Publié le 12 mar 2020Lecture 6 min
Conduite à tenir face à une surdité brusque
Pauline CHARNAVEL, Lise BILLON-GALLAND, Ruben HERMANN, Éric TRUY, Hôpital Édouard Herriot, Lyon
Les atteintes cochléaires en urgence regroupent plusieurs entités physiopathologiques. Nous nous intéresserons plus particulièrement à la surdité brusque. En effet, cette surdité reste un sujet controversé du fait de l’incertitude de l’étiopathogénie impliquée et donc des thérapeutiques utilisées.
Rappel entre surdité brusque et brutale
La surdité brusque (SB) est une surdité de perception, avec une perte auditive d’au moins 30 dB sur 3 fréquences successives, apparue brutalement (< 24 h) et dont l’étiologie est indéterminée. Elle peut s’accompagner d’acouphènes et de vertiges. L’âge moyen d’apparition est de 50 ans et le sexe ratio de 1.
Elle se distingue des surdités brutales qui, elles, ont une cause retrouvée : traumatique, barotraumatique, infectieuse, ototoxique…
Quelles sont les causes à l'origine d'une surdité brusque ?
L’interrogatoire et l’examen clinique s’efforceront d’éliminer les arguments en faveur d’une surdité brutale.
Devant une surdité brusque, le praticien recherchera les antécédents du patient, car selon Byl et coll., le diabète et la présence de facteurs de risque cardiovasculaire sont des éléments de moins bon pronostic, tout comme la présence de vertiges ou d’acouphènes(1).
Il existe plusieurs étiopathogénies suspectées à l’origine d’une surdité brusque. Parmi elles, l’origine vasculaire (hémorragie, ischémie, spasme vasculaire) prend une place importante. En effet, l’étudede Kim et coll. montre qu’il existe une association statistiquement significative entre surdité brusque et risque d’accident vasculaire cérébral ischémique. Cette association est d’autant plus forte que les patients sont de sexe masculin et d’âge > 50 ans(2). Cette information est primordiale pour le bilan à effectuer.
L’origine auto-immune est également évoquée. Des auto-anticorps dirigés contre la cochlée seraient à l’origine de la perte d’acuité auditive.
L’hypothèse infectieuse, en particulier virale, est à prendre en compte. D’après l’article de Merchant et coll.(3), les études épidémiologiques et sérologiques confirment l’imputabilité du virus des oreillons. Cependant, cette situation ne concernerait qu’une proportion minime des cas de surdité brusque (< 10 %). Les données épidémiologiques, histopathologiques, ou encore la mise en évidence d’autres virus dans les liquides périlymphatiques font actuellement défaut. Ces arguments, associés à l’absence d’efficacité des traitements antiviraux (ciblant la famille des Herpesviridae), ne plaident pas en faveur d’une invasion virale labyrinthique ou d’une névrite en tant que facteur causal. Les auteurs évoquent l’hypothèse d’une infection virale systémique qui pourrait activer les voies du « stress pathologique » dans la cochlée (via le facteur nucléaireNF-kB), ou encore générer la synthèse d’anticorps dirigés contre des antigènes cochléaires, ce qui rejoint l’hypothèse auto-immune. La rupture de la membrane de Reisler ainsi que des causes pressionnelles pourraient être à l’origine d’une surdité brusque.
Quels examens complémentaires ?
Les examens complémentaires réalisés permettent d’orienter le diagnostic.
Examens audiophonologiques
L’audiométrie posera le diagnostic positif et déterminera la profondeur de la surdité. Cinq types de courbe, associés à des pronostics variables, peuvent être retrouvés. En l’absence d’ancienne audiométrie, l’oreille controlatérale fait office de référence. L’audiométrie permettra le suivi de la récupération.
Audiométrie
Voir figure. En cas de signes vestibulaires, une vidéonystagmographie sera demandée.
Figure. Surdité de perception avec perte de 30 dB sur 3 fréquences.
Bilan biologique
Dans l’hypothèse d’une origine vasculaire(2), un bilan biologique incluant une NFS, un bilan de coagulation, un bilan lipidique, une glycémie à jeun seront prescrits. En cas d’anomalie, un bilan cardiovasculaire et neurologique doit s’envisager, car rappelons-le il existe une association statistiquement significative entre surdité brusque et risque d’accident vasculaire cérébral ischémique. Il sera ajouté à la prise de sangdes sérologies de Lyme, VIH et syphillis. Bilan d’imagerie Il comportera une IRM réalisée à distance (2 mois) afin d’éviter les phénomènes d’exitotoxicité. Il sera possible de retrouver des anomalies de signal du labyrinthe permettant de diagnostiquer des hémorragies intralabyrinthiques ou des inflammations, mais également des anomalies sur le nerf telles que des schwannomes. Le scanner ne sera demandé qu’en cas de suspicion de malformations labyrinthiques.
Quel est le degré d'urgence dans le traitement d'une surdité brusque ?
Des modèles expérimentaux montrent qu’une altération de la perfusion cochléaire de moins d’une heure entraîne des lésions irréversibles sur l’audition. Afin d’espérer être efficace, il faudrait instaurer un traitement dans l’heure suivant l’apparition de la surdité brusque. Les patientsconsultant dans des délais plus importants, l’altération de la fonction auditive est déjà présente au moment de la consultation et l’urgence devient alors relative.
De plus, l’équipe du Pr Tran Ba Huy a montré, dans une étude prospective portant sur 321 cas, qu’il n’y avait pas de différence significative de l’efficacité du traitement lors de son instauration dans les 6 premiers jours(4). Les études observationnelles sur l’évolution spontanée des surdités brusque montrent que 2/3 des patients récupère spontanément dans les 15 premiers jours. Les études thérapeutiques montrent, quant à elles, une récupération, après traitement, de 65 à 70 %. Ces chiffres se rapprochent de la récupération spontanée.
Le pronostic fonctionnel de la surdité brusque ne dépend pas que de la rapidité d’introduction d’une thérapeutique. Compte tenu de la récupération spontanée dans les 15 premiers jours les retards au traitement sélectionnent les cas d’évolution défavorable et les traitements précoces sélectionnent les bons cas.
Quels traitements ?
Les corticoïdes sont communément prescrits dans le traitement de la surdité brusque même si leur efficacité semble discutée. En effet, il n’est pas retrouvé dans la littérature de supériorité par rapport à un placebo. Ils peuvent être administrés PO à la dose de 1 mg/kg/j pendant 8 à 10 jours ou par voie transtympanique à l’occasion d’injections répétées.
Ashtiani et coll. ont étudié, dans un essai randomisé en triple aveugle, l’efficacité des corticoïdes transtympaniques versus par voie orale versus association transtympanique et voie orale. Ils ne montraient pas de différence significative entre les 3 types de traitement(5).
Les injections transtympaniques de corticoïdes ont une efficacité équivalente à la voie orale. Elles consistent en l’injection répétée d’une solution de méthylprednisone ou de dexaméthasone à travers le tympan. Cependant, leur administration est plus contraignante avec des consultations répétées sur une période de 15 jours et une augmentation du coût du traitement. On utilisera la voie transtympanique comme traitement de sauvetage ou comme alternative chez les patients présentant une contre-indication aux corticoïdes PO tel que les patients diabétiques(6,7).
En ce qui concerne les traitements par vasodilatateurs, oxygène hyperbare, solutés de bas poids moléculaire, antiviraux une métaanalyse de 2007(8) ne montre pas de supériorité d’une thérapie adjuvante associée aux corticoïdes par rapport aux corticoïdes seuls.
De plus, comme le suggèrent plusieurs études, les antiviraux n’ont pas d’effet supplémentaire prouvé en association aux corticoïdes(9).
La prescription d’un traitement antiviral ne trouve pas d’indication dans le traitement d’une surdité brusque.
Par ailleurs, il est de mise d’expliquer au patient l’importance du repos auditif. L’absence de stimulation sonore permet d’éviter les phénomènes délétères d’exitotoxicité. Ainsi, une hospitalisation se discute en cas d’impossibilité de repos auditif, de surdité brusque profonde, ou de surdité bilatérale. Dans les autres cas, un traitement à domicile avec un arrêt de travail de 10 jours est justifié.
Conclusion
• Idiopathique, MAIS…
• Bilan cardiovasculaire, neurologique à discuter du fait d’un risque accru d’accident vasculaire cérébral ischémique.
• IRM à distance (repos auditif).
• Traitement par corticoïdes PO à 1 mg/kg/j pendant 8-10 jours, quel que soit le délai de la consultation.
• Corticoïdes transtympaniques réservés aux patients fragiles ou en solution de rattrapage en cas de mauvaise récupération de l’audition après le traitement PO.
• Facteurs de mauvais pronostic :
– profondeur de la surdité et courbes de types C et E ;
– signes cochléo-vestibulaires ;
– âge élevé et comorbidités.
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