Publié le 23 mar 2023Lecture 11 min
Actualité en péri-opératoire dans le cancer bronchique non à petites cellules : l’essor de l’immunothérapie
Julien ANCEL - Pneumologue, CHU de Reims
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INTRODUCTION ET STRATÉGIE ACTUELLE
Le cancer bronchique non à petites cellules représente la première cause de mortalité par cancer en France(1). Son diagnostic se fait pour 45 % des cas à un stade métastatique et pour environ la moitié des cas à un stade jugé potentiellement opérable(2). Depuis de nombreuses années, le standard actuel repose en adjuvant sur un doublet de chimiothérapie à base de sels de platine, le protocole recommandé étant le cisplatine associé à la navelbine. Le bénéfice apporté est d’environ 5 % de survie à 5 ans tous stades confondus, restant dépendant du stade et de l’état général du patient(3). L’indication de cette chimiothérapie est retenue à partir des stades IIA, soit des tumeurs mesurant au moins 4 cm après résection carcinologique en marges saines et/ou invasion ganglionnaire. En dépit d’un gain modéré en termes de survie, la chimiothérapie adjuvante est donc indiquée dans ces situations. La chimiothérapie adjuvante peut cependant se heurter à de potentiels freins tels que le délai entre la chirurgie et le délai d’instauration de la chimiothérapie (qui doit être classiquement inférieur à 48-56 jours) ou encore l’adhésion et l’observance du patient au traitement. Une autre option est également l’instauration d’une chimiothérapie en situation néoadjuvante. Bien que moins évaluée, cette indication peut être retenue en réunion de concertation pluridisciplinaire dans des situations d’opérabilité jugées limites afin d’obtenir une régression tumorale avant chirurgie. Cela peut également permettre de contrôler plus précocement un risque de micrométastases avec un profil de toxicité que l’on connait acceptable et une adhésion au traitement connue comme bien meilleure en comparaison à la situation adjuvante.
Basée sur les révolutions thérapeutiques apportées par l’immunothérapie dans les stades métastatiques puis en consolidation après une radio-chimiothérapie pour les CBNPC de stade III, l’immunothérapie est désormais évaluée pour des stades plus précoces en situation péri-opératoire. L’objectif est bien sûr de réduire le risque de récidive pour un CBNPC opéré. La situation péri-opératoire offre plusieurs possibilités de stratégies pour placer l’immunothérapie, qu’elle soit envisagée en situation néoadjuvante et/ou adjuvante, combinée ou non à une chimiothérapie. Sont présentées ici les données publiées des principaux essais évaluant l’immunothérapie seule ou combinée, qu’elle soit en contexte néoadjuvant et/ou adjuvant.
ÉTUDES PUBLIÉES ÉVALUANT L’IMMUNOTHÉRAPIE EN SITUATION ADJUVANTE
En contexte de traitement adjuvant, les données disponibles reposent sur deux essais de phase 3 : IMpower010 et PEARLS Keynote-091.
L’étude IMpower010 comparait en situation de traitement adjuvant standard (tumeurs de stade IB à IIIA, UICC/AJCC V7 ou IB ≥ 4 cm) l’atézolizumab à la dose de 1 200 mg tous les 21 jours pendant 16 cycles au maximum à un groupe contrôle sans l’usage d’un placebo, basé sur une prise en charge habituelle, bien que non standardisée(4). Les autres critères d’inclusion étaient un Performance Statut à 0 ou 1, une chirurgie par lobectomie ou pneumonectomie (excluant les résections infra-lobaires) ainsi que la disponibilité du taux d’expression PD-L1 sur le tissu tumoral (figure 1). Point notable, la chimiothérapie adjuvante était ici obligatoire pour 1 à 4 cycles, avec une randomisation (1:1) réalisée après cette chimiothérapie adjuvante qui était administrée sans immunothérapie. Le critère d’évaluation principal était prévu selon une méthode d’analyse hiérarchique évaluant donc la survie sans maladie (SSM) séquentiellement, l’analyse étant conditionnée à la significativité de l’analyse précédente. La SSM devait donc être tout d’abord analysée pour les patients opérés avec une tumeur de stade II-IIIA, PD-L1 positive (> 1 %) ; puis en cas de positivité, il était autorisé d’analyser la SSM pour les stades II-IIIA, indifféremment du statut du PD- L1 ; et enfin toujours en cas de positivité précédente, il était possible d’analyser la SSM sur la population en intention de traiter (stades IB à IIIA, tout PD-L1). Les résultats présentés ont ainsi démontré un bénéfice parmi les patients opérés d’un CBNPC de stade II-IIIA avec un PD-L1 > 1 % (figure 2) avec un HR à 0,66 (p = 0,003 9) pour des médianes de SSM non atteintes dans le groupe traité par atézolizumab et de 35,3 mois pour le groupe contrôle. Les résultats restaient également positifs dans la seconde analyse hiérarchique avec un HR à 0,79 (p = 0,020), les médianes étant respectivement de 42,3 et 35,3 mois dans le groupe expérimental et contrôle. Enfin, la significativité n’était plus observée dans la population en intention de traiter. Les analyses exploratoires en sous-groupes semblaient proposer un signal plus en faveur de l’immunothérapie pour les patients avec une tumeur exprimant fortement le PD-L1 (≥ 50 %). La tolérance du traitement était jugée satisfaisante bien que des effets secondaires non négligeables aient pu être observés dans cette situation adjuvante chez des patients potentiellement guéris de leur maladie après chirurgie. On rapportera notamment 5 décès (2 %) et 60 patients (12 %) dans le groupe expérimental ayant présenté une toxicité immuno-induite et ayant nécessité le recours à une corticothérapie systémique.
Figure 1. Design de l’étude IMpower010.
Stade selon UICC/AJCC v7 ; PD-L1 : Programmed death-ligand 1 ; SG : survie globale ; SSM : survie sans maladie.
Figure 2. Résultat principal de l’étude IMpower010 :
survie sans maladie dans les stades II-IIIA avec un PD-L1 ≥ 1 %.
L’autre essai paru en 2022 correspond à l’étude PEARLS Keynote-091(5), évaluant en situation adjuvante, le pembrolizumab à la dose de 200 mg toutes les 3 semaines pour 18 cycles au total avec des critères d’inclusion relativement similaires. Cet essai diffère sur son design en quelques points : le groupe contrôle bénéficiait de l’administration d’un placebo et la chimiothérapie adjuvante était cette fois non-obligatoire bien que fortement recommandée (et représentant donc un facteur de stratification) (figure 3). Enfin le critère de jugement principal était ici composite et portait sur la SSM à la fois en population totale (stades IB à IIIA, indifféremment du PD-L1) et chez les patients avec un PD-L1 fortement exprimé (≥ 50 %). 1 177 patients ont ainsi été randomisés (1 :1) après une éventuelle chimiothérapie adjuvante avec un recul médian à la parution de 35,6 mois. En termes de résultats (figure 4), le pembrolizumab démontrait déjà une supériorité en comparaison au placebo en termes de SSM avec des médianes respectivement de 53,6 et 42,0 mois (H = 0,76, p = 0,001 4). Les résultats étaient cependant surprenants lors de leur présentation en ce qui concernait le second critère de jugement principal chez les patients avec un PD-L1 ≥ 50 % : les courbes de SSM des deux bras se superposaient et même se croisaient pour une absence de significativité (HR = 0,82, p=0,014). Il faut cependant interpréter ces résultats avec prudence, les données n’étant pas encore matures, de nombreuses données étant encore censurées et des médianes n’étant pas atteintes dans les deux groupes. D’autres arguments peuvent être avancés telle qu’une surperformance du groupe contrôle dans la population avec un PD-L1 ≥ 50 %. Les prochaines communications relatives à cet essai sont en tout cas très attendues. En termes de sécurité, le profil était similaire à celui de l’étude IMpower010, avec tout de même deux cas de myocardites (< 1 %) ayant conduit au décès et 84 patients (37 %) du groupe pembrolizumab traités par corticothérapie systémique pour toxicité immune contre 17 (23 %) dans le groupe placebo.
Figure 3. Design de l’étude PEARLS Keynote-091 : pembrolizumab en adjuvant chez des patients opérés.
Stade selon UICC/AJCC v7 ; marge R0 : marge de résection macroscopiquement et microscopiquement saines ;
PD-L1 : Programmed death-ligand 1 ; SG : survie globale ; SSM : survie sans maladie.
Figure 4. Résultats principaux de l’étude PEARLS Keynote-091 :
survie sans maladie en population globale (A) et PD-L1 ≥ 50 % (B).
En plus de l’attente des prochaines communications en rapport avec ces essais avec un recul supplémentaire et la présentation des données de survie globale, d’autres études sont en cours évaluant également la place de l’immunothérapie dans le CBNPC en situation adjuvante. On peut ainsi retenir l’étude IFCT-1401 BR31 (NCT02273375) de phase 3 évaluant le durvalumab, randomisé en 2:1 contre placebo à la dose de 20 mg/kg toutes les 4 semaines pour 12 mois avec pour critère de jugement principal la SSM pour les tumeurs ayant un PD-L1 ≥ 25 %.
Retenons également l’étude de phase 3 ANVIL (NCT02595944) sans placebo, évaluant cette fois-ci le nivolumab en adjuvant, administré toutes les 4 semaines pendant 1 an avec pour critère de jugement principal composite, la survie globale et la SSM.
ÉTUDES PUBLIÉES ÉVALUANT L’IMMUNOTHÉRAPIE EN SITUATION NÉOADJUVANTE
L’immunothérapie cette fois-ci en situation néoadjuvante a également fait l’objet de nombreuses communications sur l’année 2022. Probablement à considérer comme l’une des publications les plus importantes de l’année 2022 dans le cancer pulmonaire, le Pr Nicolas Girard a ainsi présenté lors de l’AACR 2022 les résultats de l’étude Checkmate-816(6).
Les critères d’inclusion étaient des CBNPC de stades IB (≥ 4 cm) à IIIA, considérés d’emblée comme résécables selon la 7e classification. Il était également exigé un Performance Statut de 0 ou 1 et l’absence de mutation EGFR ou ALK. Les patients étaient ensuite randomisés (1 :1) entre un bras expérimental comportant 3 cycles de chimio-immunothérapie à base de nivolumab (360 mg) toutes les 3 semaines et un bras contrôle de chimiothérapie laissée au choix de l’investigateur en néoadjuvant. À noter un troisième bras expérimental testant le nivolumab en association à l’ipilimumab initialement ouvert et ayant inclus de patients aura été clos prématurément sur la base de données externes à l’essai. Les patients devaient être opérés dans les 6 semaines post-chimio +/- immunothérapie avec un re-staging au préalable pour évaluer les réponses radiologiques et s’assurer de l’absence d’évolution du statut opératoire (figure 5). Un traitement adjuvant par chimiothérapie, voire par radiothérapie restait autorisé, mais optionnel.
Le critère de jugement principal était là aussi composite basé sur le taux de réponse pathologique complète (défini par un taux de 0 % de cellule tumorale résiduelle viable dans la tumeur initiale et les relais ganglionnaires) et la survie sans événement, tous les deux évalués par un comité indépendant en aveugle. Les critères de jugement secondaires étaient la réponse pathologie majeure (pCR) (défini par ≤ 10 % de cellules tumorales résiduelles viables dans la tumeur initiale et les relais ganglionnaires) ; la survie globale et le temps jusqu’au décès ou l’apparition de métastases. Des critères exploratoires étaient prévus comme le taux de réponse radiologique ainsi que l’évaluation de marqueurs prédictifs tels que le PD-L1, la charge mutationnelle tumorale ou encore l’ADN tumoral circulant.
Cet essai a ainsi inclus 358 patients avec des données présentées à publication avec un recul médian de 29,5 mois. Concernant le premier co-critère de jugement principal, la survie sans événement s’est avérée positive en faveur du bras expérimental : les médianes étaient de 31,6 mois dans le groupe traité par chimio-immunothérapie contre 20,8 mois pour le groupe chimiothérapie seule (HR = 0,63, p = 0,005) (figure 6). Le second co-critère basé sur la réponse pathologie complète était quant à lui également positif avec un taux de pCR de 24,0 % dans le bras expérimental contre 2,2 % dans le groupe contrôle (OR = 13,94, p < 0,001). Toutes les analyses exploratoires en sous-groupes étaient en faveur du bras combinant chimiothérapie et immunothérapie. Les données restaient immatures pour les autres critères secondaires, dont la survie globale et le temps jusqu’au décès ou la survenue de métastases. La tolérance de la chimio-immunothérapie ne semblait pas limitante avec environ un tiers d’effets secondaires de grade 3 ou 4 dans les deux groupes. Aucun décès lié à la toxicité des traitements n’était retenu lors de la publication dans le bras expérimental.
Figure 5. Design de l’étude Checkmate-816.
Stade selon UICC/AJCC v7 ; marge R0 : marge de résection macroscopiquement et microscopiquement saines ;
PD-L1 : Programmed death-ligand 1 ; SG : survie globale ; SSM : survie sans maladie ;
pCR : réponse pathologique complète ; MPR : Réponse pathologique majeure ;
CMT : charge mutationnelle tumorale ; ADNtc : ADN tumoral circulant.
Figure 6. Résultats principaux de l’essai Checkmate-816 :
survie sans événement (A) et réponse pathologique complète (B).
Facteur important à prendre en compte en néoadjuvant, l’accessibilité à la chirurgie était également conservée voire supérieure numériquement dans le bras expérimental avec 83,2 % de patient effectivement opérés après une chimio-immunothérapie et 75,4 % pour le bras contrôle, les progressions néoplasiques représentant numériquement et respectivement 6,7 % et 9,5 %. La qualité de la chirurgie semblait quant à elle améliorée par la chimio-immunothérapie avec des temps de chirurgie inférieurs, une utilisation de techniques mini-invasives plus fréquente et un taux de pneumo-nectomies inférieur avec des différences d’autant plus marquées pour les stades IIIA.
ÉTUDES ÉVALUANT L’IMMUNOTHÉRAPIE EN PÉRI-OPÉRATOIRE
Enfin, une autre stratégie proposée consiste à administrer à la fois en néoadjuvant et en adjuvant (= péri- opératoire) une immunothérapie +/- associée à une chimiothérapie. Ces principaux essais sont résumés dans le tableau 1, sans données disponibles à l’heure actuelle.
Une question centrale reste celle de la supériorité d’une immunothérapie administrée en adjuvant et/ou néoadjuvant. La situation néoadjuvante présente comme rationnel d’éduquer un système immunitaire avec une tumeur encore en place et sans curage ganglionnaire. Les autres arguments en faveur du contexte néoadjuvant sont la meilleure observance et adhésion du patient au traitement en comparaison au traitement adjuvant ainsi que la possibilité d’évaluer la réponse pathologique sur la pièce opératoire. Cependant, quelques incertitudes subsistent sur la réponse pathologique comme critère de jugement suffisant dans ces études de traitement néoadjuvant, bien que les données confortent de plus en plus ce critère. Les arguments pour un traitement préférentiellement adjuvant sont ceux d’une chirurgie non retardée par le traitement préalable, et principalement de la difficulté dans certains cas (non rares) à obtenir une histologie suffisante pour débuter un traitement en préopératoire.
CONCLUSION
L’immunothérapie a apporté une véritable révolution dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules d’abord aux stades métastatiques, en consolidation dans les stades localement avancés et désormais dans les stades localisés. Les essais de phase 3 aux données disponibles apportent des résultats pour la plupart positifs bien que certains sous-groupes soient surprenants en termes de résultats et qu’il faille encore attendre une maturité suffisante des données.
Trois grandes stratégies semblent se dessiner avec une immunothérapie administrée en situation néoadjuvante, adjuvante voire les deux pour une administration en péri-opératoire.
Les prochains enjeux au-delà de la confirmation des résultats de ces essais en vraie vie puis de l’obtention des remboursements par nos tutelles seront l’implémentation de ces stratégies dans notre pratique clinique quotidienne et de déterminer quelle stratégie conviendra à chaque patient.
En l’absence d’essai comparatif entre ces approches, on peut sup- poser que le choix reposera sur des discussions animées lors de nos réunions de concertation pluridisciplinaires.
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