Publié le 27 fév 2024Lecture 8 min
Prise en charge de l’asthme sévère : les avancées d’aujourd’hui et de demain
Denise CARO, d’après l’émission « Asthme sévère : quel avenir », 4e épisode de la série « Asthme sévère : comprendre et traiter »
Depuis une vingtaine d’années, des améliorations substantielles sont intervenues dans la prise en charge et le traitement des patients asthmatiques, en particulier ceux atteints d’une forme sévère ; la mise à disposition de biothérapies participe grandement à ces progrès. Le Dr Amel Boudjemaa (Créteil) et le Pr Gilles Garcia (Antony) font le point sur ces évolutions récentes et tentent de définir l’avenir de l’asthme sévère.
L'asthme est une des maladies chroniques les plus fréquentes en France ; elle touche 8 % de la population, soit plus de 4 millions de personnes. « Pour autant, ce n’est pas une maladie simple à diagnostiquer et à prendre en charge », a dit d’emblée le Pr Gilles Garcia (Antony). « L’étape diagnostique est essentielle », a ajouté le Dr Amel Boudjemaa (Créteil). En l’absence de chiffres (comme pour l’HTA ou le diabète), on se réfère aux symptômes et aux tests fonctionnels respiratoires.
Pour cela on peut s’appuyer sur les recommandations de la SPLF de 2021 qui redéfinissent la valeur du trouble ventilatoire obstructif (TVO) réversible dans l’asthme, avec un algorithme sur la marche à suivre en fonction des résultats de la spirométrie. La réversibilité d’un TVO correspond à une variation d’au moins 10 % du VEMS par rapport à la valeur de base. Plus la variation est importante, plus le diagnostic d’asthme est certain. Un TVO non réversible à la spirométrie ne permet pas d’exclure un diagnostic d’asthme. On fait alors un traitement d’épreuve par les corticostéroïdes inhalés (CSI). En l’absence d’amélioration, il faut chercher un diagnostic différentiel. Si le traitement d’épreuve est positif, le diagnostic d’asthme est confirmé. De même, face à une spirométrie normale, il convient de réaliser un test à la métacholine. Si celui-ci est positif (preuve d’une hyper-réactivité bronchique), l’asthme est confirmé ; s’il est négatif, cela ne signe pas l’absence d’asthme (il y a 25 % de tests négatifs chez l’asthmatique). Il est alors recommandé de faire comme précédemment un traitement d’épreuve par CSI aboutissant aux mêmes conclusions.
D’autres paramètres sont utiles à prendre en compte. Tel est le cas des courbes volumes et débit-volume mesurées à la pléthysmographie en pré- et post-bronchodilatation. Un volume résiduel qui baisse de plus de 10 % sous bronchodilatateur témoigne d’une moindre distension thoracique et d’un meilleur souffle ; c’est un critère de réversibilité du TVO. « La pratique de ces différents tests n’exclut pas qu’on prenne en compte la clinique. Les symptômes font partie du diagnostic », a rappelé le Pr Garcia.
Asthme difficile ou asthme sévère ?
Une fois le diagnostic d’asthme fait, il faut savoir distinguer un asthme difficile d’un asthme sévère.
Un asthme est dit difficile quand il est mal contrôlé (avec la poursuite des symptômes et de la survenue d’exacerbations ou d’hospitalisations en dépit du traitement) alors qu’on n’a pas encore vérifier toutes les étapes d’une prise en charge correcte : diagnostic différentiel, comorbidités, adhésion au traitement et technique d’inhalation, prise en compte des facteurs environnementaux, etc.
Un asthme est dit sévère (selon le GINA), lorsque ces étapes ont été respectées et que persistent un mauvais contrôle des symptômes (symptômes fréquents ou utilisation de médicaments de soulagement, activité limitée et réveils nocturnes dus à l’asthme) et/ou exacerbations fréquentes (≥ 2/an, nécessitant des corticostéroïdes oraux) et/ou exacerbations sévères (≥ 1/an, nécessitant une hospitalisation)(1).
La définition de l’asthme sévère selon l’ERS et l’ATS repose sur un mauvais contrôle des symptômes (ACQ ≥ 1,5 ou ACT < 20) et/ou des exacerbations fréquentes sévères (≥ 2 cures de corticostéroïdes systémiques (≥ 3 jours chacune) au cours de l’année précédente) et/ou des exacerbations graves (≥ 1 hospitalisation, séjour en soins intensifs, ventilation mécanique au cours de l’année précédente) et/ou une obstruction bronchique (VEMS pré-bronchodilatateur < 80 % de la valeur théorique)(2).
Après avoir confirmé le diagnostic d’asthme et celui d’asthme sévère (ou difficile), il est utile d’en déterminer le phénotype (inflammation T2 ou non T2). Une inflammation T2 est associée à une éosinophilie sanguine ≥ 150 cellules/µl et/ou une fraction de NO expirée (FeNO) ≥ 20 ppb et/ou une éosinophilie bronchique > 2 % et/ou asthme lié à l’allergie. Il faut répéter ces tests qui varient d’une mesure à l’autre.
Reste ensuite à déterminer la démarche thérapeutique pour laquelle le GINA fait des propositions(3). Encore une fois, il faut s’assurer que le traitement est correctement pris, vérifier l’éviction du tabac, des irritants, des allergènes, discuter de l’augmentation de la CSI et de l’ajout d’une biothérapie en fonction du phénotype. Le choix de la biothérapie repose sur plusieurs paramètres : la clinique, l’âge de début de l’asthme, l’existence d’une atopie ou la présence d’allergies alimentaires, la présence de la triade polypose asthme sévère intolérance à l’aspirine. « Le plus souvent, il n’y a pas une mais plusieurs biothérapies possibles, a dit le Pr Gilles Garcia. On fait une checklist, on prend une décision et on réévalue à 3 mois, 6 mois et 9 mois au regard de la checklist. Il faut discuter de ces cas difficiles en réunion de concertation asthme (RCA). »
En cas d’inflammation non-T2, on peut ajouter un LAMA, de faibles doses d’azithromycine, un anti-IL4R ou un anti-TSLP, et en dernier recours des corticostéroïdes systémiques (en gérant les effets indésirables) ou une thermoplastie bronchique. « Il faut aussi savoir arrêter les traitements inefficaces, a dit le Pr Gilles Garcia. Les cas difficiles sont discutés en RCA. »
Une prise en charge multidisciplinaire
« Ce bilan chez l’asthmatique sévère, qui va du diagnostic à la prise en charge thérapeutique en passant par l’aspect psycho-social, n’est pas simple à réaliser. Il exige du temps et de la multidisciplinarité », a renchéri le Dr Amel Boudjemaa qui a cité les conclusions d’une étude britannique. Selon ce travail, il s’écoule en moyenne 63 semaines entre le moment où on repère que le patient a un asthme difficile à contrôler et la prescription d’une biothérapie. Plus de 80 % des malades mettent au moins un an avant d’être orientés et, dans 15 % des cas, il y a 5 ans d’errance diagnostique avant d’être orienté dans un centre capable de réaliser le bilan approprié et de faire le diagnostic d’asthme sévère relevant d’une biothérapie(4).
La question de la coordination et de la communication entre les différents spécialistes et professionnels de santé est centrale. « La situation entre l’accès à une structure hospitalo-universitaire regroupant les spécialistes et la prise en charge en médecine libérale (en particulier dans les zones où les délais de consultations spécialisées sont très longs) est bien différente », a déploré le Pr Gilles Garcia.
Si le pneumologue est central dans la prise en charge, il doit travailler avec l’ORL (rhino-sinusite chronique, polypose naso-sinusienne), le dermatologue (dermatite atopique) et bien d’autres spécialistes. En effet, associé à l’asthme, il faut prendre en compte — selon les patients — : une allergie, une obésité, un RGO, la pollution domestique, l’environnement au travail et d’autres maladies comme l’hyperventilation ou la dysfonction des cordes vocales. Cela implique une prise en charge personnalisée, parfois complexe à mettre en œuvre dans la réalité du terrain. On peut être amené à demander l’intervention d’une conseillère médicale en environnement intérieur et/ou une infirmière formée à l’éducation thérapeutique.
« Les réunions de concertation pluridisciplinaire asthme jouent un rôle majeur dans la prise en charge des formes difficiles de la maladie, a insisté le Dr Amel Boudjemaa. Elles ont une valeur pédagogique extraordinaire. On y réexamine toutes les étapes du diagnostic au traitement. Elles apportent une réponse aux différentes questions qui se posent. On y passe en revue ce qu’il reste à faire et comment améliorer la prise en charge, jusqu’à la prescription d’un traitement (ou pas). »
L’avenir de l’asthme sévère
En dépit des remarquables avancées thérapeutiques, les réponses à un certain nombre de questions restent définir.
Parmi elles, la place résiduelle de la corticothérapie orale (CSO). « La CSO rend service lorsque l’état du patient exige une réponse rapide, notamment aux urgences quand le pronostic vital est engagé. Mais ce ne peut être un traitement au long cours. Il faut envisager une autre thérapeutique pour préserver l’avenir du patient, a estimé le Pr Gilles Garcia. Des CSI à très fortes doses ne sont pas non plus une solution. »
Par ailleurs, on a encore beaucoup à apprendre dans le domaine des biothérapies, les premières étant apparues dans l’asthme il y a à peine une vingtaine d’années. Au bout de combien de temps évaluer leur efficacité (6 mois, 9 mois, 12 mois) et sur quels critères ? Que recouvre une réponse non satisfaisante ? « On doit établir un contrat d’objectifs au moment de la prescription et voir si celui-ci est rempli à chaque consultation de suivi », a précisé le Dr Amel Boudjemaa. On peut s’appuyer sur le score ACT ou le SNOT-22 (pour la polypose nasale), l’absence d’exacerbation, tout en tenant compte également des souhaits des patients (désir de grossesse, contrôle du poids, reprise d’une activité sportive, odorat, etc.).
La question de l’espacement des doses ou des administrations séquentielles doit être discutée dans le cadre de la recherche clinique, tout comme la durée idéale de traitement. Les experts estiment qu’il faudrait traiter à peu près 3 à 5 ans, mais ceci n’est pas définitivement confirmé. Par ailleurs, les recherches se poursuivent pour développer de nouvelles biothérapies. « Actuellement on dispose de cinq molécules qui ont changé la vie des patients comme eux-mêmes ne l’auraient jamais imaginé, a dit le Pr Gilles Garcia. Mais il y a encore des besoins non couverts en termes de médicaments. Un anti-IL33 est en phase 2 de développement et bientôt en phase 3 ; les anti-JAK, déjà utilisés dans la dermatite atopique, sont évalués dans l’asthme. Dans un avenir plus lointain, la vaccination pourrait marquer un tournant décisif passant d’une rémission (sous biothérapie) à une guérison. »
D’ores et déjà, les patients sont transformés par les biothérapies, avec des scores de contrôle des symptômes parfaits, la possibilité d’une vie normale sans limitation des activités physiques, l’absence d’exacerbation et de recours à la CSO et une fonction pulmonaire optimisée.
« En définitive, l’objectif de la prise en charge (thérapeutique) est de permettre à un patient atteint d’asthme sévère d’avoir une vie la plus proche possible de la normale », se sont accordés à dire les deux experts.
D’après l’émission « Asthme sévère : quel avenir », 4e épisode de la série « Asthme sévère : comprendre et traiter », organisée par OPA Pratique, avec la participation du Dr Amel Boudjemaa (Créteil) et Pr Gilles Garcia (Antony) et animée par le Dr Olivier Chabot
Avec le soutien institutionnel du laboratoire
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