Asthme
Publié le 15 oct 2021Lecture 10 min
Les épidémies d’asthme de septembre chez l’enfant
Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse
Depuis de nombreuses années, l’expérience clinique a montré que les enfants asthmatiques d’âge scolaire allaient souvent mieux pendant les grandes vacances, surtout si leur traitement préventif de fond n’était pas arrêté, puis, qu’après la rentrée scolaire, bon nombre d’entre eux rechutaient. Il existe même des « épidémies de crises d’asthme », parfois sévères, qui nécessitent l’admission aux urgences. Les cliniciens et les épidémiologistes les ont bien identifiées, puis dénommées « épidémies d’asthme de septembre ». Leurs causes sont nombreuses. La question pratique qui se pose est « comment les éviter » ?
HISTORIQUE
En 1984, Goldstein et Currie(1) ont étudié la saisonnalité des admissions pour asthme dans les services d’urgences de La Nouvelle-Orléans (1953-1977) et de New York (1969-1977) car leurs études antérieures avaient montré une augmentation des consultations et des hospitalisations pour asthme aux urgences dans plusieurs endroits de ces régions(2).
À New York, pour chaque année et dans chaque hôpital étudié, les admissions pour asthme augmentaient en septembre, pour atteindre un pic en octobre et novembre, puis diminuer en décembre(1). Par contre, à La Nouvelle-Orléans, ce phénomène ne fut pas observé. De même, la distribution des jours comportant une « épidémie de crises d’asthme » était maximale pendant les mois de septembre, octobre et novembre à New York, tandis qu’elle était également répartie durant les mois d’avril, mai et juin, aussi bien qu’en septembre, octobre et novembre à La Nouvelle-Orléans. Ce gradient Nord-Sud suggérait des différences environnementales(1).
En 2007, des études canadiennes de Sears et Johnston(3), précisées et développées ultérieurement, ont mis en cause les virus, en particulier les rhinovirus (picornavirus) au cours des « épidémies d’asthme de septembre ».
En 2016, Wisniewski et coll.(4) ont comparé les tendances saisonnières d’aggravation de l’asthme en fonction des régions : un pic annuel d’exacerbations de l’asthme a été observé pendant les mois d’automne (de septembre à novembre) chez les enfants qui vivaient à Charlottesville, en Virginie, ainsi que dans tout l’État de Virginie. Une augmentation des exacerbations, maximale en novembre, a été enregistrée pour les exacerbations(a) chez les enfants qui vivaient à Tucson et à Yuma, en Arizona. En revanche, les exacerbations chez les enfants de La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, ont augmenté en septembre mais sont restées élevées tout au long de l’année scolaire. Bien qu’il y ait eu une variation annuelle de la fréquence des exacerbations au fil du temps, les tendances saisonnières observées sont restées similaires dans ces régions d’une année à l’autre(3). Toutefois, des attaques d’asthme fréquentes ont été observées partout pendant les mois d’été(4). Dans cette étude, les pics saisonniers d’exacerbations de l’asthme variaient chez les enfants qui vivaient dans des zones géographiques aux climats différents, et n’étaient pas limités au début de l’année scolaire(4).
(a) Une exacerbation d’asthme est une crise qui dure plusieurs heures, voire plusieurs jours, malgré la prise répétée d’un traitement de crise (association fixe formotérol + budésonide selon les dernières recommandations du GINA 2021). Elle peut apparaître de façon soudaine et s’aggraver rapidement. Autrefois, le terme « attaque d’asthme » (répétition de plusieurs crises avec intervalle libre entre les crises) était utilisé, mais celui d’exacerbation est plus précis.
Plus tôt, en 1989, Storr et Lenney(5) avaient étudié pendant 11 ans à Brighton la moyenne des admissions journalières pour asthme qu’ils avaient corrélé aux périodes de l’année comportant des vacances (Noël, printemps, été, automne). Le graphique représentant les tendances cumulées (1975-1985), tous âges confondus (0-16 ans), montrait un lien statistiquement étroit entre le retour de vacances et l’augmentation des admissions pour asthme : la fréquence de ces admissions était multipliée par 2 ou 3 au retour des vacances, alors que les admissions diminuaient pendant les vacances. Les graphiques établis en fonction des tranches d’âge montraient les mêmes tendances, mais elles étaient beaucoup plus marquées chez les enfants de 0-3 ans et surtout de 4-10 ans(5) Storr et Lenney(5) avaient alors postulé que les vacances interrompaient la propagation des virus dans la communuaté scolaire et que les voyages pendant les vacances facilitaient l’acquisition de nouvelles souches virales qui, ensuite, allaient se répandre dans la communauté après la rentrée.
EXACERBATIONS D’ASTHME ET INFECTIONS VIRALES
Les patients ayant une exacerbation de leur asthme indiquent souvent que celle-ci a été précédée par un « rhume », en particulier au début de l’automne.
Depuis plus de 10 ans, cette notion a été parfaitement intégrée dans toutes les versions du GINA (Global Initiative for Asthma)(6) puisque l’une des 6 questions auxquelles une réponse par « oui » doit faire évoquer le diagnostic d’asthme est libellée ainsi : « Est-ce que le patient présente des rhumes qui descendent sur la poitrine et mettent plus de 10 jours pour disparaître ? »(6).
En 1993-1995, Johnston et coll.(7,8) ont réalisé plusieurs études visant à démontrer le rôle des virus comme principaux inducteurs des « épidémies d’asthme de septembre ». L’étude principale(8) a été effectuée de façon longitudinale pendant 13 mois chez 108 enfants canadiens âgés de 9 à 11 ans. Recherchant les virus par PCR (Polymerase Chain Reaction) dans les sécrétions nasopharyngées, les auteurs ont détecté des virus dans 80 % des cas au cours des périodes où le débit expiratoire de pointe (DEP) diminuait, ainsi que chez 85 % des patients présentant un épisode de wheezing(8).
En 1996, ces auteurs ont confirmé l’existence d’un lien entre les infections ORL virales et les admissions hospitalières pour asthme, beaucoup plus significatif chez les enfants (r = 0,72 ; p < 0,0001) que chez les adultes (p = 0,53 ; p < 0,01)(8). Cette association, plus marquée durant les périodes scolaires que pendant les vacances (p < 0,001), suggérait que les infections ORL virales étaient à l’origine des crises et des exacerbations d’asthme chez les enfants scolarisés(8).
ÉPIDÉMIES D’ASTHME DE SEPTEMBRE
En 2005, l’équipe canadienne de Johnston et coll.(9) a comparé 57 enfants âgés de 5 à 15 ans admis aux urgences entre le 10 et le 30 septembre 2001 (groupe I) et 157 enfants témoins volontaires, appariés, atteints d’asthme de sévérité identique (groupe II). Les picornavirus (rhinovirus et entérovirus) furent plus souvent détectés chez les enfants atteints d’asthme aigu grave (AAG) que chez les témoins (52 % vs 29 %: p = 0,002). Par ailleurs, d’autres virus furent plus souvent détectés chez les premiers (62%) que chez les seconds (41 %) (p = 0,011)(9). Fait important, les enfants du groupe I recevaient 2 fois moins souvent des corticoïdes inhalés (CI) que les témoins (49 % vs 85 % ; p < 0,0001). Les premiers recevaient aussi moins souvent des antagonistes des récepteurs des leucotriènes (9 % vs 21 % ; p = 0,04)(9).
Par la suite, des épidémies d’asthme de septembre ont été décrites dans la plupart des pays : Canada, États-Unis, Royaume-Uni, Finlande, Australie, Israël, etc.(in 9). Toutefois, en France, nous ne connaissons pas d’étude sur ce sujet dont l’importance semble négligée.
Au Long Island Jewish Medical Center (NY), une étude de Silverman et coll.(10) a été effectuée dans les services d’urgences de 11 hôpitaux municipaux, étudiant les admissions pour AAG dans quatre groupes : I) enfants âgés de 2-4 ans ; II) enfants âgés de 5-11 ans ; III) enfants âgés de 12-17 ans; IV) adultes de 22-45 ans servant de groupe témoin.
Le critère principal d’évaluation était le taux d’admission aux urgences pour asthme aigu avant et après la rentrée scolaire de septembre pendant une fenêtre d’opportunité de 60 jours (1 mois avant et 1 mois après la rentrée). L’étude a porté sur un total de 86 731 admissions selon la méthode des odds ratio (OR)(b).
(b) L’odds ratio, également appelé rapport des chances, rapport des cotes ou risque relatif rapproché, est une mesure statistique, souvent utilisée en épidémiologie, exprimant le degré de dépendance entre des variables aléatoires qualitatives.
Les admissions aux urgences pour asthme chez les enfants âgés de 5-11 ans étaient significativement associées aux jours de rentrée scolaire (OR 1,46 [IC95% : 1,29-1,65]). Les OR étaient moins importants dans les autres tranches d’âge : enfants de 2-4 ans (OR 1,19 [IC95% : 1,06-1,35]), enfants de 12-17 ans (OR 1,13 [IC95% : 0,98- 1,31]), adultes (OR 1,07 [IC95% : 1,00-1,14]).
À Brisbane (Australie), Lincoln et coll.(11) ont effectué une étude longitudinale sur les admissions pour asthme entre 1994 et 2000. Après ajustement des variables de confusion, le risque d’admission à l’hôpital pour asthme augmentait 2 à 4 semaines après le retour de vacances, plus particulièrement après les vacances d’été. Le risque était multiplié par un coefficient de 1,5 à 3 et il se manifestait rapidement, dès les premiers jours de la reprise scolaire. Il affectait le groupe des enfants de 5-14 ans, mais pas celui des 1-4 ans(11).
Julious et coll.(12) ont comparé le pic des admissions pour asthme après le retour des vacances à Aberdeen (Écosse) et à Doncaster (Angleterre) sachant que les vacances prennent fin 2 semaines plus tard en Écosse qu’en Angleterre. L’étude a été réalisée entre le 23 juillet et le 8 octobre, de 1999 à 2004. Comme on pouvait s’y attendre, le pic des admissions pour asthme au retour de vacances existait dans les deux sites, mais il fut logiquement observé 2 semaines plus tard à Doncaster(12).
En Israël, Scheuerman et coll.(13) ont également étudié un grand nombre d’exacerbations d’asthme : 4 091 chez les adultes et 3 920 chez les enfants. Le taux des admissions pour ces exacerbations variait entre 4 % du total des admissions en hiver et 2% en été. Le mois de septembre était très particulier : 6 % d’admissions chez les enfants(13). En dehors des infections virales, les auteurs incriminaient l’exposition à de nouveaux allergènes, le stress de la rentrée, une faible adhésion au traitement, et, fait très important, son arrêt pendant les vacances(13).
Toutefois, dans une étude espagnole cas/témoins portant sur 290 enfants asthmatiques de la province de Vizcaya (partie septentrionale de l’Espagne), il n’a pas été observé de relation entre les admissions aux urgences pour asthme aigu, les taux de polluants atmosphériques (SO2, NOx, fumées), la direction et la vitesse des vents, l’hygrométrie, et les infections virales(14). Cependant, à Vizcaya, les épidémies d’asthme apparaissent chaque année à la fin de l’été... Le fait que les enfants asthmatiques étudiés soient très majoritairement atopiques fait évoquer le rôle de facteurs allergéniques pendant les vacances et au retour au domicile (acariens). Toutefois, cette étude, certes contrôlée, mais de faible ampleur reste sujette à caution(14).
CAUSES DES ÉPIDÉMIES D’ASTHME DE SEPTEMBRE
L’impact des infections ORL virales sur les exacerbations de l’asthme est bien établi par des études effectuées dans plusieurs pays du monde(15).
Ces virus sont très nombreux, l’apparition de nouvelles souches est habituelle, et la plupart d’entre eux ne confèrent pas une immunité durable. L’irruption de ces virus dans la communauté scolaire affecte rapidement les enfants non immunisés. Bien évidemment, tous les enfants peuvent être contaminés, mais le risque est très important chez les asthmatiques dont l’asthme est mal ou non contrôlé(9,15), voire fréquemment stoppé pendant les vacances !
On sait en effet que le traitement de fond antiasthmatique par les CI ou les antileucotriènes (AL) est souvent diminué ou arrêté pendant les vacances d’été(9,13) ce qui constitue un facteur favorisant majeur d’exacerbations (encadré 1). A contrario, une étude randomisée en double insu, contre placebo, effectuée chez 194 enfants âgés de 2 à 14 ans a montré que l’adjonction de d’AL (montélukast) au traitement de fond (CI ou autre), atténuait les symptômes des exacerbations d’asthme de septembre, surtout chez les garçons de 2 à 5 ans et les filles de 10 à 14 ans(16).
En 2011, l’impact de la rentrée scolaire en termes de coût de santé pour asthme a été évalué par Lin et coll.(17) à New York entre 1991 et 2001. L’augmentation des hospitalisations pour asthme après la rentrée scolaire allait de 20 % à 300 %. Si les coûts sont les plus élevés après les grandes vacances, ils existaient également après les rentrées des «petites vacances»(17).
D’autres facteurs peuvent s’associer aux infections virales, en particulier l’atopie. Pendant les mois d’août et de septembre, les conditions environnementales (température > 20 °C et l’augmentation de l’hygrométrie (>75-80%) favorisent la multiplication des acariens. Les altérations bronchiques (inflammation et hyperperméabilité bronchique) favorisent à leur tour le passage transbronchique et l’acquisition de sensibilisations aux pneumallergènes usuels, en particulier les acariens, mais aussi les phanères d’animaux qui sont importés dans les classes par les détenteurs de chats et de chiens(18,19).
L’influence de l’atopie est vérifiée par de nombreuses études comme, par exemple, celle d’Olenec et coll.(20) qui ont recherché des virus par PRC multiplex dans le liquide de lavage nasal (LN) de 58 enfants asthmatiques âgés de 6 à 8 ans pendant 5 semaines consécutives, de septembre à avril, et étudié les corrélations possibles entre la détection de souches virales, les symptômes d’asthme induits par les « rhumes », la consommation médicamenteuse et les valeurs du débit expiratoire de pointe (DEP). Des virus furent détectés dans 36 à 50 % des LN, au cours de deux semaines différentes : 72 % à 99 % étaient des rhinovirus, très variés, puisque 52 souches différentes furent détectées, y compris 16 rhinovirus de type C. Au total, 169 rhinovirus furent détectés. Le résultat principal fut que les symptômes d’asthme induits par les rhumes communs furent plus importants au cours des deux semaines avec isolements viraux positifs (p < 0,0001 et p = 0,0002). De plus, les symptômes associés à un isolement viral dans le LN étaient plus sévères et plus souvent responsables d’une perte du contrôle de l’asthme(20). Bien que le pourcentage des isolements viraux ait été le même chez les enfants non sensibilisés que chez ceux sensibilisés à un ou plusieurs allergènes usuels, ces derniers avaient des symptômes plus marqués (p = 0,03)(20).
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