Asthme
Publié le 25 juin 2024Lecture 9 min
Au-delà de l'asthme : le souffle en question - Asthme sévère : la fonction respiratoire à travers les âges
Denise CARO, d'après l'émission "Asthme sévère, la fonction respiratoire à travers les âges"
Quand, comment et pourquoi surveiller la fonction respiratoire chez les asthmatiques ? Quel le lien y a-t-il entre altération du VEMS et forme sévère de la maladie ? Cet indicateur a-t-il la même valeur chez l’enfant et chez l’adulte ? Et comment réussir au mieux la transition de l’adolescent asthmatique de la pédiatrie à la pneumologie adulte ? Autant de questions centrales abordées par le Dr Rola Abou Taam (pédiatre à Necker, Paris) et le Dr Amel Boudjemaa (pneumologue au CHIC de Créteil) au cours de la première des émissions interactives « Au-delà de l’asthme : le souffle en question » organisées par OPA Pratique avec le soutien institutionnel du laboratoire Sanofi.
La SP2A (Société pédiatrique de pneumologie et d’allergologie) est en train de finaliser l’actualisation des recommandations de prise en charge de l’asthme chez l’enfant, prochainement publiées. Elle apporte des précisions sur la place des examens complémentaires à réaliser. La prise en charge d’un enfant asthmatique nécessite la réalisation d’au moins une radiographie de thorax de face, en inspiration (+/- expiration) dans sa vie (grade B), d’une exploration allergologique respiratoire (grade A), et d’une épreuve fonctionnelle respiratoire (EFR) au moins annuelle en cas d’asthme persistant (grade B). Il est également précisé qu’une EFR doit être réalisée au moment du diagnostic dès le palier 1. La fréquence des EFR doit ensuite être adaptée à l’évolution des symptômes.
« Un asthme sévère justifie de faire des EFR pluriannuelles, a estimé le Dr Rola Abou Taam. Le VEMS est un facteur prédictif du devenir respiratoire de ces enfants ; il est important à surveiller. »
En effet, une étude, basée sur les données de la cohorte française CobraPed qui suit des enfants asthmatiques de 6 à 12 ans, a montré que ceux atteints d’asthme sévère ont une fonction respiratoire davantage altérée que ceux avec une forme non sévère de la maladie(1). De même, une cohorte néo-natale de près de 600 jeunes Américains dont l’état de santé est suivi sur plusieurs décennies (entre autres par la réalisation d’EFR entre l’âge de 10 ans et 32 ans), a mis en évidence deux types de trajectoires : 90 % de cette population avaient une fonction respiratoire normale et 10 % avaient un VEMS diminué. Les facteurs prédictifs d’une EFR altérée étaient le fait : d’avoir un asthme, d’avoir une mère asthmatique, d’avoir eu une infection VRS dans la petite enfance et d’avoir eu une obstruction bronchique dans la première année de vie(2).
Le poids de la fonction respiratoire sur le devenir de l’enfant
Une autre étude américaine (CAMP) portant sur des enfants avec un asthme intermittent léger à modéré suivis jusqu’à l’âge adulte, a montré que devenue adulte, un quart seulement de la population avait des EFR et une croissance normale, un quart avait une croissance normale et un déclin précoce du VEMS ; un quart avait une croissance réduite et une fonction respiratoire normale et un quart avait une croissance réduite et un déclin précoce. Avoir eu des exacerbations fréquentes et des CO étaient un facteur de croissance réduite, alors qu’être polysensibilisé était prédictif d’un VEMS altéré(3).
« Ce déclin précoce autour de l’âge de 18 ans est un argument fort, si besoin en était, pour une transition réussie à l’adolescence », a souligné le Dr Abou Taam.
Dans cette même étude, à l’âge adulte, 26 % des patients étaient en rémission clinique, 15 % en rémission stricte (absence d’hyperréactivité bronchique). Une fonction respiratoire normale dans l’enfance (à l’âge de 8 ans) est le principal facteur prédictif de rémission à l’âge adulte(4).
Dans l’étude SARP3, l’évolution de la fonction respiratoire était similaire chez les enfants avec un asthme sévère et ceux avec un asthme non sévère. Les auteurs concluent que le traitement par CSI permet le contrôle de l’asthme et prévient les exacerbations mais a peu d’impact sur la dégradation fonctionnelle(5). Cependant, un certain nombre de ces enfants se sont clairement améliorés au cours des 3 ans de suivi. 57 % des enfants avaient un asthme sévère à l’inclusion et ils n’étaient plus que 46 % au bout d’un an et 30 % à 3 ans(6).
Évolution du VEMS sous biothérapie
Si les CSI actifs sur le contrôle de l’asthme n’influent pas sur la fonction respiratoire, qu’en est-il des biothérapies avec une AMM dans l’asthme sévère de l’enfant disponibles depuis quelques années ?
L’omalizumab (anti-IgE) est la première arrivée sur le marché. On dispose de données sur son effet dans la vraie vie. Ainsi 104 enfants (âgés de 12 ans) avec un asthme très sévère (dont certains avaient des CO de façon prolongée), ont été mis sous omalizumab. Les auteurs ont observé une réduction spectaculaire du nombre d’exacerbations à 24 mois avec une amélioration rapide du VEMS qui s’est stabilisée(7). Ces bons résultats de l’omalizumab sur l’amélioration du VEMS chez les enfants avec un asthme sévère ont été confirmés dans étude rétrospective espagnole sur un suivi de 6 ans(8).
Troisième biothérapie à avoir eu une AMM dans l’asthme sévère de l’enfant, le dupilumab a lui aussi apporté la preuve de son efficacité dans l’amélioration du VEMS. L’analyse post-hoc de l’étude Voyage de phase 3, portant sur 350 enfants avec asthme éosinophilique associé ou non à une allergie (IgE totale > 30 kU/L, sensibilisation à au moins un allergène perannuel) et comparant le dupilumab à un placebo, a montré une amélioration rapide et durable du VEMS chez les enfants sous biothérapie par rapport au groupe contrôle ; le bénéfice était plus important chez les asthmatiques éosinophiliques allergiques que chez les non allergiques (minoritaire chez l’enfant)(9).
Le tézépélumab est le dernier à avoir eu l’AMM dans l’asthme sévère de l’enfant à partir de 12 ans. L’étude Navigator incluant plus de 1 000 asthmatiques sévères dont 82 enfants (41 sous tézépélumab vs 41 sous placebo), a mis en évidence une amélioration rapide et durable (pendant les 52 semaines de l’étude) du VEMS chez les jeunes patients sous biothérapie(10).
En revanche, l’étude MUPPITS2 qui a comparé le mépolizumab (deuxième biothérapie à avoir obtenu son AMM dans cette indication) au placebo chez des enfants âgés de 6 à 17 ans exacerbateurs fréquents avec un asthme éosinophilique, n’a pas retrouvé de différence concernant le VEMS entre les deux groupes à un an(11).
« Quoi qu’il en soit l’efficacité remarquable des biothérapies sur le contrôle de l’asthme sévère et potentiellement sur l’amélioration de la fonction respiratoire interroge sur leur capacité à changer l’histoire naturelle de la maladie », a noté le Dr Abou Taam.
Une étude en vie réelle utilisant les données du système national de santé portant sur près de 2 500 enfants (12 ans en moyenne) avec un asthme sévère traités par omalizumab pendant 4,5 ans a montré que 76 % des patients avaient un asthme contrôlé 1 an après l’arrêt du traitement, 44 % après 2 ans et 33 % après 3 ans(12).
« Avant l’ère des biothérapies, on disait « sévère un jour, sévère toujours » cela ne semble plus vrai, s’est réjouie le Dr Abou Taam ; encore faut-il ne pas perdre de vue les patients au moment de la transition à la médecine adulte. »
Les spécificités de l’enfant devenu adulte
« Comme chez l’enfant, la mesure du VEMS et sa réversibilité sont des éléments nécessaires au diagnostic de l’asthme chez l’adulte, a déclaré le Dr Amel Boudjemaa. Elle est également importante au cours du suivi, même si certains patients avec un asthme sévère gardent une fonction respiratoire normale. » En effet, le VEMS ne fait pas partie des critères retenus pour définir la gravité de l’asthme qui sont la pression thérapeutique nécessaire au contrôle et la fréquence des exacerbations.
Aussi ne faut-il pas attendre la baisse du VEMS pour poser un diagnostic d’asthme sévère. En revanche, un VEMS diminué est un critère de gravité chez l’adulte comme chez l’enfant. Le contrôle clinique et la réduction des exacerbations sont les principales cibles des traitements, certains améliorent aussi le VEMS, d’autres non. « D’une façon générale, le VEMS répond mieux aux traitements chez l’enfant que chez l’adulte », a ajouté le Dr Amel Boudjemaa.
Une métanalyse a recensé les facteurs de persistance de l’asthme de l’enfance à l’âge adulte. Ce sont : une atopie familiale, une polysensibilisation et des comorbidités allergiques, des infections pulmonaires (d’où importance de la vaccination contre le pneumocoque, la grippe et la Covid), le degré d’hyperréactivité bronchique et d’obstruction, un tabagisme (y compris la cigarette électronique et le cannabis), le sexe féminin et le mauvais contrôle des symptômes et des exacerbations(13).
« Réussir la transition vers la médecine adulte sera d’autant plus primordial chez les jeunes présentant un ou plusieurs de ces facteurs », a estimé le Dr boudjemaa.
« Le risque de rupture de suivi est bien réel, a confirmé le Dr Abou Taam. Malheureusement, il n’est pas exceptionnel de retrouver nos adolescents, des années plus tard à l’hôpital avec un asthme sévère non contrôlé. Un courrier d’adressage à notre confrère pneumologue ne suffit pas. Il faut un contact direct entre pédiatre, pneumologue adulte et jeune patient afin de consolider cette phase charnière. »
Se préparer à la transition pour la réussir
Pour sa part, le pneumologue adulte doit être conscient des spécificités liées à l’adolescence : mal-être, conduites à risque, opposition envers les adultes (parents/médecin), déni de la maladie et non-observance (pas toujours avouée), manque de connaissances sur la maladie, l’utilité à court et long terme du traitement, etc.
« Se retrouver dans une salle d’attente avec des patients beaucoup plus âgés et souvent bien plus malades que lui (par exemple sous oxygène) peut être un vrai traumatisme pour le jeune », a noté le Dr Boudjemaa.
La (ou les) première(s) consultation(s) doit (doivent) être longues. Le médecin doit manifester de l’empathie, se montrer souple et ne pas culpabiliser le jeune patient. Il peut utiliser les loisirs ou le sport pour convaincre l’adolescent de l’intérêt de la prise en charge. Et surtout, il ne doit jamais changer l’ordonnance du pédiatre à la 1re consultation.
La réussite de la transition ne tient pas qu’à l’attitude du spécialiste de la médecine adulte, elle dépend grandement aussi de sa préparation alors que le jeune est encore suivi en pédiatrie. L’implication et la préparation des parents sont également nécessaires(14).
Au début de la transition, parfois le jeune peut retourner voir son pédiatre entre deux consultations adultes. Cela implique une bonne entente et une bonne coordination entre les deux services.
La question de l’orientation professionnelle est très importante à aborder tôt et à plusieurs reprises, d’abord avec le pédiatre puis avec le pneumologue. « Il faut informer le jeune asthmatique des métiers à risque pour lui, a déclaré le Dr Abou Taam. Il faut aussi tout au long du suivi lutter contre le risque de désinsertion scolaire et encourager le patient à suivre des études suffisamment longues pour lui donner ensuite le choix de son orientation. Pour préserver son avenir, il importe aussi de veiller à limiter au maximum les effets secondaires des traitements, en premier lieu des corticoïdes. Il faut bien connaître les doses préconisées en fonction de l’âge. Les CSI à doses fortes peuvent avoir un retentissement sur la croissance. Il faut savoir diminuer les doses si l’asthme est bien contrôlé ou discuter de l’indication d’une biothérapie quand il est mal contrôlé ou quand de fortes doses sont nécessaires. »
D’après l’émission « Asthme sévère, la fonction respiratoire à travers les âges », organisée par OPA Pratique, modérée par le Dr Olivier Chabot et à laquelle ont participé le Dr Rola Abou Taam (pneumo-pédiatre, Necker-Enfants malades, Paris) et le Dr Amel Boudjemaa (CHIC, Créteil)
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