Publié le 17 déc 2020Lecture 8 min
La radiofréquence en rhinologie
Geoffrey MORTUAIRE, Maître de conférences des Universités - praticien hospitalier ; Faculté de médecine - université de Lille 2 ; Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, hôpital Huriez
La radiofréquence (RF) en rhinologie est une technique consistant à délivrer une onde radioélectrique de basse fréquence (≤ 300 GHz) au moyen d’électrodes bipolaires sous la muqueuse nasale. Elle est classiquement proposée dans la prise en charge symptomatique de l’obstruction nasale invalidante résistante au traitement médical dans la rhinite chronique. Une indication plus récente a été décrite dans le traitement des épistaxis notamment au cours de la maladie de Rendu-Osler.
RF et obstruction nasale
Bilan de l’obstruction nasale
L’obstruction nasale (ON) est le symptôme le plus fréquemment décrit en rhinologie. Il s’agit d’un signe clinique majeur dont l’impact sur la qualité de vie a été largement démontré. L’ON peut être d’origine muqueuse et ostéo-cartilagineuse. Le bilan clinique d’une ON chronique (d’une durée supérieure à 12 semaines) s’appuie sur :
– la description de ses caractéristiques fonctionnelles (uni ou bilatérale, évolutivité selon le temps et le lieu, permanente ou intermittente, signes associés [dysosmie, rhinorrhées, douleurs, épistaxis, éternuements]) ;
– l’examen en rhinoscopie antérieure et en fibroscopie souple des cavités nasales ;
– l’observation d’anomalies muqueuses ou osseuses sur une imagerie naso-sinusienne (tomodensitométrie ou cone beam CT).
Cette analyse séméiologique permet de préciser la place de l’ON muqueuse dans les différents cadres étiologiques définis par l’EPOS 2012 (rhinite chronique allergique ou non allergique, rhino-sinusite chronique avec ou sans polypes, pathologies tumorales)(1). L’examen en rhinoscopie antérieure et en fibroscopie souple des cavités nasales est essentiel pour rechercher d’autres facteurs anatomiques architecturaux (déformations osseuses ou cartilagineuses des régions nasales, septales ou turbinales) concourant à l’ON ostéo-cartilagineuse.
Lorsque l’ON d’origine muqueuse survient au cours d’une rhinite chronique allergique, son traitement est guidé, selon les critères proposés par l’ARIA (Allergic Rhinitis and Its Impact on Asthma), par la durée des symptômes (intermittents ou persistants) et par leurs conséquences sur le sommeil et les activités (rhinite légère, modérée ou sévère)(2). Le traitement comporte les antihistaminiques, les antileucotriènes (cromones), puis la corticothérapie topique.
Les décongestionnants locaux et la corticothérapie par voie générale peuvent être utilisés en cure courte. L’immunothérapie allergénique est proposée dans les formes modérées à sévères. Lorsque l’ON d’origine muqueuse survient au cours d’une rhinite chronique non allergique, son traitement s’appuie sur les corticoïdes topiques et les décongestionnants locaux en cure courte.
En cas d’ON d’origine muqueuse invalidante et persistante au cours d’une rhinite chronique, une prise en charge chirurgicale par turbinoplastie inférieure peut être proposée lorsque les traitements médicaux symptomatiques précédemment cités sont inefficaces. La prise en charge conjointe d’une déviation septale peut se discuter notamment lorsque l’ON est à prédominance unilatérale. Pour être réalisée, la turbinoplastie inférieure nécessite qu’une hypertrophie muqueuse des cornets inférieurs soit identifiée. Celle-ci est observée au cours de la fibroscopie nasale souple réalisée avant et après application de vasoconstricteurs locaux (figure 1). Les techniques d’explorations fonctionnelles peuvent aussi être utiles au diagnostic. La rhinomanométrie permet de comparer les résistances nasales mesurées à des valeurs normales établies dans une population témoin(3). La rhinométrie acoustique permet d’évaluer la géométrie des cavités nasales et de mesurer la compliance nasale(4). L’amélioration des résistances nasales (figure 2) et des caractéristiques géométriques sous vasoconstricteurs locaux est évocatrice d’une hypertrophie muqueuse des cornets inférieurs.
Figure 1. Réduction de l’œdème turbinal inférieur gauche sous vasoconstricteurs locaux.
A. Avant application d’un vasoconstricteur local. B. Après application d’un vasoconstricteur local.
(1) Cornet inférieur gauche, (2) déviation septale modérée révélée par la vasoconstriction muqueuse, (3) cornet moyen gauche.
Figure 2. Amélioration des résistances nasales sous vasoconstricteurs locaux.
Courbes débit-pression en rhinomanométrie antérieure.
Courbes en noir = sans vasoconstricteurs, courbes en vert = avec vasoconstricteurs.
Amélioration des résistances nasales à droite après application d’un vasoconstricteur local.
Turbinoplastie inférieure par radiofréquence
Plusieurs techniques ont été proposées pour réduire le volume muqueux des cornets inférieurs. La cautérisation électrique standard direc tement au contact de la muqueuse turbinale a longtemps été réalisée dans cette indication. L’échauffement qu’elle induit pouvait atteindre 800°C et provoquer des zones de nécroses tissulaires à l’origine de croûtes perssistantes , d’épistaxis et de cicatrices fibreuses altérant le drainage muco-ciliaire. La RF, introduite il y a presque 20 ans, est quant à elle délivrée à des températures plus faibles (entre 60 et 90 °C) dans l’espace situé entre l’armature osseuse du cornet et la muqueuse de recouvrement, directement au contact des tissus caverneux du chorion. Les risques plus faibles de lésions muqueuses permettent de préserver la fonction muco-ciliaire tout en assurant une rétraction sous muqueuse des cornets inférieurs(5,6). La RF est le plus souvent réalisée sous anesthésie locale. Sous contrôle visuel ou optique, les cornets inférieurs sont infiltrés par de la lidocaïne (10 mg /ml) à l’aide d’une aiguille 25 gauge. La RF est délivrée à l’aide d’une pièce à main bipolaire (figure 3) à la puissance de 40 watts pendant 20 secondes en suivant le bord médial et inférieur de chaque cornet inférieur (800 joules par côté). Un traitement antalgique de niveau 1 peut être prescrit les premiers jours, associé à des lavages de nez par solution saline et à des pulvérisations de topiques lubrifiants pour limiter les croûtes au point de pénétration des pointes de la bipolaire. L’amélioration de l’ON peut être obtenue après 4 à 6 semaines de cicatrisation. Il n’est pas rare d’observer une recrudescence de la congestion nasale les premiers jours qui suivent l’intervention.
Figure 3. Turbinoplastie inférieure gauche par radiofréquence. Introduction des électrodes bipolaires dans la tête du cornet inférieur gauche.
(1) Cloison nasale, (2) cornet inférieur gauche, (3) cornet moyen gauche.
Les résultats fonctionnels et la tolérance de la RF sont très largement décrits dans la littérature. Une analyse prospective menée sur 52 patients traités par RF pour une ON chronique persistante dans la rhinite chronique retrouvait une amélioration des scores de qualité de vie NOSE et RhinoQOL et des résistances nasales en rhinomanométrie antérieure à 3 mois(7). Une autre étude réalisée sur 20 patients traités par RF pour la même indication décrivait une diminution de l’intensité de l’ON et de la fréquence des épisodes d’ON mais sans modification des résistances nasales à 6 et 12 mois(8). Une revue de la littérature publiée en 2009 sur la RF turbinale regroupant les résultats de 35 publications n’observait qu’une altération transitoire entre J7 et J60 du drainage muco-ciliaire évalué sur le temps de transit de la saccharine. Les douleurs ainsi que les épistaxis postopératoires étaient le plus souvent absentes ou modérées. Dans cette revue, une amélioration de l’ON pouvait être observée dès 3 semaines. La tolérance du geste était telle que la plupart des patients (89 %) acceptait une nouvelle intervention par RF en cas d’ON résiduelle(9).
La sélection des patients pour la réalisation du geste de RF s’appuie sur l’appréciation clinique de l’œdème muqueux turbinal et son niveau de réversibilité sous vasoconstricteurs locaux. Le degré d’amélioration des résistances nasales au cours de la rhinomanométrie préopératoire réalisée sans et avec vasoconstricteurs locaux n’est pas toujours lié au gain fonctionnel ressenti par le patient après le geste(10).
D’autres techniques chirurgicales sont proposées dans le traitement de l’hypertrophie muqueuse des cornets inférieurs : turbinoplastie au laser, turbinoplastie par microrésection instrumentale. Une étude randomisée réalisée en 2014 sur 26 patients évaluait la turbinoplastie par RF et par laser diode appliquée pour chaque patient sur l’un et l’autre des cornets inférieurs. Les résultats en termes d’amélioration subjective de l’ON et de réduction des résistances nasales en rhinomanométrie étaient comparables entre les deux techniques(11). Une autre étude prospective comparant la RF à la microrésection et menée sur 120 patients retrouvait des résultats meilleurs à 1 et 2 ans pour la microrésection sur l’amélioration subjective de l’ON et la réduction des résistantes nasales en rhinomanométrie(12).
RF et épistaxis
La prise en charge des épistaxis dans un contexte traumatique ou de troubles de l’hémostase répond à un schéma thérapeutique graduel basé sur le méchage, la cautérisation électrique ou la radio-embolisation sélective(13,14). La maladie de Rendu Osler à transmission autosomique dominante se caractérise par la présence de télangiectasies muqueuses (figure 4) responsable d’épistaxis quotidiennes invalidantes à l’origine d’une anémie chronique(15). En dehors de l’exclusion des cavités nasales par fermeture des narines, aucune méthode ne peut prétendre obtenir un tarissement définitif des épistaxis(16). Plusieurs techniques par cautérisation laser ou injection d’agents sclérosants au niveau des télangiectasies sont décrites avec des résultats variables selon les équipes.
Figure 4. Télangiectasies muqueuses septales antérieures droites.
(1) Cloison nasale, (flèches) télangiectasies.
La RF par sa propriété de faible diffusion thermique a plus récemment été proposée dans cette indication. Une étude pilote publiée en 2013 décrivait la procédure réalisée sous anesthésie locale. Après tamponnement au chlorhydrate de lidocaïne (5 g/100 ml) associé à la naphazoline (20 mg /200 ml) pendant 15 minutes, une infiltration sous muqueuse de la région septale à l'aiguille 25 gauge est réalisée au chlorhydrate de lidocaïne adrénaliné (10 mg /ml). En différents points, la RF est ensuite appliquée à la puissance de 10 watts en sous-muqueux pour obtenir un blanchiment des télangiectasies (figure 5). Cette technique initialement évaluée sur 16 patients semble permettre une diminution de la fréquence et de l’intensité des épistaxis avec des phénomènes croûteux et douloureux limités(17). Les résultats de cette étude doivent être confirmés pour envisager son utilisation en routine.
Figure 5. Radiofréquence septale antérieure droite.
(1) cloison nasale, (flèches) blanchiments de télangiectasie.
Conclusion
Toute obstruction nasale chronique nécessite une évaluation complète basée sur l’interrogatoire, la fibroscopie nasale et l’imagerie qui permettent d’en préciser l’étiologie et la prise en charge.
La radiofréquence est essentiellement proposée pour traiter l’hypertrophie muqueuse des cornets inférieurs responsable de l’obstruction nasale persistante dans les rhinites chroniques.
Le test aux vasoconstricteurs locaux sous fibroscopie nasale ou rhinomanométrie permet de préciser l’intérêt thérapeutique de la radiofréquence.
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