Pneumologie
Publié le 03 nov 2023Lecture 7 min
La toux chronique réfractaire ou inexpliquée : quelles recommandations de prise en charge ?
Laurent GUILLEMINAULT, pôle des voies respiratoires, service de pneumologie, hôpital Larrey, CHU de Toulouse ; Centre de physiopathologie Toulouse Purpan, INSERM U1043, CNRS UMR 5282, Université Toulouse III, Toulouse
La toux est définie par une expulsion brusque et sonore de l’air contenu dans les poumons, provoquée par l’irritation des voies respiratoires. La toux est un réflexe qui a un rôle bénéfique en protégeant les voies aériennes. Chez certains patients, ce réflexe peut s’exacerber et devenir pathologique. Bien qu’à l’origine d’un inconfort voire d’un réel handicap, la toux est souvent complexe à prendre en charge et parfois à l’origine d’un certain découragement chez des patients qui se retrouvent sans solution thérapeutique malgré des consultations itératives.
DÉFINITION
Les recommandations de prise en charge de la toux chronique, récemment présentées au CPLF 2023, ont établi la définition de la toux chronique comme une toux dont la durée est supérieure à 8 semaines(1). Ceci permet de différencier la toux chronique de la toux aiguë post-virale qui se résout spontanément dans les 3 semaines et qui fait suite à une infection virale haute(2). Contrairement à la toux aiguë qui pose peu de problèmes diagnostiques, la toux chronique est associée à une démarche diagnostique et thérapeutique complexe qui demande une démarche précise. Il est important ici de souligner que chez les patients tousseurs chroniques, bon nombre vont s’améliorer avec une prise en charge classique. Cependant certains patients vont présenter une toux chronique réfractaire ou inexpliquée (TOCRI) pour laquelle aucune cause n’est retrouvée au cours du bilan ou les traitements de la (ou des) cause(s) de la toux chronique ne permettent pas d’améliorer la toux. La TOCRI pose de réels problèmes diagnostiques et thérapeutiques. Aucune définition consensuelle n’a été publiée à l’échelle internationale. Les recommandations françaises ont proposé la définition présentée dans le tableau 1.
COMPLICATIONS DE LA TOUX CHRONIQUE RÉFRACTAIRE OU INEXPLIQUÉE
La toux chronique a un retentissement majeur sur la qualité de vie des patients(3). Les troubles du sommeil quand la toux est nocturne, la fatigue, les céphalées et parfois même les fractures de côtes sont des complications classiques. L’incontinence urinaire affecte près de 50 % des patients tousseurs chroniques. Le handicap social et psychologique est probablement le plus important, car près de 80 % des patients déclarent éviter les lieux qui imposent le silence (cinéma, théâtre...)(4). La répercussion sur la vie de famille et la vie professionnelle est majeure avec une accentuation à la suite de la Covid. En effet, les patients tousseurs chroniques étant identifiés à tort comme des patients potentiellement infectés et contagieux.
PROCESSUS PERMETTANT DE POSER LE DIAGNOSTIC DE TOUX CHRONIQUE RÉFRACTAIRE OU INEXPLIQUÉE
Une prise en charge rigoureuse est nécessaire pour poser le diagnostic de TOCRI. En cas de toux chronique, toux qui dure depuis au moins 8 semaines, la première étape est de rechercher des signes de gravité (perte de poids, crachats de sang...). En cas de signes de gravité, un scanner thoracique s’impose.
En l’absence de ces signes de gravité, il est demandé d’arrêter les méd caments dits tussigènes et le tabac pour les patients fumeurs. Une réévaluation est faite à 4 semaines. En l’absence d’amélioration, l’étape suivante est de rechercher les causes fréquentes de toux telles que l’asthme, les causes rhino-sinusiennes et le reflux gastro-œsophagien (RGO). La radiographie de thorax et la spirométrie sont des examens incontournables. En cas de symptômes en faveur de ces causes, un traitement est donné (souvent pour une période de 2 ou 3 mois). Si la toux s’améliore, le traitement est poursuivi. Il est à noter qu’il est recommandé d’utiliser les inhibiteurs de pompe à protons uniquement chez les patients ayant des symptômes de RGO. À l’inverse, l’utilisation d’une corticothérapie inhalée est assez large chez les patients n’ayant pas de causes évidentes.
En l’absence de cause retrouvée ou en cas d’inefficacité du traitement après cette première étape, une exploration plus approfondie est nécessaire. Celle-ci est à adapter en fonction des symptômes et du contexte clinique. Il n’y a pas d’exploration type. L’endoscopie digestive est à réserver aux patients ayant des symptômes digestifs. L’endoscopie bronchique est à réaliser dans les cas de TOCRI avec forte suspicion de pathologie broncho-pulmonaire notamment lorsque le scanner thoracique est anormal ou lorsque l’endoscopie est nécessaire pour la prise en charge d’une pathologie pulmonaire. En cas de TOCRI avec scanner thoracique normal et sans symptomatologie respira-oire associée, il est suggéré par les experts de ne pas réaliser une endoscopie bronchique dans les recommandations françaises.
Le concept de toux par excès de sensibilité a émergé au cours de la dernière décennie pour expliquer qu’un certain nombre de patients ont une toux chronique réfractaire ou inexpliquée. Il s’agit d’un excès de sensibilité des récepteurs à la toux aux différents stimuli (odeur, parole...) (tableau 2). La cause de ce dysfonctionnement n’est aujourd’hui pas élucidée, mais en clinique certaines caractéristiques évoquent cette toux par excès de sensibilité. Il est important de souligner qu’il existe un autre mécanisme fréquent dans les TOCRI. Il s’agit de la présence d’une dysfonction du larynx. Le larynx est un organe difficile à explorer, mais qui joue un rôle majeur dans la toux chronique réfractaire ou inexpliquée. Ceci explique l’importance de la rééducation par orthophonie ou kinésithérapie.
PRINCIPE DE TRAITEMENT
Il n’existe aujourd’hui aucun médicament ayant une autorisation de mise sur le marché dans la toux chronique réfractaire ou inexpliquée. Le sevrage tabagique reste crucial dans la prise en charge. Le handicap de la toux chronique nécessite de discuter certains traitements pour lesquels il existe des preuves scientifiques de leur utilité dans cette indication. Compte tenu du fait qu’il est maintenant bien établi que la toux chronique réfractaire ou inexpliquée est provoquée par une dysfonction neurologique de l’arc réflexe de la toux chronique, les neuromodulateurs se sont imposés comme un traitement de choix de la TOCRI. Une méta-analyse réalisée en 2018 confirme l’efficacité des traitements neuromodulateurs dans la toux chronique(5). En cas d’utilisation d’un traitement neuromodulateur, la discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire est souhaitable.
Amitriptyline
L’amitriptyline est un inhibiteur non sélectif de la recapture de la monoamine qui appartient à la classe des antidépresseurs. Deux études randomisées ont été publiées sur l’effet de l’amitriptyline sur la toux chronique. Dans une étude réalisée sur 28 patients, l’amitriptyline 10 mg au coucher a été comparée à l’association codéine/guaïfénésine. Comparativement au bras contrôle, l’amitriptyline était significativement associée à une réponse supérieure à 50 %(6).
Prégabaline/gabapentine
La prégabaline et la gabapentine sont des analogues de l’acide gamma-aminobutyrique et sont classées parmi les antiépileptiques. Deux études randomisées ont été réalisées avec ces médicaments dans la toux chronique réfractaire ou inexpliquée. Dans une étude réalisée chez 62 patients tousseurs chroniques réfractaires, la gabapentine administrée progressivement jusqu’à une dose de 1 800 mg/j améliorait significativement le score LCQ et la fréquence de la toux comparativement au placebo(7). Dans une autre étude, une rééducation orthophonique seule était comparée à une association prégabaline/rééducation orthophonique chez 40 patients tousseurs chroniques réfractaires(8). Le degré d’amélioration du score LCQ et de l’EVA de la toux était plus important avec le traitement combiné qu’avec la rééducation orthophonique seule.
Morphine
Une seule étude randomisée contrôlée a évalué l’effet de la morphine faible dose chez 27 patients présentant une toux chronique(9). Comparativement au placebo, le sulfate de morphine à 10 mg 2 fois par jour sous forme à libération prolongée entraînait une amélioration significative du score LCQ. La durée de l’étude était de 4 semaines.
Orthophonie et/ou kinésithérapie
En cas de TOCRI, des approches fonctionnelles doivent également être proposées(10,11). Les patients ayant une toux qui dure depuis longtemps ont une répercussion sur leur larynx. Cette prise en charge est reconnue comme efficace quand elle est bien ciblée, c’est-à-dire en l’absence d’une pathologie autre que fonctionnelle à l’origine de la TOCRI, avec une efficacité de 88 % contre 14 % dans un groupe contrôle(11).
Antagonistes de P2X3
De nouvelles cibles pharmacologiques ont été évaluées lors d’essais cliniques au cours de la dernière décennie. Alors que certaines n’ont pas réussi à faire la preuve de leur intérêt (canaux Transient Receptor Potential [TRP] A1 et V1, récepteurs nicotiniques α7)(12), les études portant sur les récepteurs purinergiques P2X3 ont donné des résultats concluants. Deux études de phase III ont confirmé l’efficacité du gefapixant à la plus forte des doses (45 mg x 2), avec une diminution de la fréquence de la toux de 18,6 % (IC95% [9,2-27,1]) par rapport au placebo à la 12e semaine de traitement(13). La tolérance des molécules de cette classe pharmacologique est globalement bonne. Les principaux effets indésirables relevés étaient une altération de la perception gustative (dysgueusie, hypogueusie, agueusie). Aucun antagoniste de P2X3 n’est actuellement commercialisé.
Figure. Vision actuelle de la toux chronique réfractaire ou inexpliquée. Jusqu’à récemment, les patients présentant une toux persistante n’avaient pas de diagnostic formel. Aujourd’hui, le nom de « toux chronique réfractaire ou inexpliquée » (TOCRI) est utilisé pour identifier ces patients. Deux mécanismes, entre autres, ont été identifiés : un excès de sensibilité des récepteurs à la toux et/ou une dysfonction du larynx.
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