Pneumologie
Publié le 03 jan 2024Lecture 8 min
Fibrose pulmonaire progressive : une mise au point
Mélanie DAVID, service de pneumologie, hôpital Bichat, Paris
Ces dernières années, il est devenu évident qu’en plus de la fibrose pulmonaire idiopathique (FPI), l’archétype de la fibrose pulmonaire progressive, il existe d’autres pneumopathies interstitielles diffuses (PID) pouvant développer un phénotype de fibrose progressive. La définition de ce phénotype clinique n’a été que récemment établie et des discordances persistent dans les différentes définitions utilisées, même dans les études les plus récentes. Le terme aujourd’hui utilisé est celui de fibrose pulmonaire progressive (Progressive Pulmonary Fibrosis, PPF en anglais) et correspond à un déclin progressif de la fonction pulmonaire, une augmentation de l’étendue de la fibrose à la tomographie de haute résolution (HRCT) thoracique et une aggravation des symptômes responsables d’une mortalité précoce. Ce phénotype clinique, qui n’est pas un diagnostic, suscite un intérêt grandissant puisqu’il s’avère être un trait traitable, accessible à un traitement par antifibrosant et notamment par nintédanib.
HISTORIQUE
La FPI est une maladie respiratoire progressive et irréversible, appartenant au groupe hétérogène des PID. Elle est responsable d’une altération de la fonction pulmonaire et de la qualité de vie, de complications et notamment d’exacerbations aiguës et se caractérise par une progression vers l’insuffisance respiratoire chez pratiquement tous les patients dont le diagnostic est établi, responsable d’une mortalité précoce(1) (figure 1). Par ailleurs, une proportion significative de patients souffrant de PID non FPI développe également un phénotype dit progressif comparable à celui d’une FPI non traitée, indépendamment de la classification de la PID(2).
Figure 1. Histoire naturelle de la FPI, adaptée de Raghu, 2011(3). La majorité des patients connaissent une aggravation lente, mais constante de leur maladie. Certains patients restent stables, tandis que d’autres connaissent un déclin accéléré. Une minorité de patients peut connaître une aggravation aiguë imprévisible de leur maladie (schéma éclair). Cet événement peut être fatal ou laisser les patients avec une maladie considérablement aggravée. La fréquence relative de chacune de ces histoires naturelles est inconnue.
C’est sur la base de certaines similitudes cliniques et fonctionnelles, et indépendamment du diagnostic sous-jacent, qu’il a été postulé que ces PID non FPI avec un phénotype dit progressif pourraient présenter un mécanisme biologique commun et donc correspondre à un éventuel trait traitable dans les PID(4,5). Il a ainsi été proposé de les « regrouper » afin d’étudier certaines thérapies potentielles(6,7). Le terme utilisé initialement pour décrire ce phénotype clinique était PID fibrosante progressive (Progressive Fibrosing Interstitial Lung Disease, PF-ILD en anglais)(7), remplacé par fibrose pulmonaire progressive (Progressive Pulmonary Fibrosis, PPF en anglais) par consensus en 2022(1).
Rappel N° 1 – Trait traitable(8)
Cible thérapeutique identifiée par le phénotype (ensemble des caractéristiques apparentes d’un individu) ou l’endotype (sous-type de maladies pouvant partager des mécanismes physiopathologiques) au moyen de biomarqueurs validés. Doit avoir 3 caractéristiques : 1) cliniquement pertinent, c’est-à-dire associé à l’évolution, le pronostic ou le risque d’événements futurs (ex. exacerbations, cancer…) ; 2) identifiable et mesurable ; et 3) traitable.
ÉPIDÉMIOLOGIE
La prévalence exacte des PPF n’est actuellement pas connue. Parmi les patients atteints d’une PID fibrosante autre que la FPI, 13 à 40 % présenteraient un phénotype fibrosant progressif. Ce qui représente une prévalence globale estimée jusqu’à 20 patients pour 100 000 personnes en Europe et 28 patients pour 100 000 aux États-Unis(9,10). Le délai entre l’apparition des symptômes et le décès serait estimé à 61-80 mois(10). Dans l’étude de Hambly et coll.(11) rapportant la prévalence et les caractéristiques d’une large cohorte prospective canadienne de patients atteints de fibrose progressive (incluant la FPI), sur les 2 746 patients atteints de PID fibrosante, 50 % présentaient les critères de fibrose progressive tels que définis dans l’étude.
Ces différences de prévalence s’expliquent entre autres par des définitions très hétérogènes, que ce soit sur la durée d’évaluation, les critères fonctionnels reposant sur des variations de CVF en valeur absolue ou relative ainsi que sur les types de PID incluses.
DÉFINITION
La définition de PPF répond à certains postulats. En effet, la PPF :
– est définie séparément des FPI ;
– n’est pas un diagnostic ;
– est une définition indépendante de la cause de la PID sous-jacente ;
– semble plus fréquemment observée dans les pneumopathies d’hypersensibilité (PHS), les PID de connectivites et notamment les PID associées à une polyarthrite rhumatoïde ou une sclérodermie systémique, les pneumopathies interstitielles non spécifiques (PINS) et les inclassables(2) ;
– au contraire, semble être peu courante en cas de pneumopathies interstitielles lymphoïdes ou de pneumonies organisées. Figure 2
Figure 2. Types de PID pouvant s’associer à une fibrose pulmonaire progressive (PPF) (liste non exhaustive), adapté de Cottin, 2019(12).
FPI = fibrose pulmonaire progressive, IIP = idiopathic interstitial pneumonia, PHS = pneumopathie d’hypersensibilité, PID = pneumopathie interstitielle diffuse, PINS = pneumopathie interstitielle non spécifique.
En pratique clinique, le suivi de la progression de la maladie comprend différents éléments(12) :
– les symptômes cliniques et la survenue de certains événements (hospitalisations, exacerbations aiguës) ;
– la fonction respiratoire évaluée par les épreuves fonctionnelles respiratoires ;
– la capacité d’exercice évaluée par le test de marche de 6 minutes ;
– l’extension de la fibrose mesurée par HRCT du thorax ;
– la nécessité de soins de soutien (oxygénothérapie…).
Aucun biomarqueur n’a en revanche été validé pour suivre la progression de la maladie ou évaluer les composantes respectives de l’inflammation et de la fibrose dans la pathogenèse.
Dans les essais cliniques et les études observationnelles menés auprès de patients atteints de PID, la progression de la maladie est généralement définie en termes de déclin de la capacité vitale forcée (CVF), mesurée en tant que changement par rapport à la valeur initiale en mL ou en pourcentage de la valeur prédite, ou en tant que changement catégorique (généralement ≥ 5 à 10 % de la valeur prédite), ou encore en tant que combinaison du changement catégorique et de la mortalité.
Rappel N° 2 – Définition déclin absolu vs relatif
Le déclin absolu = la mesure initiale moins la mesure finale. Le déclin relatif = la différence entre la mesure initiale et la mesure finale divisée par la mesure initiale.
Une première définition de la fibrose progressive, alors nommée PF-ILD, a été proposée en 2018 par Cottin et coll.(13) (tableau 1). Finalement, la définition de PPF n’a été que récemment établie de façon consensuelle. La PPF selon Raghu, 2022(1) est définie chez les patients présentant une PID d’étiologie connue ou inconnue autre que la FPI et présentant des signes radiologiques de fibrose pulmonaire, selon les critères décrits dans le tableau 1.
La plupart des critères proposés ont été sélectionnés sur la base de leur association connue avec l’évolution chez les patients atteints de FPI et sans validation sur la population générale. Pugashetti et coll.(14) se sont donc intéressés de façon pragmatique à l’association de certains critères, cliniquement pertinents, avec la survie à 5 ans dans une étude rétrospective multicentrique chez des patients présentant une PID fibrosante non FPI.
Finalement :
– le déclin relatif de CVF de ≥ 10 % était le facteur prédictif le plus fort d’une réduction de la survie à 5 ans, quels que soient la cohorte, le sous-type de PID et le traitement ;
– un déclin relatif de 5 à 9 % de CVF, un déclin de ≥ 15 % de la DLCO ainsi qu’une progression de la fibrose au scanner thoracique pris isolément étaient également associés à une diminution de la survie à 5 ans, mais plus particulièrement dans le cas d’un diagnostic de PHS fibrosante ou de pneumopathie interstitielle idiopathique (IIP).
Ainsi, encore aujourd’hui, et jusque dans les études les plus récentes, une incertitude persiste quant aux meilleurs critères à utiliser pour dépister précocement et le plus efficacement possible une PPF. Ces résultats suggèrent également que ces critères sont à adapter au type de PID sous-jacent avec une attention particulière au sous-groupe des PID associées aux connectivites(2,14).
Au total, l’évolution des PID fibrosantes est complexe : il existe plus d’une façon d’évaluer la progression de la maladie. Outre les essais cliniques qui, par essence, exigent des critères d’éligibilité objectifs et bien définis, une certaine flexibilité est nécessaire pour évaluer la progression de la maladie afin que les cliniciens puissent intégrer dans le processus décisionnel non seulement des critères de progression consensuels, mais aussi des variables clés telles que les événements cliniques, le sous-type de PID, l’évolution radiologique, le comportement à long terme de la maladie, la gravité de la maladie et les préférences des patients(15).
IMPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES
La prise en charge thérapeutique des PID est aujourd’hui guidée par le diagnostic sous-jacent et par l’évolution de la maladie. Dans la plupart des cas de PID autres que la FPI, l’immunomodulation par l’utilisation de glucocorticoïdes, d’un traitement immunosuppresseur ou des deux, est indiquée et est généralement utilisée comme traitement de première ligne. Pourtant, à l’exception des cas de PID associées aux sclérodermies systémiques et de la sarcoïdose, les preuves à l’appui de cette approche sont très faibles(16). Quant à la FPI, il existe aujourd’hui deux antifibrosants recommandés en première intention, et ce depuis les recommandations de 2015(17) (tableau 2).
On peut dorénavant dire qu’il est plausible que les agents antifibrosants qui ralentissent la progression de la maladie dans la FPI peuvent également ralentir la progression des PPF.
C’est le cas notamment du nintédanib, dont l’utilisation est maintenant suggérée dans le traitement des PPF d’autre cause en cas d’échec des traitements standards(1). Cette recommandation repose principalement sur les résultats de 2 études (tableau 4) :
– l’essai randomisé INBUILD(7), assignant de manière aléatoire 663 patients atteints de PPF au nintédanib ou au placebo pendant 52 semaines ;
– et une analyse post-hoc de cet essai(18), comparant les effets du nintédanib par rapport au placebo dans les différents types de PID présentant des critères de PPF.
Les résultats étaient significatifs sur la progression de la maladie, mais pas sur la mortalité toutes causes. Les résultats concernant la pirfénidone sont aujourd’hui encore discutables et son utilisation dans les PPF n’est pas consensuelle. En effet, les 2 principaux essais comparant la pirfénidone à un placebo dans les PPF n’ont pas permis de mettre en évidence de différence statistiquement significative en termes de survie sans progression ou de mortalité à 24 semaines (the uILD Trial(19)) ou 48 semaines (RELIEF(20)) (tableau 3). Seul l’essai RELIEF a fait état de modifications du VEMS et de la DLCO, dont aucune n’était statistiquement significative. Il semble tout de même exister un signal sur la progression de la maladie, en effet lorsque les essais ont été regroupés par méta-analyse, la pirfénidone réduit les pertes de CVF de 100 ml et du pourcentage de CVF prédite de 2,3 % à 24 semaines.
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