Asthme
Publié le 07 avr 2021Lecture 9 min
La mesure de la FeNO en pratique pneumologique et allergologique en 10 questions
Anh-Tuan DINH-XUAN, Service de physiologie-explorations fonctionnelles, hôpital Cochin, Paris
La mesure de la FeNO, bien qu’encore peu usitée en France, est loin d’être une notion inconnue par les médecins s’intéressant à l’asthme et à l’allergie. La même constatation peut être faite au niveau mondial, comme peut en témoigner le nombre de publications (près de 3 000 sur le site PubMed) consacrées à ce sujet(1). De nombreuses interrogations néanmoins subsistent, tant sur des notions théoriques que sur l’aspect pratique de cette mesure. Ce texte est une tentative d’aborder certaines de ces interrogations sous la forme d’une série de 10 questions courtes, auxquelles l’auteur essaiera d’apporter, à chaque fois que cela est possible, des réponses simples et succinctes.
QUESTION 1 : Que signifie le terme FeNO ?
C’est l’acronyme de la concentration fractionnaire (F) du monoxyde d’azote (NO) dans l’air expiré (e). Le NO est à la fois un gaz et un messager inter- et intracellulaire synthétisé par la majeure partie de nos cellules, notamment celles impliquées dans la réaction inflammatoire. En tant que molécule gazeuse, le NO est présent dans l’air et diffuse dans le sens du gradient de pressions, autrement dit des zones de fortes pressions vers les zones de basses pressions. En tant que messager cellulaire impliqué dans l’inflammation, le NO est synthétisé en réponse à tout stimulus inflammatoire, aigu et/ou chronique. Avant d’être utilisé comme un biomarqueur de l’inflammation mesurable de façon non invasive dans l’air expiré, le NO fut, et reste, utilisé en tant que vasodilatateur pulmonaire inhalé dans des indications précises(2).
QUESTION 2 : Pourquoi mesure-t-on la FeNO dans l'asthme ?
Comme vu précédemment, la synthèse du NO est augmentée dans tout syndrome inflammatoire aigu comme le choc septique au cours duquel la vasoplégie systémique est essentiellement due à une production excessive du NO. La synthèse du NO est également augmentée dans des maladies inflammatoires chroniques, comme l’asthme, les polyarthrites ou les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. La mesure de la FeNO est particulièrement indiquée dans l’asthme compte tenu de la facilité du recueil de l’air expiré qui se distingue des autres méthodes d’évaluation de l’inflammation par son côté totalement non invasif. Cet examen est surtout intéressant par la rapidité d’obtention — quasi immédiate — des résultats, rendant la mesure de la FeNO comparable à celle du débit expiratoire de pointe ou d’une courbe débit-volume. Contrairement à ces dernières, qui évaluent les volumes et débits pulmonaires, la FeNO reflète l’état inflammatoire des bronches. Cette mesure est donc complémentaire d’une EFR classique, mais ne la remplace pas.
QUESTION 3 : La mesure du NO dans l'air expiré peut-elle être envisagée dans d'autres maladies des voies aériennes que l'asthme ?
Cette question nous permet de préciser que la FeNO ne reflète que la production du NO dans les voies aériennes proximales. D’autres paramètres existent pour évaluer le NO nasal (FnNO) ou le NO provenant du poumon profond, petites voies aériennes distales et espace alvéolaire (CaNO, pour concentration alvéolaire du NO)(3). Cependant, c’est dans l’asthme que la mesure du NO dans l’air expiré a été le plus étudiée, avec plus de 1 800 articles listés sur Pubmed jusqu’ à ce jour(4). Il reste néanmoins vrai que de nombreuses équipes dans le monde s’intéressent également à la mesure du NO nasal dans la dyskinésie ciliaire primitive, de la CaNO dans les pneumopathies interstitielles diffuses ou même de la FeNO dans la BPCO, les dilatations des bronches associées ou non à une mucoviscidose et, dans une moindre mesure, à l’apnée obstructive du sommeil.
QUESTION 4 : Quelle est la place de la FeNO dans le suivi de l'asthme ?
Une méthode, comme la FeNO, permettant d’évaluer de façon simple et non invasive l’inflammation bronchique est un outil appréciable dans la gestion d’une maladie comme l’asthme où l’inflammation est connue pour sa complexité et son hétérogénéité. La complexité de l’inflammation dans l’asthme vient de nombreux facteurs causals et de multiples réseaux d’interactions cellulaires et moléculaires sous-jacents, parmi lesquels seul celui relatif à l’inflammation de type 2 est aujourd’hui à peu près connu(5). L’hétérogénéité dans l’asthme tient aussi bien des différences interindividuelles que de la forte variabilité chez un même malade du degré de l’inflammation en fonction du traitement (voir plus loin) et de l’état de sa maladie. Dans ce contexte, la mesure de la FeNO comme biomarqueur de l’inflammation de type 2 permet une meilleure prise en charge de l’asthme avec un meilleur contrôle des symptômes et moins d’exacerbations annuelles(6).
QUESTION 5 : Quel est l'intérêt de mesurer la FeNO avant de prescrire une coticothérapie inhalée dans l'asthme ?
L’effet anti-inflammatoire des corticoïdes passe par leurs capacités d’induire la transcription de gènes codant des protéines anti-inflammatoires et/ou d’inhiber la transcription des gènes codant des protéines pro-inflammatoires comme les cytokines TNFα, IL-1β, IL-6, IL-8, etc., mais aussi l’enzyme NO synthase inductible (NOSi) responsable de l’augmentation de la synthèse du NO (figure 1). Des valeurs élevées de la FeNO traduisent une forte expression de la NOSi, mais également celle, concomitante, des autres protéines pro-inflammatoires. Du fait de la sensibilité de la plupart de ces protéines pro-inflammatoires aux glucocorticoïdes, des valeurs initiales élevées de la FeNO permettent aussi de prédire la réponse à la corticothérapie(7). Comme corollaire de ceci, on peut dire que l’efficacité thérapeutique des cor ticoïdes est à la fois visible sur la symptomatologie clinique, mais aussi sur l’expression des protéines pro-inflammatoires précitées, parmi lesquelles la NOSi, dont l’inhibition entraîne de facto la diminution de la FeNO.
Figure 1. L’augmentation de la synthèse du NO pendant la réaction inflammatoire et la transcription des gènes codant les protéines pro-inflammatoires (TNFα, IL-1β , IL-6, IL-8, etc.) obéissent aux mêmes mécanismes moléculaires et cellulaires (partie gauche de la figure). En inhibant ces mécanismes, les corticoïdes réduisent à la fois la biosynthèse des molécules pro-inflammatoires et celle du NO (partie droite de la figure).
GC : glucocorticoïdes ; NOSi : NO synthase inductible.
QUESTION 6 : Quel est l'intérêt de mesurer la FeNO avant de prescrire une biothérapie chez l'asthmatique sévère ?
Les biothérapies actuellement disponibles sont des anticorps monoclonaux ciblant soit l’IgE soit les 3 interleukines 4, 5 et 13. Parmi les différentes molécules et cellules impliquées dans l’inflammation de type 2, on trouve en plus des lymphocytes TH2 et les cellules lymphoïdes innées de type 2 (ILC2) des plasmocytes (sécrétrices d’IgE), des polynucléaires éosinophiles sensibles à l’IL-5 et les cellules épithéliales bronchiques exprimant fortement la NOSi activable par l’IL-4 (figure 2). Du fait de la proximité des voies de signalisation liant l’IL-4 à la NOSi qui synthétise le NO, la FeNO a une sensibilité particulièrement importante vis-à-vis des molécules inhibant l’IL-4, prédisant une bonne réponse à celles-ci pour des sujets ayant de fortes valeurs de FeNO. La diminution de celle-ci traduit l’efficacité thérapeutique des anticorps monoclonaux anti-IL-4/IL-13 tant sur le plan clinique que sur l’amélioration de la fonction respiratoire(8). Il existe également un intérêt de mesurer la FeNO avant un traitement avec les anti-IgE ou les anti-IL-5 pour prédire l’efficacité de ces traitements. Cependant, du fait des liens moins directs entre la NOSi et l’IgE et /ou l’IL-5 la mesure de la FeNO est plutôt indiquée comme complément aux mesures d’IgE (pour un traitement avec les anti-IgE) et de l’éosinophilie sanguine (pour un traitement avec les anti-IL-5).
Figure 2. Place du NO et des polynucléaires (PN) éosinophiles en tant que biomarqueurs de l’inflammation de type 2. Voir texte pour la description de la figure.
CPA : cellule présentatrice d’antigène ; NOSi : NO synthase inductible.
QUESTION 7 : Existe-t-il une différence entre l'éosinophilie sanguine et la FeNO en tant que biomarqueurs de l'inflammation de type 2 ?
Nous avions vu dans la réponse à la question précédente que l’ éosinophilie sanguine est l’examen à privilégier pour prédire la réponse thérapeutique aux anticorps monoclonaux anti-IL-5 compte tenu des liens biologiques entre les polynucléaires éosinophiles et l’IL-5 (figure 2). Pour autant, la mesure de la FeNO en association avec l’éosinophilie sanguine apporte souvent des informations plus pertinentes que celles pouvant être apportées par la seule mesure de l’éosinophilie sanguine. Le même type de raisonnement peut être appliqué à la mesure de la FeNO chez des asthmatiques traités par les anti-IL-4/IL-13. Comme précédemment mentionné, bien que la FeNO soit plus sensible que l’éosinophilie sanguine pour prédire la réponse thérapeutique aux antiIL-4/IL-13, l’association de ces deux biomarqueurs a une valeur prédictive de la réponse thérapeutique plus grande que celles apportées par l’un de ses deux biomarqueurs mesurés isolément(8) .
QUESTION 8 : La mesure de la FeNO permet-elle d'améliorer l'observance thérapeutique ?
Bien que l’importance de l’observance thérapeutique soit unanimement reconnue, cet objectif considéré comme primordial par tous est pourtant encore loin d’être atteint dans l’asthme. Ceci est probablement dû à la difficulté d’identifier les malades non observants avec des mesures objectives et quantifiables. Des valeurs élevées de la FeNO chez un asthmatique traité par de fortes doses de corticostéroïdes inhalés (CSI) pourraient être dues soit à une inefficacité des CSI, soit à une observance insuffisante. Une récente métaanalyse faisant le point sur les nombreuses études utilisant la mesure de la FeNO pour identifier les malades non observants, a montré que l’on peut identifier deux sous-groupes de patients à partir de tout groupe d’asthmatiques dont la FeNO est supérieure à 45 ppb sous de fortes doses de CSI(9). Le premier sous-groupe comprend des malades dont la FeNO diminue de façon significative après 5 à 7 jours de traitement par CSI sous surveillance effective des prises médicamenteuses en milieu hospitalier, ces malades sont qualifiés de non observants puisque l’observance thérapeutique imposée en milieu hospitalier a permis d’améliorer les symptômes et de diminuer la FeNO. Le deuxième groupe représente des malades véritablement non répondeurs à de fortes doses de CSI puisque les valeurs élevées de FeNO persistent chez des asthmatiques non contrôlés traduisant l’inefficacité des CSI sur le contrôle de l’asthme et la réduction de l’inflammation bronchique.
QUESTION 9 : Existe-t-il des facteurs pouvant modifier la mesure de la FeNO ?
La fumée de tabac inhibe la synthèse du NO par la NOSi, induisant une sous-estimation de l’importance de l’inflammation chez des patients fumeurs. La taille corporelle modifie également la quantité de NO synthétisée, car celle-ci est directement liée à la taille des poumons. Ainsi les valeurs seuils sont plus basses chez l’enfant que chez l’adulte et les sujets de grande taille ont une FeNO plus importante que les personnes de petite taille. Ces constatations soulignent l’importance d’avoir des équations de référence tenant compte du tabagisme, de la taille et peutêtre également de l’ethnie des sujets. En l’absence de ces données (qui seront peut-être disponibles en 2022-2023), il est conseillé de connaître pour chaque malade, sa valeur de FeNO « de base » mesurée lorsque l’asthme est bien contrôlé. Une élévation de la FeNO supérieure à 10 ppb et /ou à 10 % des valeurs de bases signifierait l’aggravation de l’inflammation bronchique.
QUESTION 10 : Existe-t-il un consensus concernant le mesure de la FeNO dans l'asthme ?
Il existe un consensus méthodologique concernant les conditions de mesure(10), ainsi que les appareils homologués pour cette mesure. Le consensus existe également sur le rôle de la FeNO en tant que biomarqueur non invasif de l’inflammation de type 2(3,6,7,10). Les pierres d’achoppement actuelles portent sur les valeurs seuils qui peuvent varier d’une recommandation à l’autre (20 ppb pour GINA 2020, 40 ppb pour NICE, 50 ppb chez l’adulte et 35 ppb chez l’enfant pour l’ATS). Ce problème disparaîtra avec la mise à disposition des valeurs théoriques à partir d’ équations de référence comme cela est le cas pour tous les autres paramètres respiratoires.
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