logements mal ventilés,ou trop bien isolés, sans système de renouvellement d’air performant, ou après dégâts des eaux.
• Les mycobactéries non tuberculeuses (MNT)
Elles ont une place à part :
– Mycobacterium immunogenum est un micro-organisme qui peut coloniser les huiles de coupes utilisées pour la lubrification et le refroidissement des métaux sous contrainte thermique, en particulier dans l’industrie automobile. Leur inhalation est responsable de la PHS des mécaniciens.
– Mycobacterium avium intracellularese développe dans les eaux des jacuzzis mal désinfectés et plus rarement dans les saunas, piscines, sanitaires de complexes hôteliers, douches ou baignoires individuelles. Cette MNT est responsable du « poumon des jacuzzis ».
Les substances protéiques animales
Ce sont les antigènes rencontrés essentiellement dans la PHS la plus fréquente à l’échelle planétaire : PHS aviaire ou poumon des éleveurs d’oiseaux. Les substances les plus antigéniques proviennent des colombidés, mais de nombreuses espèces d’oiseaux domestiques ou sauvages ont été mises en cause.
Les agents chimiques
Les isocyanates sont responsables des PHS d’origine chimique les plus documentées.
Une liste d’antigènes et de circonstances étiologiques est disponible dans un article récent paru dans l’Encyclopédie médico-chirugicale-pneumologie(3).
Diagnostic
Clinique
La description clinique des PHS a fait classer celles-ci en 3 stades(4): aigu, subaigu et chronique, mais cette classification peut prêter à confusion, pouvant faire croire à un continuum entre ces trois formes, à la gravité de la forme dite« aiguë », pourtant habituellement bénigne, ou à l’uniformité des formes chroniques, alors que celles-ci ont une présentation très variable et peuvent être séquellaires, ou encore actives.
Les données de l’Hypersensitivity Pneumonitis Study(5) ont permis de proposer une nouvelle classification en deux catégories intéressante, car elle distingue deux types de PHS pour lesquelles le mode d’exposition, l’évolution et le pronostic sont différents :
• Les PHS de type 1 comportent des symptômes systémiques récidivants (fièvre, frissons, myalgies et arthralgies) et une radiographie pulmonaire normale. Elles surviennent préférentiellement chez des sujets exposés aux micro-organismes de manière importante et intermittente (comme dans le poumon de fermier), avec une évolution favorable généralement, mais parfois emphysémateuse.
• Les PHS de type 2 se présentent avec une symptomatologie d’insuffisance respiratoire(dyspnée, hippocratisme digital, hypoxie), un syndrome restrictif et une fibrose en tomodensitométrie thoracique. Elles correspondent à une exposition chronique à de faibles niveaux d’antigènes (comme dans la PHS aviaire), avec une évolution fibrosante.
Examens complémentaires
Pour comprendre les images radiologiques et les données fonctionnelles des PHS, il faut au préalable en connaître les aspects histologiques.
• Les aspects histologiques
Il existe une triade histopathologique caractéristique des PHS :
– granulomes : de petite taille, mal organisés, sans nécrose caséeuse,de localisation centrolobulaire, formés de lymphocytes, mais aussi de polynucléaires neutrophiles,macrophages, plasmocytes et mastocytes, accompagnés de cellules géantes ;
– bronchiolite cellulaire : infiltration lymphocytaire et granulomateuse de la paroi des bronchioles ;
– pneumopathie interstitielle cellulaire, essentiellement lymphocytaire.
Dans les formes chroniques peuvent se voir des lésions de fibrose ou d’emphysème lié à la constitution d’une fibrose péri-bronchiolaire.
Ces lésions éclairent bien :
• Les aspects radiologiques
– les granulomes inflammatoires, centrolobulaires, malformés, sont visibles en tomodensitométrie thoracique sous l’aspect de nodules flous de localisation centrolobulaire (figure 1) ;
– la compression des bronchioles par les granulomes expliquent le trappage de l’air dans les alvéoles, qui est parfois seulement visible en expiration, les coupes expiratoires étant essentielles au diagnostic de PHS. Ce trappage expiratoire donne un aspect « en mosaïque » (figure 2, a et b) ;
– enfin, les cellules inflammatoires présentes dans les alvéoles sont responsables de l’aspect « en verre dépoli », qui est irrégulier, avec un aspect souvent en « carte de géographie » (figure 3).
Figure 1. Tomodensitométrie thoracique, coupes millimétriques, en inspiration. Nodules flous des deux champs pulmonaires. Forme subaiguë de maladie du poumon de fermier (type 1).
Figure 2. Tomodensitométrie thoracique, coupes millimétriques, en inspiration (a) et expiration (b). Opacités en verre dépoli associées à des clartés segmentaires (a), accentuées sur les coupes expiratoires, sans perte de volume des zones hypodenses, traduisant un piégeage aérique en expiration (b).
Figure 3. Tomodensitométrie thoracique, coupes millimétriques en inspiration. Opacités en verre dépoli dense, en carte de géographie.
Dans les cas de PHS évoluées,on peut voir de véritables formes chroniques emphysémateuses, où les phénomènes de compression et de fibrose bronchiolaire ont prédominé, essentiellement dans les formes d’étiologie microbienne comme le poumon de fermier et les PHS domestiques liées aux moisissures (figure 4).
Figure 4. Tomodensitométrie thoracique, coupes millimétriques en inspiration. Lésions emphysémateuses des deux lobes inférieurs. Forme chronique de poumon de fermier.
Mais on peut aussi voir des lésions de fibrose évoluées, où ce sont les phénomènes de fibrose interstitielle qui se sont développés, notamment dans les formes d’origine aviaire (figure 5).
Figure 5. Tomodensitométrie thoracique, coupes millimétriques en inspiration. Aspect de fibrose pulmonaire avec réticulations, distorsion architecturale avec bronchectasies de traction pouvant évoquer une pneumopathie interstitielle commune, mais la répartition périphérique et basale fait défaut et on note encore quelques plages en verre dépoli. PHS aviaire.
Ces formes chroniques sont difficiles à reconnaître et peuvent prendre le masque d’autres pathologies, comme la fibrose pulmonaire idiopathique. Dans ces cas, il faut être très attentif aux signes associés à la fibrose, qui peuvent être peu nombreux : quelques granulomes, quelques images de trappage aérique, et à la répartition des signes de fibrose qui sont plus situés dans les champs supérieurs et moyens.
• Les aspects fonctionnels
– trouble ventilatoire restrictif,inconstant et hypoxie, de repos ou apparaissant seulement à l’effort ;
– trouble ventilatoire obstructif distal fréquemment rencontré et lié à l’atteinte bronchiolaire ;
– diffusion de l’oxyde de carbone (DLCO) abaissée. À noter que, si les anomalies des volumes et des débits sont le plus souvent réversibles en quelques jours ou quelques semaines en cas d’éviction complète de l’antigène en cause, la DLCO reste altérée jusqu’à 1 an après le diagnostic, ce qui en fait un examen de valeur lorsque le patient est vu avec retard.
Les données du lavage bronchoalvéolaire (LBA)(6)
• Hypercellularité, avec hyperlymphocytose (> 30 % chez les non-fumeurs, > 20 % chez le fumeur), dont l’absence élimine le diagnostic de PHS.
• Les autres cellules inflammatoires constituant le granulome (polynucléaires neutrophiles, mastocytes, plasmocytes, macrophages spumeux) peuvent aussi être mises en évidence et cette formule panachée est très évocatrice d’une PHS en particulier lorsque le lavage est fait en période aiguë.
Les précipitines
Ces anticorps précipitants dirigés contre les antigènes responsables des PHS permettent de confirmer une sensibilisation repérée par l’interrogatoire.
Il existe des panels prédéfinis en fonction du type de PHS suspectée (précipitines « du poumon de fermier » ou « des éleveurs d’oiseaux »). Mais l’identification de la cause nécessite parfois un interrogatoire policier, voire une visite au domicile du patient ou sur son lieu de travail pour faire des prélèvements de surface ou aériques afin d’identifier une source antigénique et confirmer la sensibilisation du patient par des précipitines dirigées contre les allergènes ainsi mis en évidence (précipitines « à la carte »).
Il faut garder à l’esprit que « sensibilisation » n’est pas synonyme de PHS. Certaines personnes peuvent avoir des précipitines témoignant de l’exposition, sans que cela induise une pathologie.
Traitement
L’éviction de l’antigène dans l’environnement du patient est le traitement de référence. Il faut être intransigeant sur cette éviction dans les formes domestiques, et professionnelles où le reclassement est possible (patients salariés). Dans certains cas (exploitants agricoles non salariés qui ne peuvent se reconvertir complètement pour des raisons économiques), on peut conseiller des mesures de prévention individuelles et collectives (port de masque, réaménagement des conditions de travail, etc.) qui ont fait la preuve de leur efficacité avec possibilité de la poursuite de l’activité professionnelle sans risque respiratoire majeur pour les formes de type 1 sans fibrose.
On peut proposer, dans les formes de présentation aiguë et grave, une corticothérapie par voie systémique sur quelques semaines qui permet une amélioration plus rapide initialement, mais dont les effets ne sont pas significatifs sur la fonction respiratoire à long terme. Par ailleurs, cette corticothérapie ne doit pas, par l’amélioration qu’elle induit, donner le sentiment d’une fausse sécurité et faire négliger les mesures d’éviction.
Aspects médicolégaux
Les PHS sont citées dans les tableaux 47, 62 et 66 bis du régime général, et 45 B, C, D du régime agricole. Il faut noter que ces tableaux sont imparfaits, ne sont pas toujours conformes, pour certains, aux données scientifiques actuelles (ne mentionnant pas par exemple l’imagerie thoracique), n’indiquent pas les formes chroniques emphysémateuses et contiennent une liste limitative de travaux en cause, alors que la liste des antigènes ne cesse s’allonger.
Cependant, dans les formes non prises en compte dans ces tableaux, la reconnaissance reste possible dans le système complémentaire (Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles).
En pratique, on retiendra
En présence d’une pneumopathie interstitielle diffuse, l’importance de l’interrogatoire à la recherche d’une exposition à un antigène connu pour donner des PHS ;
Le diagnostic parfois évident lorsque la présentation radiologique est typique, et l’exposition classique facilement retrouvée (agriculteur, éleveur d’oiseaux, etc.) ;
Le diagnostic parfois difficile en particulier dans les formes chroniques fibrosantes ou emphysémateuses, où les diagnostics différentiels sont nombreux et où l’on doit rechercher avec soin l’association de signes radiologiques typiques ;
L’éviction antigénique comme seul traitement efficace.
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