Publié le 15 jan 2019Lecture 11 min
Obstruction des petites voies aériennes - Évaluation en spirométrie chez l’adulte
Robert BARBIER, Jacques LÉON, Centre de pneumologie, Clinique Rhône Durance, Avignon
L’atteinte des petites voies aériennes (PVA) dans de nombreuses affections respiratoires chroniques chez l’adulte joue un rôle important : elle est prédominante dans la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et explique à elle seule (ou presque) le trouble ventilatoire obstructif (TVO). Elle caractérise un phénotype particulier dans l’asthme et elle est observée dans certaines pneumopathies interstitielles diffuses comme les pneumopathies d’hypersensibilité (PHS), la sarcoïdose, etc.
Les progrès de la tomodensitométrie thoracique ont permis de mieux visualiser cette atteinte (arbre en bourgeon, mosaïque, nodules centrolobulaires, etc.). Pour ce qui est de la spirométrie, il y a longtemps que de nombreux pneumologues gardent une foi inébranlable dans l’analyse de certains paramètres pour attester de cette atteinte…
Le débit expiratoire maximal médian (DEMM) ou DEM 25-75
Il s’agit de la moyenne des débits instantanés mesurés pendant la manœuvre d’expiration forcée (après inspiration complète), entre 25 et 75 % de la capacité vitale forcée (CVF). Ceci peut être visualisé sur la courbe débit-volume ou la courbe d’expiration volume-temps (figure 1).
Figure 1. Courbe débit-volume ou courbe d’expiration volume-temps.
L’idée que le DEMM reflète les résistances de l’arbre respiratoire distal est apparue dans les années 1960 de façon cohérente avec la théorie du « point d’égale pression » ou PEP développée par Mead et ses collaborateurs. En effet, lors d’une expiration forcée, la contraction musculaire exerce une pression sur la cage thoracique transmise au parenchyme par la pression pleurale. Cette pression crée un gradient entre l’alvéole et la bouche, gradient responsable du flux expiratoire. En réalité, la pression s’exerce non seulement sur le parenchyme mais aussi sur les voies aériennes intrathoraciques (compression dynamique des bronches) et elle constitue un des éléments de la pression transmurale bronchique. Quand cette pression transmurale est négative, il existe une compression de la bronche et quand cette pression est positive, il existe une distension de la bronche.
La dynamique de l’expiration forcée (avec la déperdition de pression de l’alvéole à la bouche lors de l’expiration) fait que le segment des voies respiratoires qui subit la compression se situe en aval et le segment qui est l’objet de la distension se situe en amont. Dans la zone de jonction de ces deux segments, la pression intrabronchique est égale à la pression extrabronchique : la zone du PEP. Le PEP, pendant l’expiration forcée, circule probablement de la carène au début de l’expiration jusqu’aux bronchioles les plus périphériques en fin d’expiration. La compression du segment d’aval explique la forme de la courbe débit-volume de l’expiration forcée avec une portion initiale jusqu’au DEP, très dépendante de l’effort musculaire expiratoire (la compression a moins d’effet sur les bronches avec armature cartilagineuse) et une deuxième portion contrainte par la compression dynamique des bronches. Dans cette deuxième portion, l’augmentation de l’effort musculaire expiratoire augmente la compression des bronches et ne peut permettre un gain de débit. On parle de limitation du débit expiratoire. Le débit maximal dépend alors surtout de la PEL (pression de rétraction élastique du parenchyme) et des résistances du segment d’amont (figure 2).
Figure 2. La limitation du débit expiratoire : le débit maximal dépend surtout de la PEL (pression de rétraction élastique du parenchyme) et des résistances du segment d’amont.
En effet, il est admis que ce sont les résistances du segment d’amont et la PEL qui déterminent le débit expiratoire maximal dans la deuxième partie de la courbe débit-volume et non la pression musculaire dont l’action est contrariée par la compression dynamique des bronches (débit max = PEL/Résistances d’amont). Il était donc logique de penser que les débits maximaux de la première partie de la courbe d’expiration forcée traduisent la perméabilité des gros troncs et que les débits de la deuxième partie de l’expiration forcée (comme le DEMM) traduisent la perméabilité des voies aériennes de plus en plus périphériques avec la poursuite de l’expiration.
Le DEM 25-75 : beaucoup de défauts !
Après avoir compris la physiologie de l’expiration forcée, on peut croire que le DEM 25-75 reflète bien l’obstruction des PVA… Néanmoins, cela n’est pas si simple :
• Le DEM 25-75 est très dépendant de la qualité d’exécution de la CVF. Par exemple, si le patient écourte un peu l’expiration forcée, le DEM 25-75 est obligatoirement surestimé de façon artificielle. À l’inverse, plus le patient force sur la fin de l’expiration en obtenant une meilleure CVF, plus le DEM 25-75 diminue. Et comment interpréter une baisse du DEM 25-75 quand la CVF est juste au-dessus de la limite inférieure normale (LIN) (et donc encore normale !)? Avec un paramètre dont la LIN est aussi basse, il est impossible dans de nombreuses situations de dire si le DEM 25-75 signifie quelque chose. Ce paramètre apparaît donc bien moins reproductible que le VEMS par exemple.
• Si les valeurs théoriques ont bien été définies (équations basées sur la taille, l’âge et le genre), les pneumologues ont appliqué au début « la règle des 80 % de la valeur théorique » pour définir le seuil pathologique des paramètres de spirométrie. D’autres pourcentages ont été proposés ici et là ultérieurement sans consensus. Cette règle doit être abandonnée au profit des valeurs dites « de limite inférieure normale (LIN) » basée sur la dispersion des valeurs dans une population normale. Le seuil de la LIN est défini par la valeur moyenne -1,64 ET (écart-type) (figure 3).
La fourchette de valeurs normales pour le DEM 25-75 est large et s’accroît avec l’âge. Ci-dessous, l’exemple des valeurs attendues en l/s pour un homme de 175 cm en fonction de l’âge (d’après les équations utilisées par Quanjer dans la mise au point de l’ERS de 1993) avec les LIN et son expression en % de la valeur théorique (tableau). Dans la population masculine : DEMM en l/s = 1,94 (x taille en m) – 0,043 (x âge en années) + 2,70 ± 1,71) où 1,71 correspond à 1,64 x ET.
La lecture du tableau est édifiante. La LIN est toujours < 70 % de la valeur théorique et ≤ 61 % dès l’âge de 49 ans… Certains auteurs (J.E. Hansen et al. Chest 2006) ont comparé, au sein d’une population de tout âge, taille et sexe, extraite de la cohorte NANHES III, les LIN de plusieurs paramètres de la spirométrie en fonction de l’âge (figure 4). Il est clair que le DEM 25-75 est celui pour lequel la LIN est la plus basse en % et chute de façon nette avec l’âge. On note la bonne stabilité du VEMS/CVF et du VEM3/CVF avec l’âge et le déclin lent de VEMS et CVF avec l’âge. Ceci confère particulièrement au rapport VEMS/CVF une certaine robustesse et encore plus au VEM3/CVF (figure 5)...
Enfin, il n’y a aucune étude de corrélation entre ce paramètre et l’atteinte anatomopathologique des PVA en par ticulier dans l’asthme et la BPCO qui permette de plaider pour l’utilisation du DEM 25-75.
Figure 3. La valeur définissant la LIN correspond à la valeur moyenne -1,64 ET (écart-type) que l’on exprime parfois sous la forme d’un Z score = -1.
Figure 4. Évolution de la LIN de plusieurs paramètres de spirométrie avec l’âge (d’après Hansen).
Figure 5. La fraction non expirée de la CVF après 3 secondes : 1-VEM3/CVF.
Pour (en) finir avec le DEM 25-75 !
Le DEM 25-75 doit donc être utilisé avec sobriété. Il faut se garder de conclusions hâtives et sans fondement :
• La lecture du DEM 25-75 n’a pas beaucoup d’intérêt quand le VEMS et le rapport VEMS/CV sont pathologiques. Dans ce cas, l’obstruction des voies aériennes est démontrée. L’analyse du DEM 25-75 n’apporte rien de plus… La comparaison des % d’amputation du VEMS et du DEM 25-75 ne permet surtout pas de définir où siège l’obstruction principalement. La conclusion péremptoire « obstruction prédominant sur les PVA » devrait disparaître des comptes rendus de spirométrie, d’une part, parce que le VEMS même à 50 % de la CVF empiète sur le % DEM 25-75 et reflète, lui aussi probablement, l’atteinte des voies aériennes périphériques et, d’autre part, parce que personne ne peut corréler une amputation de VEMS ou de DEM 25-75 à une mesure anatomique d’obstruction.
• Quand la CVF est amputée de façon significative, on ne peut rien tirer de la lecture du DEM 25-75. En effet, tout amputation des volumes pulmonaires réduit tous les débits. Par ailleurs, le DEM 25-75 est tributaire de la qualité d’exécution de la CVF comme décrit ci-dessus. Il faut donc rester très prudent à la lecture des chiffres de DEM 25-75.
• La seule situation au cours de laquelle le DEM 25-75 semble être un paramètre judicieux se limite à celle ou VEMS et CVF sont strictement normaux. Dans cette situation et uniquement dans celle-ci, le DEM 25-75 peut être analysé. Un chiffre inférieur à la LIN pour l’âge signifie a priori une atteinte isolée des PVA. Il s’agit le plus souvent de situation de dépistage comme dans la population des fumeurs, par exemple, pour détecter les sujets à risque de BPCO. Il peut s’agir aussi d’une obstruction résiduelle intercritique chez certains asthmatiques. La réponse aux bêta 2 ne peut être alors jugée sur la progression éventuelle du DEM 25-75. En effet, il n’existe pas de seuil de réversibilité significatif pour ce paramètre et il faudrait alors utiliser une « correction isovolume » non disponible sur la majorité des spiromètres.
• Certains auteurs vont jusqu’à contester le caractère spécifique aux PVA du paramètre DEM 25-75 (publication ERS/ATS portant sur la standardisation des EFR de 2005 ; J.E. Hansen et al. Chest 2006).
Les alternatives du DEM 25-75 !
D’autres paramètres spirométriques ont été mis en avant pour juger de l’obstruction des PVA :
• La différence entre la capacité vitale lente (CVL) et la capacité vitale forcée (CVF) serait la traduction d’un piégeage aérique lié à une fermeture prématurée des PVA lors de la manœuvre forcée en rapport avec une atteinte des PVA. Un rapport CVL/CVF < 0,9 semble pouvoir définir le seuil pathologique. Ceci a été suggéré dans la BPCO mais également dans les bronchiolites oblitérantes. Néanmoins, bien que simple et facilement compréhensible, cet index n’a pas fait l’objet d’études confirmant son intérêt dans l’évaluation de l’obstruction des PVA…
• La fraction non expirée de la CVF après les 3 premières secondes de l’expiration forcée constitue un autre moyen d’appréhender l’obstruction des petites voies aériennes. Les valeurs théoriques pour VEM3 et VEM3/CVF dans la population blanche adulte ont été définies au début des années 1980. On utilise en règle le paramètre (CVF-VEM3)/CVF ou 1-VEM3/CVF, qui correspond à la fraction non expirée de la CVF après 3 secondes. Ce paramètre reflète bien le débit dans les territoires qui se vidangent lentement et donc dans les PVA.
On peut parler de « Tiffeneau distal » puisqu’il s’agit du rapport volume expiré après les 3 premières secondes sur la CVF. Comme montré ci-dessus, le rapport VEM3/CVF est un paramètre extrêmement stable avec l’âge et possède une LIN proche de la valeur théorique. Le paramètre 1-VEM3/CVF possède donc les mêmes qualités de stabilité et de faible dispersion autour de la valeur théorique avec l’âge. Sa valeur normale est proche de 0,10. Une valeur supérieure signifie une fraction non expirée de la CVF anormale et une vidange ralentie des unités qui se vidangent tardivement.
Certains auteurs pensent que ce paramètre est bien plus pertinent que le DEM 25-75 pour l’évaluation de l’obstruction des petites voies aériennes. Malheureusement, il n’est pas accessible sur nombre de spiromètres et son utilisation reste donc très confidentielle. En outre, il n’y a pas d’études à grande échelle ni de corrélation anatomopathologique. Néanmoins, Hansen montre que ce paramètre est rapidement altéré avec l’âge dans la population de fumeurs par rapport aux non-fumeurs. Pour cet auteur, il est bien plus pertinent que le DEM 25-75 pour la détection de l’obstruction des petites voies aériennes chez le fumeur.
Comment conclure !
Il est difficile de dire aux pneumologues qu’ils n’ont pas d’outils bien fiables pour identifier l’atteinte des petites voies aériennes avec leur spiromètre alors que c’est un élément fondamental de la pathologie obstructive…
Cependant, le VEMS/CV reste un témoin indéfectible de l’atteinte étendue des PVA dans la BPCO. Le DEM 25-75 n’a pas les vertus qu’on lui prêtait il y a quelques années et est très décrié aujourd’hui. La fraction non expirée de la CVF après 3 secondes semble beaucoup plus fidèle de l’atteinte des PVA mais peu ont pu l’expérimenter : les fabricants de spiromètres doivent s’y attacher et les sociétés savantes donner des consignes dans ce sens.
Il faut probablement aussi se tourner vers d’autres moyens d’exploration. La démonstration d’une distension en pléthysmographie en est un : en effet, dans la populat ion de fumeurs qui développeront une BPCO, la distension du VR avant même les variations du VEMS et de la CVF est considérée comme le reflet d’une atteinte des PVA. Ceci a été confirmé également mais de façon moins formelle dans l’asthme. Par ailleurs, la mesure des résistances par oscillation forcée à basses fréquences reflète bien l’atteinte des petites voies aériennes. Bien que basée initialement sur une théorie physique complexe (analyse de Fourier), cette mesure a été simplifiée (mesure des résistances par oscillométrie d’impulsion) et semble accessible aux médecins avec des outils simples. Elle est réalisée lors d’une respiration tiédale et ne nécessite aucune coopération du patient après une séance d’encadrement.
Enfin, il est clair que dans les pathologies interstitielles, la lecture attentive des images de TDM thoracique est très instructive en présence d’une atteinte des PVA.
Au final, est-il bien utile de détecter l’atteinte des PVA aux cours d’explorations fonctionnelles respiratoires ? Dans la BPCO et dans l’asthme, elle ne change rien au traitement pour l’instant. Elle reste utile néanmoins dans le dépistage chez les fumeurs et en situation intercritique chez l’asthmatique. Dans la pathologie interstitielle, l’imagerie prévaut semble-t-il. Dans la bronchiolite postallogreffe, le diagnostic spirométrique repose encore sur l’évolution du VEMS.
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