Pneumologie
Publié le 05 oct 2020Lecture 12 min
Diagnostic radiologique de la fibrose pulmonaire idiopathique
Marie-Pierre DEBRAY, Service de radiologie, hôpital Bichat, Paris
L’imagerie tient une place importante dans le diagnostic des fibroses pulmonaires, dont les aspects varient selon les différentes entités. La fibrose pulmonaire idiopathique constitue la plus grave d’entre elles. L’enjeu thérapeutique représenté par l’efficacité des antifibrosants et la nocivité des immunosuppresseurs, utilisés dans d’autres fibroses, la place au cœur de la démarche diagnostique. L’identification d’un aspect de pneumopathie interstitielle commune au scanner permet d’en poser le diagnostic lorsque la présentation est idiopathique.
La fibrose pulmonaire idiopathique (FPI) est la forme la plus fréquente de pneumopathie interstitielle diffuse (PID) idiopathique chronique chez l’adulte. Elle est définie par un aspect de pneumopathie interstitielle commune (PIC) en anatomopathologie et l’exclusion de toutes causes connue de PID.
Son diagnostic est important car, malgré un pronostic sombre, des traitements antifibrosants spécifiques permettent d’en ralentir l’évolution, alors que des traitements utilisés dans d’autres fibroses peuvent être délétères. La place du scanner thoracique est centrale. Son rôle consiste principalement à reconnaître, avec des degrés de confiance variables, un aspect de PIC, et identifier d’éventuelles atypies amenant à proposer des diagnostics différentiels. Il est important de distinguer l’aspect en scanner ou en anatomopathologie du diagnostic de la maladie, qui intègre les données cliniques et biologiques. Il existe en effet des formes secondaires de PIC, dans le cadre d’expositions environnementales, professionnelles, médicamenteuses ou de connectivites, dont l’aspect scannographique n’est le plus souvent pas distinguable de celui de la FPI, mais dont le diagnostic est une fibrose non FPI. Ainsi le scanner ne permet de poser un diagnostic de FPI que lorsque l’ensemble des données cliniques et biologiques a écarté une forme secondaire.
Critères diagnostiques de pic en scanner
Les recommandations internationales pour le diagnostic de la FPI, actualisées en 2018(1), incluent des critères d’imagerie permettant de classer l’aspect scanographique en 4 catégories (tableau 1), d’aspect de PIC, de PIC probable, d’aspect indéterminé pour une PIC ou d’aspect suggérant un diagnostic alternatif à la FPI. Ces critères d’imagerie combinent la présence ou l’absence de différents signes élémentaires, leur étendue, ainsi que la distribution lésionnelle globale, dans le plan axial et dans l’axe cranio-caudal. Le classement en l’une de ces 4 catégories requiert des examens de qualité optimale répondant à des critères techniques précis d’acquisition et de reconstruction (tableau 2).
° Les ossifications pulmonaires apparaissent comme de petites calcifications au sein des territoires de fibrose, elles sont rapportées plus fréquentes sur des lésions de PIC que sur des lésions de pneumopathie interstitielle non spécifique.
* Signes orientant vers un aspect non PIC.
** Signes orientant vers une PID de cause secondaire (des plaques pleurales orientent vers une asbestose, une dilatation œsophagienne oriente vers une connectivite, des érosions claviculaires distales orientent vers une polyarthrite rhumatoïde, un épanchement ou un épaississement pleural orientent vers une connectivite ou une pneumopathie médicamenteuse).
* À réaliser au cours du bilan initial, afin d’identifier un éventuel piégeage aérique, dont l’étendue peut constituer une atypie pour la PIC et orienter vers une PHS.
** À réaliser en cas d’hyperdensités en verre dépoli ou de réticulations en zones déclives, afin de faire la part entre d’authentiques anomalies interstitielles et de simples troubles ventilatoires liés à la déclivité.
La présence de rayons de miel est nécessaire pour un classement en aspect de PIC. Il est défini par un regroupement de formations kystiques, de densité aérique, de siège typiquement sous-pleural. Les « kystes » de rayon de miel sont de taille variable, généralement de quelques millimètres dans les formes débutantes, pouvant atteindre quelques centimètres dans les formes évoluées. Leur distinction des lésions d’emphysème remanié par de la fibrose, décrit par les anatomopathologistes par l’acronyme AEF (Airways Enlargement with Fibrosis) peut être difficile, ce d’autant que celles-ci peuvent être associées aux rayons de miel. Typiquement, ces lésions d’emphysème remanié sont situées quelques millimètres à distance de la surface pleurale, plus fréquemment à hauteur de la partie apicale qu’à l’extrême base des lobes inférieurs, et leur paroi est plus fine que celle des rayons de miel. Ces derniers sont très souvent associés à des bronchectasies de traction et des réticulations. Les lésions prédominent dans les territoires sous-pleuraux. Elles sont habituellement de distribution hétérogène, disséminées selon l’axe cranio-caudal, avec une prédominance basale (figure 1). La présence de discrètes hyperdensités en verre dépoli, superposées à des zones de réticulations, n’est pas inhabituelle.
Figure 1. Aspect de pneumopathie interstitielle commune. Réticulations et images en rayons de miel (flèches fines) à prédominance souspleurale et basale. Quelques bronchectasies de traction périphériques (flèche épaisse). Verre dépoli surajouté aux réticulations par endroits, d’étendue mineure. La distribution est hétérogène, certaines zones sous-pleurales apparaissant subnormales, d’autres étant le siège de réticulations, d’autres de rayon de miel. Il n’existe pas d’atypie.
En l’absence de rayon de miel et en présence de réticulations et de bronchectasies de tractions périphériques, prédominant dans les territoires sous-pleuraux et basaux, l’aspect est classé « PIC probable » (figure 2). Comme dans l’aspect de PIC, de discrètes hyperdensités en verre dépoli peuvent être observées.
Figure 2. Aspect de pneumopathie interstitielle probable. Réticulations de distribution prédominante sous-pleurale et basale. Bronchectasies de traction périphériques (flèches). Verre dépoli mineur surajouté. Absence d’atypie.
En l’absence de bronchectasies de traction, l’aspect reste indéterminé (figure 3).
Figure 3. Aspect indéterminé pour une pneumopathie interstitielle commune. Réticulations sous-pleurales peu étendues, à prédominance basale, sans signe de fibrose (absence de bronchectasie de traction, absence de rayon de miel) et sans autre anomalie suggérant un diagnostic alternatif.
Des atypies peuvent orienter vers un autre diagnostic que la FPI. Il s’agit toujours d’atypies franches, de profusion sémiologique non mineure ou de distribution non univoque. Ce sont des hyperdensités en verre dépoli prédominantes, plus étendues que les réticulations, une micronodulation profuse, des kystes profus, des condensations prédominantes, un aspect en mosaïque extensif. Il peut s’agir également d’une distribution lésionnelle prédominant le long des axes bronchovasculaires, périlymphatique ou au niveau des régions supérieures et moyennes des poumons. Chacune de ces atypies peut faire discuter d’une gamme de diagnostics différentiels, mais c’est l’ensemble du tableau qui fera évoquer un diagnostic alternatif, le plus fréquemment de pneumopathie interstitielle non spécifique (PINS), de pneumopathie d’hypersensibilité (PHS), de sarcoïdose. Plus rarement, l’aspect fera évoquer une pneumopathie organisée, une fibro-élastose pleuro-parenchymateuse, une silicose, une pneumopathie interstitielle desquamative, une pneumopathie interstitielle lymphoïde. Lorsque la seule atypie est un verre dépoli prédominant et que la présentation est aiguë ou subaiguë, il faut toujours considérer un événement intercurrent, tel qu’une surcharge de cause cardiaque, une infection pulmonaire ou une exacerbation de fibrose. La PID devra être caractérisée à distance de cet épisode.
En plus des signes d’atypie pour l’aspect de PIC, la classification de 2018 intègre dans ce groupe « autre diagnostic » des signes extrapulmonaires pouvant orienter vers une PID non FPI, telle qu’une connectivite, une asbestose ou, rarement, une sarcoïdose. On peut en rapprocher des aspects particuliers de PIC, à type de rayon de miel macrokystique pur ou d’atteinte limitée des bases pulmonaires sans extension aux régions supérieures, ayant été rapportés comme plus fréquents dans les PIC de connectivites(2) que dans la FPI. Dans certains cas, il existe des lésions de fibrose qui n’orientent ni vers une PIC ni vers un diagnostic alternatif de FPI. L’aspect est alors classé indéterminé. Un classement indéterminé dans la classification de 2018 recouvre ainsi des atteintes interstitielles peu étendues sans signe scannographique de fibrose (figure 3) et des aspects de fibrose pulmonaire sans orientation particulière (figure 4).
Figure 4. Cavités irrégulières, images en rayons de miel et verre dépoli étendu. Prédominance lésionnelle basale et sous-pleurale. La présence de rayons de miel témoigne de lésions de fibrose mais le verre dépoli étendu, les cavités irrégulières sont atypiques pour une pneumopathie interstitielle commune sans pour autant évoquer un diagnostic alternatif. L’aspect est celui de fibrose pulmonaire sans orientation particulière.
Signification des différents aspects scannographiques
Un aspect de PIC au scanner permet de prédire avec une grande fiabilité une PIC en anatomopathologie, dans plus de 95 % des cas. Il permet ainsi, si la présentation clinique est idiopathique, de poser un diagnostic de FPI. Cet aspect n’est cependant observé que dans la moitié des cas de FPI.
La signification d’un aspect de PIC probable dépend du contexte clinique. Lorsque la suspicion clinique de FPI est élevée (sexe masculin, âge supérieur à 60 ans, tabagisme et absence d’exposition ou de signe de connectivite), cet aspect permet également de prédire avec fiabilité une PIC en anatomopathologie, dans plus de 90 % des cas. En revanche, la probabilité de PIC en anatomopathologie reste incertaine si la suspicion clinique de FPI n’est pas élevée.
Un aspect indéterminé dans sa forme « précoce », à type de simples réticulations et/ou hyperdensités en verre dépoli de distribution sous-pleurale et basale, peut témoigner d’une PIC débutante, mais également d’anomalies interstitielles d’autre nature, dont le caractère fibrosant n’est pas avéré. Il est particulièrement important devant de telles images de s’assurer qu’il ne s’agit pas de simples opacités liées à la déclivité, qui seraient sans signification pathologique, et de les confronter au retentissement clinique et fonctionnel.
Un aspect indéterminé de fibrose sans orientation particulière peut correspondre à une fibrose de nature indéterminée en anatomopathologie, mais également à une fibrose bien caractérisée, de type PIC ou non PIC.
Un aspect scannographique suggérant un autre diagnostic que la FPI peut correspondre au(x) diagnostic(s) différentiel(s) ainsi suggéré(s) mais ne permet pas d’exclure une PIC ou une fibrose de nature indéterminée en anatomopathologie. Dans une analyse a posteriori des scanners de 34 PIC biopsiées dont le scanner suggérait un autre diagnostic, ce dernier était le plus souvent jugé évocateur de PINS, plus rarement, de PHS ou de sarcoïdose(3) .
• Un tableau d’hyperdensités en verre dépoli prédominantes, associées à des bronchectasies de traction centrales et une distribution péribronchovasculaire des lésions oriente vers une PINS (figure 5), mais cet aspect correspond à une PIC en anatomopathologie dans près d’un tiers des cas.
Figure 5. Hyperdensités en verre dépoli étendues et bronchectasies de traction centrales (flèches épaisses), prédominant aux bases. Réticulations sous-pleurales sans rayons de miel au niveau des régions supérieures. L’aspect évoque une pneumopathie interstitielle non spécifique.
• De nombreux lobules clairs (ou lobules piégés sur des coupes en expiration) répartis dans 3 ou 4 lobes, associés à des hyperdensités en verre dépoli étendues ou des lésions de fibrose sans prédominance sous-pleurale ni basale orientent vers une PHS (figure 6). Ces lobules clairs sont de densité plus faible que celle du parenchyme pulmonaire normal, du fait d’une relative hypoperfusion, et témoignent du tropisme bronchiolaire de l’atteinte. Ils montrent un piégeage aérique lorsque des coupes en expiration sont réalisées. La simple présence de lobules clairs et /ou de lobules piégés est néanmoins banale, ayant été rapportée jusque dans la moitié des cas de FPI, souvent dans les territoires de fibrose des lobes inférieurs(4). Un aspect « en fromage de tête », qui associe dans un même lobe, sur une acquisition en inspiration, des territoires de verre dépoli, des lobules de densité normale et des lobules clairs, a été rapporté comme un signe plus pertinent en faveur de la PHS(5) .
Figure 6. Hyperdensités en verre dépoli étendues associées à de nombreux lobules clairs et à des lobules préservés, de densité intermédiaire, réalisant un aspect « en fromage de tête ». Absence de prédominance lésionnelle sous-pleurale ni basale. L’aspect évoque une pneumopathie d’hypersensibilité.
• Une micronodulation de distribution lymphatique associée à une prédominance apicale des lésions, une rétraction fibreuse postérieure des hiles orientent vers une sarcoïdose. Des lésions micronodulaires peuvent néanmoins être décrites en excès devant des anomalies des interfaces entre le parenchyme pulmonaire et la plèvre ou les axes bronchovasculaires. L’aspect pseudomicronodulaire de ces dernières disparaît lorsque l’on épaissit légèrement les coupes ou que l’on utilise les reconstructions de type MIP (Maximum Intensity Projection).
Intégration de l'imagerie dans le processus diagnostique
Le scanner thoracique intervient tôt dans le processus diagnostique, dès la suspicion clinique de FPI, alors que les causes connues évidentes de PID ont été écartées (figure 7). L’aspect est classé dans l’une des 4 catégories de la classification de 2018 et intégré aux données cliniques et biologiques lors de réunions de discussion multidisciplinaires. À l’exception des cas classés PIC, un lavage bronchoalvéolaire et une biopsie pulmonaire sont discutés. La biopsie pulmonaire est ainsi discutée dans la moitié des cas de FPI mais n’est réalisée que bien moins fréquemment du fait de sa morbi-mortalité. Elle est habituellement récusée devant un âge trop avancé, une fonction respiratoire trop altérée ou du fait de comorbidités. Elle n’est pas effectuée lorsque la suspicion clinique de FPI est élevée et que l’aspect est celui de PIC probable au scanner.
Figure 7. Démarche diagnostique devant une suspicion de fibrose pulmonaire idiopathique (FPI). Le lavage bronchoalvéolaire est effectué à la recherche d’une lymphocytose alvéolaire dont l’importance peut orienter vers une pneumopathie d’hypersensibilité ou une sarcoïdose. PIC : pneumopathie interstitielle commune; PID: pneumopathie interstitielle diffuse
Lorsqu’une biopsie pulmonaire est réalisée, c’est la combinaison de l’aspect scannographique et de l’aspect en anatomopathologie qui permet de poser un diagnostic, qui peut être une FPI, une autre pneumopathie interstitielle (par exemple une PINS idiopathique ou une PHS) ou une fibrose inclassable (tableau 3). En l’absence de biopsie pulmonaire, un diagnostic provisoire de travail est proposé, avec un niveau de confiance variable. Le diagnostic sera réévalué au cours du temps, le scanner pouvant montrer un changement d’aspect et permettant d’apprécier le profil évolutif de la PID. Les traitements antifibrosants ont montré leur efficacité pour des fibroses aggravantes d’aspects variés(6) et, même lorsque le diagnostic de FPI n’est pas formel, une aggravation des lésions de fibrose au scanner peut indiquer un traitement antifibrosant.
* Le diagnostic de FPI vraisemblable intègre l’étendue et la sévérité des signes de fibrose, tels que les réticulations et les bronchectasies de traction, l’âge et le sexe du patient, les données du lavage bronchoalvéolaire.
Perspectives de l'imagerie
La reproductibilité inter-lecteurs pour caractériser l’aspect scannographique est imparfaite, même pour des radiologues spécialisés, pouvant impacter la reproductibilité du diagnostic final entre différentes DMD. Les outils d’intelligence artificielle sont prometteurs tant pour l’appréciation de l’étendue lésionnelle que pour la caractérisation de l’aspect scannographique, avec une efficacité rivalisant, dans une étude(7), avec celle de radiologues spécialisés en imagerie thoracique. Si ces performances se confirment, ces outils pourraient à l’avenir avoir une utilité dans des centres manquant d’expertise radiologique dans le domaine de la pathologie interstitielle.
Conclusion
• Le diagnostic de FPI intègre l’aspect scannographique aux données cliniques, biologiques et dans certains cas anatomopathologiques, au sein de réunions de concertation pluridisciplinaires.
• Il peut être posé devant un aspect de PIC au scanner, si la présentation clinique est idiopathique ou devant un aspect de PIC probable au scanner, si la suspicion clinique de FPI est élevée (homme de plus de 60 ans fumeur ou ex-fumeur, absence d’exposition antigénique ni de connectivite définie).
• Un aspect de PIC probable au scanner sans forte suspicion clinique de FPI doit faire discuter d’une biopsie pulmonaire.
• Un aspect scannographique indéterminé pour une PIC ou un aspect suggérant un diagnostic alternatif à la FPI ne permettent pas d’écarter une fibrose pulmonaire idiopathique, justifiant de discuter d’une biopsie pulmonaire.
• Lorsque la biopsie pulmonaire est indiquée mais non réalisée ou non conclusive, un diagnostic de travail est proposé, pouvant être celui de FPI ou d’une autre entité, avec un degré de confiance variable. Ce diagnostic de travail sera réévalué au cours du temps.
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