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Asthme

Publié le 06 avr 2022Lecture 12 min

Asthme sévère : c’est l’heure de souffler pour nos patients

Colas TCHÉRAKIAN, Service de pneumologie, hôpital Foch, Suresnes ; Centre de compétence des déficits immunitaires ; Centre de référence des éosinophiles (CEREO)

L’asthme sévère n'est pas de l'asthme…

L’asthme n’est pas une entité unique, c’est un syndrome. S’il est vrai que dans notre pratique nous voyons toutes sortes d’asthmes, qui semblent être un continuum du plus léger au plus sévère, le plus sévère n’est pas la continuité du plus léger. Aujourd’hui nous définissons l’asthme sur des symptômes cliniques compatibles et un trouble ventilatoire obstructif réversible (ou une variation du débit expiratoire de pointe). En absence de trouble ventilatoire obstructif (TVO), il faut faire la démonstration d’une hyperéactivité non spécifique. Ces symptômes et manifestations fonctionnelles respiratoires sont secondaires à l’inflammation bronchique, qui est le substrat même de l’asthme. Si nous pouvions mesurer cette inflammation, ce serait plus simple. Un pas dans cette direction est réalisé par les recommandations de NICE avec la mesure du NO exhalé en première intention, avant les explorations fonctionnelles respiratoires (EFR). Nous ne leur avons pas emboîté le pas pour de multiples raisons, mais la tendance est là. Si nous arrivions à définir l’asthme par son inflammation, nous le classerions ensuite par sa sensibilité au traitement. Or, nous allons le voir, la caractéristique de l’asthme sévère est sa résistance au traitement par corticoïdes inhalés à dose thérapeutique. De ce fait, c’est une maladie bronchique qui requiert des traitements spécifiques et devrait sortir du cadre de l’asthme « simple » que l’on peut définir par une maladie inflammatoire cortico-sensible. De ce fait, la définition de l’asthme sévère aujourd’hui n’est pas celle de demain. En effet l’asthme sévère se définit par l’embarras thérapeutique qu’il nous crée pour le contrôler et demain nous n’aurons pas les mêmes traitements qu’aujourd’hui. Et aujourd’hui, plus précisément, c’est la pression thérapeutique nécessaire en corticostéroïdes inhalés (CSI) associés à un bronchodilatateur de longue durée d’action (LABA) pour contrôler l’asthme qui définit sa sévérité. Mais les CSI ne sont pas la panacée. Les CSI ne sont pas un traitement spécifique de l’asthme, car ils agissent de façon très large sur tous les acteurs bronchiques (épithélium bronchique et cellules immunitaires). Pour l’instant, les CSI sont incontournables malgré leurs défauts, car ils sont suffisants à petite dose, en pointillés ou en continu, pour contrôler 90 % des asthmatiques sans effets secondaires et pour un coût imbattable. C’est pour ça que leur disparition ne s’attend pas demain. Et l’asthme devrait se définir comme ceci : une maladie bronchique que l’on peut contrôler avec la plus petite dose de CSI-LABA disponible dans chaque spécialité pharmacologique. On peut rajouter qu’avec ce traitement on doit attendre une normalité des explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) et en particulier du volume expiré maximal à une seconde (VEMS). Ceci définit l’asthme, et le travail de tous est de maintenir le patient : sans symptômes, pour un avenir sans exacerbations et ainsi minimiser son risque de décès ; avec une fonction respiratoire normale, pour lui assurer un avenir sans handicap respiratoire. Au-delà de ces doses de CSI-LABA, ce n’est plus de l’asthme et les 10 à 15 % de patients qui « résistent » ne sont pas « qu’un asthme » et requièrent une prise en charge thérapeutique spécifique. ATTENTION, CORTICO-SENSIBILITÉ NE RIME PAS AVEC BÉNIGNITÉ Il n’y a pas de « petits asthmes ». On sait que ces asthmes légers aussi peuvent envoyer les patients en réanimation et même les tuer. Le risque est très faible pour chaque patient, mais les patients sont très nombreux (plus de 2 millions d’asthmatiques ne nécessitant pas de traitement de fond en France). Mais la mortalité et l’hospitalisation sont inversement corrélées à la prise de CSI, c’est donc un problème d’observance ou d’absence de prescription de CSI, plus que de résistance au traitement. Les données issues du système national des données de santé (SNDS) sont claires sur ce point en France et corroborent ce que l’on sait depuis des années : la prise de bêta-agonistes de courte durée d’action (BCDA) sans traitement de fond est associée à une surmortalité, de même que l’absence de prise de CSI. Le paradoxe sévérité-mortalité : les asthmatiques légers décèdent aussi, surtout s’ils ne consomment que des bêta-agonistes de courte durée d’action. La mise en regard des deux courbes de consommation de BCDA et de CSI associées à la mortalité ne laisse guère de place à la discussion (figure 1). Dès trois flacons de BCDA par an, le risque de passage aux urgences augmente et, dès un flacon de BCDA par mois, c’est le risque de décès qui est fortement accru. Figure 1. Courbes de consommation de BCDA et de CSI associées à la mortalité. À l’inverse, un flacon par mois de CSI fait drastiquement chuter la mortalité avec des doses quotidiennes de CSI consommées très modeste : moins de 500 microgrammes par jour d’équivalent béclométasone, soit la plus petite dose de CSI-LABA disponible dans chaque spécialité pharmaceutique disponible sur le marché. Enfin, l’absence de symptômes ne signifie pas l’absence d’altération de la fonction respiratoire, raison pour laquelle GINA et SPLF recommandent un suivi fonctionnel aussi chez ces patients au minimum tous les un à deux ans. Ces asthmes reçoivent aujourd’hui, avec un CSI-LABA à la dose minimale, la meilleure thérapeutique disponible en balance bénéfice/risque. Il est de notre devoir à tous de s’assurer que ces patients reçoivent la dose minimale efficace, car le step-down n’est pas fait dans les trois quarts des cas à la consultation. À l’opposé de l’asthme « cortico-sensible », il y a les maladies bronchiques obstructives qui nécessitent la prise (effective) d’un CSI-LABA à la dose moyenne ou maximale pour garder le contrôle des symptômes : c’est un asthme sévère contrôlé. Parfois, même sous cette pression thérapeutique, le patient n’est pas contrôlé. Il rentre dans le cadre des asthmes difficiles à traiter. Pour mémoire, le gain de contrôle en passant de la dose moyenne quotidienne à la dose élevée est faible en pratique. À tel point que le palier V de la GINA recommande aujourd’hui de discuter l’introduction d’un LAMA et la discussion en réunion de concertation de l’asthme (RCA) les options diagnostiques et thérapeutiques avant l’augmentation du CSI-LABA à dose maximale. C’est effectivement à ce moment qu’il faut être suspicieux sur le diagnostic d’asthme et reprendre les fondamentaux, puisque le patient sort des 90 % d’asthme contrôlable avec la dose minimale de CSI-LABA. Avec ces patients non contrôlés par une dose forte de CSI-LABA, nous rentrons dans le petit groupe des asthmes difficiles à traiter. L’asthme sévère est de fait un asthme difficile à traiter mais, c’est un asthme difficile à traiter dont on a successivement examiné et pris en charge les quatre points suivants : la remise en cause du diagnostic d’asthme lui-même car l’asthme est normalement cortico-sensible. Il faut revoir le dossier en recherchant les atypies ; l’observance et la qualité de prise. On peut toujours se faire avoir (!) la recherche de comorbidités non prises en charge : une obésité, une allergie... la recherche de facteurs aggravants, comme la prise d’un bêtabloquant ou le tabagisme actif (figure 2). Figure 2. Comorbidités/facteurs aggravants de l’asthme sévère. Certains de ces points ne seront pas toujours résolus mais ils doivent être identifiés. Une fois ce processus réalisé, on parle d’asthme sévère. JE VOUS PARLE D’UN ASTHME NON CONTRÔLÉ MAIS, FINALEMENT, QUELLE EST LA DÉFINITION DU NON-CONTRÔLE EN 2022 ? Il y a deux définitions internationales d’un asthme non contrôlé : une ancienne, celle de l’ERS/ATS de 2014 (encadré 1) et celle de GINA (figure 3) constamment remise à jour et dont la dernière mouture date de 2021. C’est intéressant, car on voit le changement des paramètres de suivis recommandés. L’élément qui saute aux yeux entre les deux définitions du contrôle à sept ans d’intervalle est la disparition du VEMS au fil du temps. Alors que la réalisation du VEMS est quotidiennement réalisée dans la surveillance des asthmatiques, ce dernier a disparu dans les éléments de contrôle de l’asthme dans GINA. Figure 3. La définition GINA, la plus utilisée. POURQUOI LE VEMS A-T-IL DISPARU DES ÉLÉMENTS RETENUS DANS LE CONTRÔLE DE L’ASTHME ? En pratique, pour évaluer un asthme, on dispose d’un panel d’outils qui combine clinique et examens complémentaires (figure 4). Figure 4. Panel d’outils dans l’asthme. Certains sont diagnostiques, d’autres pronostiques, parfois les deux. Le plus important est que chacun apporte une information complémentaire par rapport à l’autre. Pour exemple, une jeune asthmatique surprise par une mesure de NO élevée et ses EFR normales me demandait « comment c’est possible ?! ». Si les deux mesures étaient redondantes, on en supprimerait une ! La fonction respiratoire est un élément nécessaire au diagnostic, en particulier par la démonstration de la réversibilité. Toutefois, bon nombre d’entre nous utilisons également le VEMS dans le suivi de l’asthmatique, puisqu’on attend qu’un patient asthmatique présente une normalisation (au moins une amélioration) de sa fonction respiratoire ou, si elle est normale au départ, qu’elle le reste. Or, pour reprendre la définition d’un asthme sévère non contrôlé, il s’agit d’un asthme traité par des doses maximales de CSI- LABA sans obtenir le contrôle des symptômes et/ou de devoir recourir à des corticothérapies orales au moins deux fois par an. Plus rien dans cette définition du contrôle ne renvoie à la fonction respiratoire. Pourtant, intuitivement, pour un pneumologue la fonction semble au premier plan dans l’évaluation du contrôle d’un asthmatique. Pourquoi l’asthmatique sévère serait différent et que la fonction n’importerait plus dans sa caractérisation ? Même s’il est vrai que j’annonçais en préambule que l’asthme sévère n’est pas un continuum de l’asthme (car non cortico-sensible aux CSI), le VEMS semble un bon outil d’évaluation des maladies bronchiques en général. On peut donc légitimement se poser la question : pourquoi le VEMS a-t-il disparu progressivement dans le diagnostic et la prise en charge de l’asthme sévère ? La disparition progressive du VEMS prend racine dans les études d’efficacité des biothérapies dans l’asthme sévère. L’étude princeps est celle publiée en 2005 (Humbert M et al. Allergy) sur l’omalizumab dont l’efficacité est jugée sur la diminution du nombre d’exacerbations, en particulier on y trouve une diminution de 50 % des exacerbations sévères. Une exacerbation est de facto sévère si elle conduit à l’hospitalisation. Ce critère était parfaitement justifié car 20 % des asthmes les plus sévères coûtent 80 % du coût de santé pour l’asthme, essentiellement via les hospitalisations. Cette première étape permettait de montrer qu’une biothérapie était efficace sur un critère grave, objectif et coûteux. Dans les suites, les publications sur les biothérapies (anti-IL5) garderont les exacerbations corticodépendantes et les hospitalisations comme critère d’efficacité mais vont également viser la réduction et le sevrage de la corticothérapie orale. En effet la corticothérapie orale cumulée (qu’elle soit discontinue, répétée ou continue) est associée à une surmortalité par les complications qu’elle entraîne. De ce fait, la baisse de la corticothérapie orale est un objectif fondamental et facilement mesurable pour évaluer l’efficacité d’une biothérapie. Le deuxième élément qui a contribué à délaisser le VEMS dans l’asthme sévère est le peu d’effet sur la fonction respiratoire des premières biothérapies et même des corticoïdes oraux (Backman KS. Chest 1997). Effectivement, lorsque certaines études montraient un bénéfice statistique sur le VEMS, il n’atteignait pas pour autant la significativité clinique. On a naturellement tendance à ne pas regarder ce sur quoi on n’a pas d’effet. DISPARITION DU VEMS POUR LE DIAGNOSTIC D’ASTHME SÉVÈRE ET SON SUIVI Un des effets positifs de l’oubli du VEMS dans l’évaluation de l’asthme sévère est qu’il n’est effectivement pas nécessaire au diagnostic de l’asthme sévère. On peut avoir un patient avec un VEMS diminué à 75 %, stable depuis des années et parfaitement contrôlé sous CSI-LABA à dose modérée. La baisse du VEMS n’est donc pas synonyme d’asthme sévère. Inversement on a tous des patients observants avec des VEMS en consultation à plus de 90 % et qui font des passages répétés en réanimation ou nécessitent des corticoïdes oraux de façon récurrente. Dissocier la valeur du VEMS du diagnostic d’asthme sévère a donc été une bonne chose de ce point de vue. Oui, mais à l’inverse, ne plus regarder le VEMS dans l’asthme sévère est-il une bonne idée ? En effet, l’absence d’effet des traitements sur le VEMS n’enlève pas ses qualités au VEMS dans le phénotypage de l’asthmatique. Ci-dessous les éléments apportés dans la caractérisation de l’asthmatique sévère par le VEMS. Le premier élément est l’étude de l’hyperréactivité bronchique (HRB). Lorsque le VEMS n’est pas normal, la disparition de l’HRB lors du suivi est associée à un profil d’exacerbation (figure 5). Figure 5. Perte de l’hyperréactivité bronchique chez les exacerbateurs. HRB : hyperréactivité bronchique La présence d’une diminution du VEMS avec TVO chez un patient jeune est associée à une non-rémission de l’asthme dans les 25 ans qui suivent (Panhuysen CIM et al. Am J Respir Crit Care Med 1997). L’exacerbation dans l’asthme est associée à une perte plus rapide du VEMS (figure 6). Figure 6. La perte de VEMS est d’autant plus importante que le patient est exacerbateur. Un VEMS plus bas (Khan A et al. Ann Allergy Asthma Immunol 2018) est associé à un sur-risque d’exacerbation. Par rapport à un asthmatique avec un VEMS > 80 % : – avoir un VEMS entre 50 et 80 % augmente le risque d’exacerbation de 30 % ; – et avoir un VEMS < 50 % augmente le risque d’exacerbation de 60 %. Enfin, un VEMS plus bas est, comme dans la BPCO, un marqueur de mortalité aussi dans l’asthme (Ali Z et al. Chest 2013). Par rapport à un asthmatique avec un VEMS > 80 % : – avoir un VEMS entre 50 et 80 % multiplie le risque de décès par 3 ; – et avoir un VEMS < 50 % multiplie le risque de décès par presque 5. Finalement le VEMS permet de caractériser et suivre un phénotype particulier d’asthmatique, puisqu’un VEMS diminué et s’abaissant rapidement est associé à un profil exacerbateur, développant un trouble ventilatoire obstructif fixé et à risque vital. Attention, à l’inverse je le rappelle encore une fois, l’absence de diminution du VEMS ne signe pas un asthme sans gravité et la baisse du VEMS n’est pas une condition sine qua non pour le diagnostic d’asthme sévère ou la proposition d’une biothérapie. LES THÉRAPEUTIQUES DISPONIBLES CHANGENT LA DONNE D’autre part, les temps changent et les thérapeutiques aussi. Or les biothérapies les plus récentes s’attaquent au problème de la fonction respiratoire dans l’asthme sévère. La première biothérapie à en avoir fait un co-critère de jugement principal avec les exacerbations est l’anti-IL4/IL13 dupilumab. On obtient une amélioration du VEMS de 250 mL en pré-bêta2 par rapport au placebo à 52 semaines. Les autres biothérapies suivent et suivront la même voie si elles veulent démontrer leur efficacité. Démontrer une diminution des exacerbations et de la corticothérapie orale n’étant plus assez « différenciante » pour une nouvelle biothérapie ! Finalement, le VEMS revient dans le suivi de toutes les formes d’asthmes, des plus légères aux plus sévères. C’est une bonne nouvelle, car si l’on fait à nouveau souffler les patients sévères, c’est qu’on peut leur donner plus de souffle.

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