Publié le 06 fév 2024Lecture 18 min
La FeNO dans l’asthme : des bases biochimiques à l’utilisation en clinique
Bruno DEGANO(1)*, Thibaud SOUMAGNE(2)*, Paris et Grenoble
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LE NO, UNE MOLÉCULE NOBÉLISÉE
Les oxydes d’azote (NOx), qui regroupent essentiellement deux molécules que sont le monoxyde d’azote (NO) et le dioxyde d’azote (NO2), sont considérés depuis plusieurs décennies comme des polluants atmosphériques provenant essentiellement de procédés fonctionnant à haute température (transport routier, installations de combustion industrielle ou de chauffage…).
Avant même que son rôle physiologique chez les mammifères ne soit découvert à la fin des années 1980, le NO a par conséquent été mesuré en tant que polluant, ce qui a permis le développement de méthodes de mesure (chimioluminescence) qui ont par la suite facilité son étude en physiologie et en médecine. En 1987, Hervé Guénard a le premier utilisé le NO comme gaz traceur pour estimer le volume sanguin capillaire pulmonaire(1). La même année, quelques-uns des futurs récipiendaires du prix Nobel de médecine et de physiologie ont montré que du NO pouvait être produit de façon enzymatique par des cellules endothéliales à partir d’un substrat, la L-arginine(2). La revue Science a décerné au NO le titre de « Molécule de l’année » en 1992, mais ce n’est qu’en 1998 que trois scientifiques travaillant sur le NO (Robert Furchgott, Louis Ignarro et Ferid Murad) ont reçu le prix Nobel – ce qui donne l’occasion de rappeler que la famille Nobel doit sa fortune à l’invention de la dynamite ou « nitroglycérine » dont la fabrication fait intervenir de l’acide nitrique.
C’est en 1991 que la présence de NO dans les voies respiratoires sous-glottiques a été rapportée pour la première fois(3). En 1995, des auteurs ont montré que la concentration de NO dans les sinus paranasaux était de l’ordre de 10 parties pour million (ppm), c’est-à-dire très supérieure aux concentrations considérées comme toxiques dans l’air ambiant (figure 1)(4). Au fil des ans, des techniques électrochimiques(5), beaucoup moins onéreuses et beaucoup plus simples à mettre en œuvre que la chimioluminescence, ont permis d’envisager la mesure du NO dans les voies aériennes en routine médicale, ouvrant le champ à tout un pan de recherche. Depuis le début des années 2000, entre 6 000 et 8 000 publications consacrées au NO sont référencées chaque année dans PubMed, parmi lesquelles entre 300 et 400 portent sur « NO et asthme ».
Figure 1. Concentration de NO aux différents étages des voies respiratoires. Du NO est mesuré dans les voies aériennes sous-glottiques à une concentration de l’ordre de la dizaine de parties pour milliards (ppb). Dans les sinus paranasaux, la concentration de NO est de l’ordre de 10 parties pour million (ppm), c’est-à-dire très supérieure aux concentrations considérées comme toxiques dans l’air ambiant.
MÉTABOLISME DU NO DANS LES VOIES RESPIRATOIRES
Le monoxyde d’azote (NO) est un gaz radicalaire (il possède un électron non apparié). On estime que sa demi-vie in vivo est de quelques secondes seulement. En solution aqueuse, en présence d’oxygène moléculaire, le radical NO est essentiellement dégradé en nitrites (NO2) et nitrates (NO3). Cependant, il existe des formes de « stockage », sous forme de nitrosothiols en particulier, qui permettent d’augmenter la durée de son action.
Dans l’organisme, le NO est synthétisé par la voie enzymatique des NO-synthases (NOS)(6). Les NOS sont classées en deux catégories, les constitutives (NOS-1 et NOS-3, enzymes qui existent dans certaines cellules, mais doivent être activées pour produire du NO) et l’inductible (NOS-2, dont l’expression est « induite » par certains stimuli et qui, une fois exprimée, est immédiatement active). Même si les trois isoformes de NOS sont présentes dans les poumons, on considère que la majorité du NO produit par le compartiment bronchique et mesuré dans l’air expiré est dérivée de la NOS-2 présente dans l’épithélium cilié, les macrophages et les éosinophiles(7).
Les facteurs pouvant potentiellement influencer la biodisponibilité du NO (et donc sa concentration dans le gaz pulmonaire) sont extrêmement nombreux et complexes, et comprennent (i) l’expression, la localisation subcellulaire et l’activation des NOS ; (ii) la biodisponibilité du substrat (la L-arginine), qui dépend de la présence d’arginases, d’inhibiteurs compétitifs endogènes et de transporteurs transmembranaires du substrat ; (iii) de la présence de cofacteurs enzymatiques, nécessaires à l’activité des NOS ; (iv) de la dégradation du NO ou au contraire de sa production non enzymatique (figure 2).
Figure 2. Biodisponibilité du NO. Les facteurs pouvant influencer la biodisponibilité du NO comprennent (i) l’expression, la localisation subcellulaire et l’activation des NO-synthases (NOS) ; (ii) la biodisponibilité du substrat (la L-arginine), qui dépend de la présence d’arginases, d’inhibiteurscompétitifs endogènes et de transporteurs transmembranaires du substrat ; (iii) de la présence decofacteurs enzymatiques, nécessaires à l’activité des NOS ; (iv) de la dégradation du NO ou aucontraire de sa production non enzymatique.
Dans l’épithélium des voies aériennes de sujets asthmatiques, l’expression de la NOS-2 passe par une voie STAT-6 médiée par l’IL-4 et l’IL-13(8). Ceci explique sans doute que les corticoïdes, qui diminuent la production d’IL-4 et d’IL-13, entraînent une baisse de la concentration de NO dans les voies respiratoires de patients asthmatiques. De même, cela explique pour partie le fait que des biothérapies ciblant l’IL-13 (dont l’efficacité n’a pourtant pas été démontrée dans l’asthme) permettent de diminuer le NO dans les voies respiratoires chez ces patients(9).
Sur la foi de quelques publications, on a longtemps considéré à tort que chez les patients asthmatiques, la concentration de NO mesurée dans l’air expiré témoignait assez fidèlement du nombre d’éosinophiles présent dans les poumons (figure 3).
Figure 3. Relation entre la FeNO et le pourcentage d’éosinophiles dans l’expectoration induite de patients asthmatiques.
Cependant, la corrélation en tre NO expiré et éosinophiles (mesurés dans l’expectoration induite, les biopsies bronchiques et/ou le liquide de lavage broncho-alvéolaire) n’est pas très forte(10). De plus, l’administration d’anticorps anti-IL-5 à des patients asthmatiques, qui permet de réduire l’inflammation en lien avec les éosinophiles des voies respiratoires, n’affecte pas significativement la concentration de NO dans l’air expiré(11). Pour toutes ces raisons, le lien entre éosinophilie pulmonaire et concentration de NO dans l’air expiré dans l’asthme est désormais considéré comme très peu pertinent.
MESURE DE LA FRACTION DE NO DANS L’AIR EXPIRÉ (FENO)
Dans le contexte de l’asthme, on s’intéresse à la concentration (ou « fraction ») de NO mesurée dans du gaz provenant des voies aériennes sous-glottiques et expiré par la bouche. Cette fraction expirée de NO (FeNO) est exprimée en partie pour milliard ou « ppb » (nombre de molécules de NO par milliard de molécules de gaz). Dans le gaz expiré, on considère qu’une partie du NO provient du compartiment alvéolaire et une autre du compartiment bronchique (figure 4) : on identifie une « concentration de NO » dans le compartiment alvéolaire (concentration qui est constante pendant la durée de recueil du gaz expiré) et un « débit de production de NO » par le compartiment bronchique (figure 4A). Un tel modèle permet de comprendre que plus le débit expiratoire est élevé, moins le gaz alvéolaire se charge de NO bronchique pendant l’expiration. De ce fait, plus le débit expiratoire est élevé, plus la FeNO est proche de la concentration alvéolaire de NO. Inversement, plus le débit expiratoire est bas, plus le gaz alvéolaire a le temps de se charger en NO bronchique : ainsi, plus le débit expiratoire est bas, plus la FeNO est élevée (figure 4B).
Figure 4. Modèle permettant d’estimer la concentration alvéolaire de NO et le débit de production de NO par le compartiment bronchique. Dans le gaz expiré, on considère qu’une partie du NO provient du compartiment alvéolaire et une autre du compartiment bronchique. On considère que la concentration de NO dans le compartiment alvéolaire est constante pendant la durée de recueil du gaz expiré et qu’il existe un débit de production de NO par le compartiment bronchique (figure 4A). Plus le débit expiratoire est élevé, moins le gaz alvéolaire se charge de NO bronchique pendant l’expiration. De ce fait, plus le débit expiratoire est élevé, plus la FeNO est proche de la concentration alvéolaire de NO. Inversement, plus le débit expiratoire est bas, plus le gaz alvéolaire se charge en NO bronchique et plus la FeNO est élevée (figure 4B).
Lors de l’expiration, comme la concentration de NO est environ 100, voire 1 000 fois plus élevée dans les sinus paranasaux que dans les voies aériennes sous-glottiques, mesurer la FeNO impose de ne pas « contaminer » le gaz expiré par du gaz provenant des fosses nasales. Pour ce faire, il importe de respecter un certain nombre de règles parmi lesquelles (i) ne pas mettre de pince-nez, (ii) réaliser une inspiration profonde, (iii) débuter l’expiration sans faire de pause télé-inspiratoire et (iv) pendant le recueil du gaz dans lequel la FeNO est mesurée, expirer contre une résistance buccale de l’ordre de 5 à 10 cmH2O de façon à provoquer la fermeture du voile du palais, ce qui permet « d’isoler » les fosses nasales de la bouche.
POURQUOI MESURER LA FENO À UN DÉBIT EXPIRATOIRE DE 50 ML/S DANS L’ASTHME ?
Dès le milieu des années 1990, des publications ont rapporté le fait que la FeNO était plus élevée chez des patients asthmatiques que chez des sujets témoins, et surtout que l’administration de corticoïdes inhalés chez les patients asthmatiques permettait de restaurer une FeNO égale à celle des témoins(12). Néanmoins, ces premiers articles utilisaient une méthode non standardisée pour mesurer la FeNO (en l’occurrence, il s’agissait du « pic de NO expiré », et les valeurs mesurées étaient de l’ordre de plusieurs centaines de ppb). Par la suite, des approches statistiques ont montré que c’était la FeNO mesurée lors d’une expiration à un débit constant de 50 mL/s qui était la mieux corrélée à une éosinophilie dans l’expectoration induite chez les patients asthmatiques(10). En outre, au sein de cohortes de patients asthmatiques, c’est la fraction expirée de NO mesurée à un débit expiratoire de 50 mL/s qui, par comparaison avec la fraction expirée de NO mesurée à des débits plus élevés, qui était le mieux associée aux évènements cliniques (survenue d’une exacerbation en particulier) et à la réponse thérapeutique (traitements corticoïdes lors d’une exacerbation d’asthme)(13).
La compréhension des sources de NO dans les voies respiratoires, d’une part (figure 4), les études cliniques(13) et le développement de modèles visant à séparer le plus précisément possible le NO d’origine bronchique des autres sources de NO dans le gaz expiré(14,15) ont fini de valider le fait que la FeNO mesurée à un débit expiratoire de 50 mL/s (autrement dit, FE50NO) était le biomarqueur le plus pertinent dans l’asthme.
LA MESURE DE LA FENO DANS L’ASTHME, EN PRATIQUE
La mesure de la FeNO dans l’asthme est simple, mais doit répondre à un certain nombre de critères. Idéalement, elle doit être réalisée chez un sujet au repos, à distance de la pratique d’un exercice physique intense, et avant la réalisation d’une spirométrie. Comme déjà signalé, la manœuvre débute par une inspiration profonde, sans pause télé-inspiratoire, sans port de pince-nez. La durée de l’expiration à un débit constant de 50 mL/s contre une résistance buccale de l’ordre de 5 à 10 cmH2O doit être d’au moins six secondes chez l’adulte et d’au moins quatre secondes chez l’enfant de moins de 12 ans. La FeNO est mesurée en continu dans le gaz expiré. La valeur retenue est la moyenne des valeurs mesurées durant un plateau d’au moins trois secondes. Pour que la mesure soit valide, la variation de FeNO entre les points extrêmes de ce plateau doit être inférieure à 10 %.
Dans la suite de l’exposé, le terme « FeNO » sous-entendra « FeNO mesurée à un dé bit expiratoire constant de 50 ml/s selon les recommandations ».
LA MESURE DE LA FENO DANS L’ASTHME EST-ELLE REPRODUCTIBLE ? EXISTE-T-IL UNE VALEUR SEUIL ?
Les rares études à s’y être intéressées ont montré une bonne reproductibilité de la FeNO dans l’asthme — sous réserve bien sûr que les mesures soient effectuées conformément aux recommandations(16).
La question de la valeur seuil est beaucoup plus complexe. Une première raison à cela tient aux effets du contexte clinique sur la valeur de la FeNO dans l’asthme. À cet égard, on peut rappeler que la valeur seuil permettant de prédire une éosinophilie ≥ 3 % dans l’expectoration induite dépend de l’existence ou non d’une atopie, d’un tabagisme actif et /ou d’une corticothérapie inhalée (tableau), et que cette valeur seuil va du simple au triple selon qu’une ou plusieurs de ces conditions sont réunies(17).
Un autre élément à rappeler est la valeur extrêmement variable de la FeNO au sein des groupes de sujets sains (figure 5), rendant la détermination d’une valeur seuil fort délicate(18). Ceci explique sans doute en grande partie que des « valeurs seuils », lorsqu’elles sont proposées par des sociétés savantes ou par des experts, soient très différentes d’une publication à l’autre(19).
En pratique, même si la reproductibilité de la mesure de FeNO est excellente, il n’existe pas de valeur seuil « universelle » pour interpréter les mesures faites dans le cadre de l’asthme : la valeur de la FeNO devra donc être interprétée à l’aune du contexte clinique et de la question posée.
Figure 5. Relation entre la FeNO et le pourcentage d’éosinophiles dans l’expectoration induite de patients asthmatiques.
PEUT-ON UTILISER LA FENO POUR DIAGNOSTIQUER UN ASTHME ?
La réponse à la question de savoir si la FeNO permet à elle seule de diagnostiquer un asthme est clairement non. Néanmoins, cette position tranchée mérite d’être nuancée, et la FeNO dans certains cas peut modifier la probabilité clinique d’asthme(19).
Des auteurs ont récemment proposé un score associant des symptômes au résultat d’une mesure de FeNO pour porter un diagnostic d’asthme(20). Leur conclusion est que d’associer des données cliniques issues d’un questionnaire à un résultat de FeNO permet d’améliorer les valeurs prédictives positive et négative de la FeNO utilisée seule. Selon les auteurs, cette approche permettrait de s’affranchir de toute mesure de spirométrie pour porter un diagnostic d’asthme. Le score proposé est complexe, et il ne doit sans doute pas être utilisé avant d’avoir été validé dans une population autre que celle qui a servi à l’établir.
Un autre travail, très récent lui aussi, a consisté à tester différents modèles associant des symptômes, des grandeurs issues de la spirométrie et/ou la FeNO pour diagnostiquer un asthme(21). Dans ce travail, le modèle le plus performant pour identifier un asthme combine un critère clinique (présence de râles sibilants), le VEMS (exprimé en % pred), le rapport VEMS/CVF (exprimé en %) et la FeNO (exprimée en ppb) — sachant que la contribution de la FeNO reste bien plus faible que celle de la spirométrie et des symptômes.
Dans le cadre d’un article de revue générale, des auteurs ont proposé un arbre décisionnel plus simple et sans doute plus pragmatique utilisant la FeNO pour le diagnostic d’asthme(19) : dans un contexte clinique compatible avec un diagnostic d’asthme, chez des patients ne recevant pas de corticoïdes inhalés et présentant des symptômes évocateurs du diagnostic, une valeur élevée de la FeNO (≥ 50 ppb) renforce la probabilité du diagnostic d’asthme et rend probable la réponse clinique aux corticoïdes inhalés, alors qu’une valeur basse (< 20 ppb), sans permettre d’écarter le diagnostic, le rende peu probable (figure 6).
Figure 6. Proposition d’algorithme incluant le résultat de FeNO pour porter un diagnostic d’asthme.
PEUT-ON UTILISER LA FENO POUR ADAPTER LA DOSE DE CORTICOÏDES INHALÉS DANS L’ASTHME ?
La FeNO semble jouer un rôle dans la prédiction de la réponse à la corticothérapie inhalée, tant chez les patients qui n’en reçoivent pas au moment de la mesure que chez ceux qui en reçoivent déjà(22).
De très nombreuses études se sont intéressées à la place de la FeNO pour adapter le traitement corticoïde des patients asthmatiques, et le moins que l’on puisse dire est que les résultats sont contrastés(23). Le rationnel de ces études est que compte tenu du lien entre la valeur de la FeNO et le niveau d’inflammation T2, d’une part (dont on a néanmoins vu que le niveau de corrélation était faible), et de l’effet de la corticothérapie inhalée sur la FeNO, d’autre part, la mesure itérative de FeNO chez des patients asthmatiques avec profil inflammatoire T2 pourrait aider à ajuster la dose des corticoïdes inhalés (en diminuant la dose si la FeNO est « basse » et en l’augmentant si la FeNO est « élevée »). Nombreuses sont les études qui n’ont pas montré de supériorité de la « stratégie FeNO » par rapport à la « stratégie classique » quant au contrôle de l’asthme(24). Malgré la prise en compte d’études dont les résultats sont assez hétérogènes, deux méta-analyses —dont une très récente — suggèrent que le fait de prendre en compte la FeNO pour ajuster le traitement par corticoïdes inhalés permet de diminuer la probabilité d’exacerbations chez des patients adultes asthmatiques(24,25). Néanmoins, la valeur ajoutée de la FeNO dans la population générale des patients asthmatiques est uniformément considérée comme limitée(24,25), et ce conformément aux recommandations et/ou prises de position des experts et sociétés savantes(26-28). L’utilisation de la FeNO pourrait par contre « être envisagée » chez des patients asthmatiques avec une inflammation T2 présentant des exacerbations fréquentes, sachant que des études dédiées à ce sous-groupe de patients restent nécessaires(25).
Un autre point à souligner est le fait que, quel que soit le résultat en termes de contrôle de l’asthme, la « stratégie FeNO » a, dans de nombreuses études, été associée à l’administration d’une dose plus importante de corticoïdes inhalés que la « stratégie classique » — même si une méta-analyse conclut à l’administration d’une dose similaire de corticoïdes dans ces deux groupes(24).
PEUT-ON UTILISER LA FENO POUR PRÉDIRE LES EXACERBATIONS D’ASTHME ?
Les résultats des études portant sur la relation entre la FeNO et le risque d’exacerbations d’asthme restent controversés. Sur un assez faible effectif de patients atteints d’asthme sévère, ceux qui avaient à la fois un taux élevé d’éosinophiles sanguins et de FeNO (≥ 25 ppb) avaient un taux d’exacerbations sévères environ deux fois supérieur à celui observé chez les patients dont ces deux biomarqueurs étaient soit faibles soit discordants(29). Une autre analyse post-hoc portant sur 620 patients porteurs d’un asthme modéré à sévère non contrôlé a montré que des niveaux de FeNO plus élevés étaient associés à un plus grand risque d’exacerbations sévères de l’asthme, en particulier lorsque la FeNO était associée à une éosinophilie sanguine élevée et à des antécédents d’exacerbations(30). Néanmoins, une autre analyse post-hoc portant sur des patients avec un asthme léger a montré que les bénéfices d’une corticothérapie inhalée étaient associés à une éosinophilie sanguine élevée, mais étaient indépendants de la FeNO(31). Très récemment, une autre étude a confirmé le fait que contrairement à l’éosinophilie sanguine, la FeNO n’était associée au risque d’exacerbation que chez les patients asthmatiques les plus sévères(32).
PEUT-ON UTILISER LA FENO POUR SUIVRE L’OBSERVANCE THÉRAPEUTIQUE DANS L’ASTHME ?
Le suivi de l’observance des corticoïdes inhalés est probablement une place que pourrait prendre la FeNO dans la prise en charge de l’asthme.
Le défaut d’observance thérapeutique est fréquent dans l’asthme difficile et/ou sévère, et faire la différence entre des patients atteints d’asthme difficile à contrôler qui répondent aux corticoïdes inhalés (mais ne les prennent pas) et des patients atteints d’asthme réfractaire à la corticothérapie inhalée est une question clinique importante(33,34). Une approche qui permet de faire la différence entre ces deux conditions consiste à utiliser un « test de suppression de FeNO » consistant à étudier l’effet d’un traitement par corticoïdes inhalés monitoré pendant 5 à 7 jours(35). Ce test n’a été validé que chez des patients asthmatiques dont la FeNO prétest est ≥ 45 ppb. Il est considéré comme positif lorsque la FeNO baisse d’au moins 42 % après 5-7 jours de corticoïdes inhalés(35). Une étude datant de 2019 a montré non seulement que ce test était un moyen efficace d’identifier la non-observance des corticoïdes inhalés chez les patients souffrant d’asthme difficile/sévère, mais également que le fait d’avoir un test de suppression de FeNO positif était associé au fait d’avoir une amélioration de la spirométrie sous corticoïdes inhalés(36).
Plus récemment, la faisabilité du test de suppression de la FeNO en vie réelle a été démontrée en combinant le suivi à distance de l’inhalateur utilisé pour l’administration du traitement à une mesure du FeNO(37). Sur un faible effectif de patients porteurs d’un asthme difficile, le fait d’identifier un test de suppression positif favorisait l’amélioration du contrôle de l’asthme, le sevrage des stéroïdes oraux et évitait de passer inutilement à une biothérapie.
Malgré ces résultats prometteurs, le plus récent des articles de revue consacrés à ce sujet conclut que (i) bien que la FeNO diminue généralement avec l’observance des corticoïdes inhalés et que la FeNO soit généralement plus faible chez les patients « observants » que chez ceux qui ne le sont pas, il ne semble pas y avoir de seuil fiable qui puisse être utilisé pour classer l’observance, et (ii) bien qu’une diminution de la FeNO après une utilisation contrôlée des corticoïdes inhalés (test de suppression positif) permette d’identifier une non-observance antérieure, l’utilité de ce test de suppression nécessite d’autres études prospectives(38).
PEUT-ON UTILISER LA FENO POUR PRÉDIRE LA RÉPONSE AUX BIOTHÉRAPIES ?
Même si toutes les biothérapies utilisées dans l’asthme ciblent des processus inflammatoires de type 2, leurs effets sur les niveaux de FeNO ainsi que la capacité des niveaux de FeNO à prédire les réponses au traitement varient considérablement.
Pour ce qui concerne l’omalizumab, une étude déjà ancienne a rapporté que seul un groupe de patients avec un FeNO ≥ 19,5 ppb avait une réduction significative du risque d’exacerbation(39). Ceci dit, des données prospectives non contrôlées issues de l’étude PROSPERO n’ont montré aucune différence significative après 12 mois de traitement par omalizumab entre les patients ayant une FeNO supérieure ou pas à 25 ppb(40).
Pour ce qui concerne les biothérapies ciblant l’interleukine 5 (IL-5), une étude monocentrique a montré que les niveaux initiaux de FeNO n’étaient pas prédictifs de la réponse au traitement par le mépolizumab ou le benralizumab, avec des réductions similaires du taux d’exacerbation et de la dose de corticoïdes oraux, quels que soient les quartiles de FeNO(41). Une autre approche a consisté à étudier le rôle potentiel de la FeNO dans la caractérisation et la personnalisation de la prise en charge des exacerbations survenant chez les patients traités par mépolizumab(42). Chez 145 patients, l’étude suggère qu’environ la moitié des exacerbations sont associées à l’éosinophilie (éosinophiles dans l’expectoration ≥ 2 %), tandis que l’autre moitié n’est pas associée à l’éosinophilie ou est due à une infection. Une FeNO ≤ 20 ppb a montré une valeur prédictive négative de 100 % pour prédire une exacerbation sans éosinophiles, alors qu’une FeNO ≥ 50 ppb a montré une valeur prédictive positive de 77 % pour prédire une exacerbation avec un taux élevé d’éosinophiles dans l’expectoration. Les auteurs concluent que leurs résultats remettent en cause l’utilisation systématique de corticoïdes oraux pour le traitement de toutes les exacerbations survenant sous mépolizumab, ainsi que le changement de biothérapie en cas d’échec du traitement, et suggèrent une utilisation systématique de la FeNO en cas de survenue d’exacerbations sous mépolizumab(42).
Le dupilumab bloque l’IL-4 et de l’IL-13 en se liant à la sous-unité < du récepteur de l’IL-4. Le traitement par dupilumab diminue les niveaux de FeNO. Dans l’étude LIBERTY ASTHMA QUEST, seuls les patients ayant une FeNO ≥ 25 ppb avant traitement avaient une réduction significative du risque d’exacerbations sévères sous l’effet du dupilumab(43). Une analyse post-hoc récente de cette étude montre que cela restait vrai après ajustement sur les éosinophiles sanguins et les caractéristiques cliniques(44).
*1 Service hospitalier universitaire pneumologie-physiologie, Pôle thorax et vaisseaux, CHU Grenoble-Alpes ; Laboratoire HP2, INSERMU1300, Université Grenoble-Alpes, Grenoble
2 Service de pneumologie et soins intensifs respiratoires, Hôpital européen Georges-Pompidou, APHP, Paris
Références sur demande à la redaction : biblio@len-medical.fr
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