Publié le 12 jan 2021Lecture 9 min
L’hypertension pulmonaire - Partie II • Prise en charge
Étienne-Marie JUTANT, service de pneumologie - Soins intensifs, Hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre
La prise en charge de l’hypertension pulmonaire (HTP) est spécifique à chaque groupe d’HTP et doit être réalisée en centre expert. En France, la prise en charge est organisée par le réseau national de l’HTP structuré en un Centre de référence de l’HTP (Hôpital Bicêtre, AP-HP) et en 25 Centres de compétences du réseau national (http://www.reseau-htap.fr).
PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE DE L’HTP DU GROUPE 1 (HTAP)
La prise en charge repose sur des traitements généraux et des traitements de l’HTAP. Lorsque la maladie évolue, la transplantation pulmonaire reste le seul traitement possible et les patients doivent être évalués précocement en centre de transplantation pulmonaire.
TRAITEMENTS NON SPÉCIFIQUES
Diurétiques
Ils permettent de réduire la volémie et d ’améliorer les symptômes , en association avec un régime hyposodé. Le furosémide et la spironolactone sont les plus prescrits. Leur posologie doit être régulièrement réévaluée. Anticoagulants oraux Les anti-vitamine K (AVK) sont recommandées chez les patients atteints d’HTAP idiopathique, héritable ou induite par la prise d’anorexigènes avec un objectif d’INR entre 1,5 et 2,5. Cette recommandation est de faible grade et le traitement doit être envisagé avant tout en prenant en compte la balance bénéfice risque pour chaque patient.
Oxygénothérapie
L’oxygénothérapie de longue durée est recommandée en cas d’hypoxémie sévère (PaO2 < 60 mmHg).
MESURES GÉNÉRALES
Activité physique adaptée
L’exercice physique intense chez les patients atteints d’HTAP expose au risque de mort subite, mais un mode de vie sédentaire peut participer à la limitation fonctionnelle à l’effort. Un compromis est donc nécessaire avec des efforts guidés par les symptômes.
Vaccination
La vaccination antigrippale et pneu-mococcique est recommandée.
Grossesse et contraception
La grossesse est contre-indiquée, car à risque de décès pour la mère et de l’enfant avec une mortalité maternelle d’environ 30 %. De plus, les antagonistes des récepteurs de l’endothéline sont tératogènes. C’est pourquoi une contraception est indispensable pour les femmes en âge de procréer. Certains médicaments de l’HTAP (comme le bosentan) inhibent l’activité des estroprogestatifs oraux, c’est pourquoi la contraception généralement prescrite est une contraception par dispositif intra-utérin ou par progestatifs seuls. Si une grossesse survient, elle doit être prise en charge dans un centre expert où une interruption médicale de grossesse sera proposée. Si la grossesse est poursuivie, l’HTAP doit être traitée par des traitements spécifiques non tératogènes et l’accouchement programmé en centre expert en collaboration avec une équipe anesthésique, obstétricale et pédiatrique.
Chirurgie et anesthésie
L’anesthésie générale est à risque en raison des modifications hémodynamiques entraînées par l’anesthésie et la chirurgie. C’est pourquoi le rapport bénéfice risque de toute chirurgie doit être évalué de façon multidisciplinaire et l’intervention planifiée et réalisée après un bon contrôle de la maladie.
Médicaments contre-indiqués
Les bêtabloquants baissent le débit cardiaque et doivent être arrêtés lorsque cela est possible.
MÉDICAMENTS DE L’HTAP
Les inhibiteurs calciques
Ils sont réservés aux patients ayant une HTAP idiopathique, héritable ou induite par les médicaments et toxiques et présentant une réponse positive au test de vasodilatation au NO réalisé lors du cathétérisme cardiaque droit (moins de 10 % des HTAP). Ils sont contre-indiqués en l’absence de réponse au test au NO. Les effets secondaires principaux sont la survenue d’hypotension artérielle et d’œdèmes des membres inférieurs. L’efficacité du traitement doit être suivie par une évaluation hémodynamique 3 à 4 mois après le début du traitement. En cas de réponse thérapeutique, ce traitement doit être poursuivi au long cours. En cas d’échec thérapeutique, il faut alors l’arrêter et envisager les autres traitements de l’HTAP.
Traitements spécifiques de l’HTAP
La recherche des 25 dernières années sur les mécanismes de l’HTAP a permis le développement de 14 médicaments de l’HTAP, ciblant trois voies principales de la dysfonction endothéliale pulmonaire : la voie de la prostacycline, la voie de l’endothéline, la voie du NO/GMPc (figure 1). Ils sont vasodilatateurs et ont des propriétés anti-remodelage.
La voie de la prostacycline est principalement représentée par L’époprosténol et le tréprostinil. L’époprosténol est le médicament le plus efficace, mais du fait de sa courte demi-vie, son administration est réalisée par voie intraveineuse continue, par l’intermédiaire d’un cathéter veineux central sous-clavier tunnelisé relié à une pompe. Son utilisation nécessite une éducation du patient en milieu hospitalier. Il a montré son efficacité en termes d’amélioration de la capacité à l’exercice, de paramètres hémodynamiques et de survie. Les effets secondaires sont fréquents et sont liés au mode d’administration (infections de cathéter, dysfonctions de pompe…) ou à l’imprégnation du traitement (douleurs de mâchoires, troubles digestifs, bouffées de chaleur, céphalées, érythème…). Le traitement ne doit jamais être interrompu de façon brutale, car cela peut entraîner une défaillance cardiaque droite sévère. Le tréprostinil a une demi-vie plus longue que l’époprosténol et est administré par voie sous-cutanée par une mini-pompe semblable à celles utilisées pour l’insuline. Les douleurs et l’inflammation au site d’injection sont le principal obstacle à leur utilisation en pratique courante. Le sélexipag est un agoniste sélectif des récepteurs à la prostacycline, administré par voie orale, mais son efficacité est moindre que les formes injectables de prostacycline et les effets secondaires (céphalées, douleurs, troubles digestifs) nécessitent une titration très progressive avec suivi rapproché.
Les antagonistes des récepteurs de l’endothéline inhibent les effets de l’endothéline-1 sur la vasoconstriction et la prolifération des cellules musculaires lisses. Le bosentan est un traitement oral qui a montré son efficacité sur la classe fonctionnelle NYHA et l’hémodynamique. Ses effets indésirables sont des céphalées et bouffées de chaleur, mais aussi une élévation des transaminases nécessitant une surveillance mensuelle du bilan hépatique, ainsi qu’une possible rétention hydro-sodée. Ce traitement présente aussi des interactions médicamenteuses. L’ambrisentan entraîne moins de cytolyse hépatique et a moins d’interaction médicamenteuse, mais il entraîne une rétention hydrosodée plus importante.
Les médicaments interagissant avec la voie du NO/GMP cyclique sont les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (IPDE5) et les activateurs de la guanylate cyclase soluble. Parmi les IPDE5, le sildénafil et le tadalafil sont les deux traitements approuvés. Leurs effets indésirables sont les céphalées, les bouffées de chaleur et la dyspepsie. Les activateurs de la guanylate cyclase soluble sont représentés par le riociguat qui est approuvé pour l’HTP thromboembolique chronique non accessible à un geste chirurgical. Il nécessite une titration progressive en raison des risques d’hypotension artérielle. L’association du riociguat aux IPDE5 est contre-indiquée du fait du risque d’hypotension artérielle.
De nombreuses autres voies de signalisation impliquées dans le remodelage artériel pulmonaire sont à l’étude dans l’espoir de pouvoir développer de nouveaux médicaments. Un essai de phase 3 est en cours avec le sotatercept, un piège à ligands du transforming growth factor β (TGFβ).
• Les antagonistes calciques sont réservés aux patients ayant une HTAP idiopathique/héritable/liée aux toxiques et présentant une réponse au test de vasodilatation aiguë au NO lors du cathétérisme cardiaque droit.
• Les traitements spécifiques de l’HTAP ciblent 3 voies de la dysfonction endothéliale.
STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
Après confirmation du diagnostic d’HTAP dans un centre référent, les mesures générales et les traitements généraux doivent être prescrits en premiers. Le test de vasoréactivité au NO doit ensuite être réalisé chez les patients ayant une HTAP idiopathique, héritable ou associée aux médicaments et les patients ayant une réponse positive sont traités par des antagonistes calciques à forte dose avec réévaluation à 3 mois.
Pour les non-répondeurs au NO, la stratégie thérapeutique repose sur l’évaluation du risque de mortalité à 1 an en fonction de paramètres cliniques, biologiques et hémodynamiques (tableau 1).
Les patients avec risque faible ou intermédiaire de mortalité sont traités avec les traitements spécifiques de l’HTAP en bithérapie d’emblée associant un IPDE5 et un antagoniste des récepteurs de l’endothéline, sauf chez certains patients pour qui on débutera par une monothérapie (patients âgés avec comorbidités cardiovasculaires, HTAP très légère, hypertension portopulmonaire, HTAP associée au VIH, à une cardiopathie congénitale non traitée). Les patients à risque élevé sont traités d’emblée par une thérapie combinée incluant une prostacycline intraveineuse.
L’objectif est de maintenir le patient dans un faible risque de mortalité et de proposer une majoration thérapeutique si ces objectifs ne sont pas atteints, après réévaluation du risque de mortalité après 3-6 mois de traitement.
Dans tous les cas, il faut évaluer l’éligibilité à la transplantation pulmonaire en cas de traitement maximal nécessaire d’emblée ou de réponse inadéquate à une thérapie combinée initiale. La stratégie thérapeutique est présentée dans la figure 2.
• L’objectif des traitements de l’HTAP est de maintenir les patients dans un faible risque de mortalité à 1 an.
• Les patients les plus sévères doivent être d’emblée traités par trithérapie incluant une prostacycline IV.
• La transplantation pulmonaire doit être envisagée tôt pour les formes sévères.
PRISE EN CHARGE DES HTP DU GROUPE 2
Le traitement des HTP du groupe 2 repose sur le traitement de la cardiopathie gauche associée et le traitement des comorbidités associées. Il n’existe pas de preuve de l’efficacité des thérapeutiques de l’HTAP dans les HTP de groupe 2 et celles-ci ne doivent donc pas être utilisées.
PRISE EN CHARGE DES HTP DU GROUPE 3 I
Il n’y a pas de thérapie spécifique pour l’HTP de groupe 3. Les patients hypoxiques doivent recevoir une oxygénothérapie et la maladie respiratoire sousjacente doit être traitée. Il n’y a pas de preuve de l’efficacité des thérapeutiques de l’HTAP et celles-ci ne doivent pas être utilisées. Certains patients avec HTP sévère paraissant « disproportionnée » à l’atteinte pulmonaire doivent être adressés à un centre de référence ou de compétences de l’HTP pour discuter de la meilleure stratégie thérapeutique.
PRISE EN CHARGE DE L’HTP DU GROUPE 4
Le traitement de référence est l’endartériectomie pulmonaire, c’est-à-dire le retrait chirurgical du matériel organisé qui obstrue les artères pulmonaires. L’indication chirurgicale repose sur la localisation de l’obstruction (proximale ou distale), la corrélation entre les données hémodynamiques et le degré d’obstruction, les comorbidités. Les patients inopérables peuvent à présent bénéficier soit de traitements médicaux soit de désobstruction par angioplastie pulmonaire et ces traitements peuvent être combinés. Tous les patients doivent être impérativement évalués en centres experts.
PRISE EN CHARGE DE L’HTP DU GROUPE 5 (MÉCANISME NON CLAIR ET/OU MULTIFACTORIEL)
Le traitement de la maladie causale est la base du traitement. Il n’existe pas d’essais contrôlés sur l’usage des thérapeutiques de l’HTAP dans ce groupe.
CONCLUSION
• La prise en charge de l’HTP est différente pour chaque groupe d’HTP.
• Plusieurs médicaments ont été développés pour l’HTAP en 25 ans pour viser la dysfonction endothéliale et la recherche se poursuit pour viser le remodelage artériolaire irréversible à l’origine de la maladie.
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