Publié le 30 oct 2024Lecture 11 min
Quand et pourquoi « doser » les basophiles ?
Pascale NICAISE-ROLAND1*, Nicolas CHARLES2*, Paris
Les polynucléaires basophiles sont présents principalement dans le sang ou ils représentent moins de 1 % des leucocytes sanguins. Du fait de leur rareté et de certaines similitudes avec les mastocytes, ils ont longtemps été peu étudiés. Plus récemment, l’étude de leurs fonctions et des mécanismes de leur activation a permis de définir leur place pour le diagnostic et le suivi de certaines pathologies.
DESCRIPTION DES POLYNUCLÉAIRES BASOPHILES
Ce sont des cellules de la lignée myéloïde de l’immunité innée issues de la différenciation de cellules-souches hématopoïétiques CD34+ dans la moelle osseuse. Ils arrivent déjà matures dans le sang périphérique où leur durée de vie est courte. Ils sont capables d’être recrutés dans les ganglions lymphatiques et la rate ainsi que dans différents sites inflammatoires après exposition à des allergènes ou des pathogènes. L’interleukine 3 est leur facteur de croissance et de différenciation principal. La TSLP (Thymic Stromal Lymphopoietin) sécrétée par les cellules endothéliales est également un facteur de différenciation et d’activation essentiel pour les basophiles(1).
Les basophiles sont des cellules de petite taille (7-12 µm) avec un noyau multilobé et de nombreux granules dits métachromatiques ce qui permet leur identification lors de la réalisation de frottis sanguin par coloration au May Grumwald Giemsa (photo 1). Les marqueurs de surface principaux permettant leur identification par cytométrie de flux sont le CD123, CD203c, CCR3 ou le CRTH2 (Chemoattractant Receptor Homologous Molecule Expressed on Th2 Cells).
Image d’un polynucléaire basophile.
QUE CONSIDÉRER COMME VALEURS PATHOLOGIQUES DES BASOPHILES ?
La basophilie est définie comme l’augmentation du nombre de basophiles circulants au-delà des valeurs dites normales. Ainsi on parle de basophilie si les basophiles sanguins sont > 0,1 Giga/L de sang et d’hyperbasophilie si les basophiles circulants sont > 1,0 Giga/L.
Le décompte des basophiles par certains automates peut parfois être faussé et une fausse augmentation des basophiles peut être observée en présence de cellules lymphomateuses, de blastes, de lymphocytes activés, de plasmocytes, de neutrophiles ou monocytes géants des myélodysplasies, ou si le sang a été conservé plus de 24 heures. Ainsi, toute basophilie fournie par un automate doit être vérifiée par décompte manuel sur frottis sanguin coloré au May-Grunwald Giemsa.
La basopénie est plus difficile à évaluer, le chiffre de basophiles étant physiologiquement bas et on pourra avoir recours à une quantification par cytométrie en flux(2).
BASOPHILES ET MALADIES INFLAMMATOIRES ALLERGIQUES
L’implication des basophiles dans les maladies inflammatoires allergiques est principalement due à leur habilité à reconnaître et lier les IgE via leur récepteur de haute affinité sous forme complète, le FcεRI. L’agrégation des FcεRI liés aux IgE spécifiques par l’antigène correspondant, induit une cascade de signaux entraînant l’activation et la dégranulation cellulaire dès les premières minutes avec libération d’histamine et de protéases et ensuite la synthèse de novo de médiateurs lipides à type de leucotriènes LTB4 et LTC4, de prostagladines PGD2 et PGE2, de cytokines (IL-4, IL13, IL-6). L’IL-4 et l’IL-13 sécrétées vont déclencher une réponse de type Th2 initiant la production d’IgE par les lymphocytes B. Par ailleurs, les basophiles expriment à leur surface des récepteurs différents du FcεRI, qui peuvent être activés par leurs ligands spécifiques et ainsi conduire aussi à une libération de médiateurs pro-inflammatoires.
Ce phénomène est accompagné de l’apparition de l’expression du marqueur d’activation et de dégranulation CD63 et de l’augmentation d’expression du CD203c déjà exprimé faiblement à la surface des basophiles(3). Ceci a permis de développer des tests explorant l’activation des basophiles ex vivo en présence de l’allergène en complément des tests classiques d’exploration de l’allergie, en particulier pour les anaphylaxies aux médicaments, venins d’hyménoptères et aliments(3,4).
Les causes de basophilie transitoire concernent les maladies de type allergique incluant l’anaphylaxie, la rhinite allergique et l’asthme(5,6).
Cependant dans les 4 à 20 heures de la phase aiguë de l’anaphylaxie, on peut observer une basopénie par recrutement des basophiles au site de l’inflammation ou par dégranulation de ces derniers suite à leur activation. Les basophiles concourraient ainsi à la réémergence des symptômes en produisant entre autres des cytokines comme l’lL-4 et l’IL-13, et contribueraient au recrutement des cellules de la phase tardive comme les polynucléaires éosinophiles et neutrophiles. Dans les chocs liés aux venins d’hyménoptères et à l’arachide, la basopénie serait d’ailleurs mieux corrélée à la sévérité du choc que la tryptase(7). De même, il est de plus en plus admis que le test d’activation des basophiles corrèle avec la sévérité des symptômes(8). Les basophiles libèrent également du PAF (Platelet Activating Factor) à l’origine de la bronchoconstriction et de la vasodilatation observées et sa concentration sérique est corrélée à la gravité de l’anaphylaxie(9). Les basophiles contribuent également à l’anaphylaxie et sont non IgE-dépendants puisqu’ils expriment des récepteurs aux anaphylatoxines C5a et C3a pouvant induire également une dégranulation des cellules concourant à la basopénie observée (figure 1).
Figure 1. Mécanismes impliqués dans l’anaphylaxie.
À l’inverse, l’augmentation des basophiles serait corrélée à l’intensité des symptômes de la rhinite allergique(6). Dans certaines formes d’allergie aux herbacées, les basophiles seraient augmentés pendant la période pollinique et plus proches des valeurs usuelles quand l’allergie est contrôlée, ce qui pourrait constituer un élément de suivi du contrôle de la maladie. Il semble en revanche un mauvais marqueur prédictif d’allergie après 18 mois chez le nouveau-né(10).
L’association du nombre de basophiles au contrôle et à la sévérité de la maladie allergique est donc variable selon le type d’allergie.
AUTRES CAUSES DE BASOPHILIE RÉACTIONNELLE
Les basophiles sont dotés de récepteurs Toll Like leur conférant une habilité de reconnaissance de pathogènes incluant les bactéries, virus et champignons. La stimulation de TLR2, TLR4 ou TLR5 par du peptidoglycane, du lipopolysaccharide ou de la flagelline respectivement, active les mastocytes et les basophiles entraînant la sécrétion de molécules inflammatoires, de tryptase ou d’histamine(11).
L’IL-3 favorise le recrutement des basophiles dans les ganglions et les tissus périphériques et induit leur survie et expansion en réponse à l’infection. Le basophile est ainsi capable de répondre à une grande variété de pathogènes en libérant des cytokines indépendamment de la spécificité antigénique. Ces différents pathogènes activeraient directement le polynucléaire basophile via une liaison au FcεRI induisant une dégranulation indépendante des IgE avec production d’IL-4, IL-13 et une libération d’histamine.
Lors d’une réinfection, les basophiles sont rapidement activés par les IgE pour déclencher une réponse Th2 qui permet d’éliminer le parasite. Le basophile joue donc un rôle protecteur au cours des infections, cependant, l’intérêt de mesurer le nombre de basophiles dans ces infections n’a pas été démontrée car la basophilie n’est pas constante(12).
De même, une basophilie réactionnelle a été observée chez des sujets ayant un déficit en fer, chez des sujets diabétiques ou cirrhotiques mais l’intérêt en clinique de suivre l’évolution des basophiles reste à prouver(2).
BASOPHILES ET HÉMOPATHIES MALIGNES
Leucémie myéloïde chronique (LMC)
Une basophilie persistante confirmée sur frottis sanguin sans indication de contexte réactionnel conduit à la recherche d’une leucémie myéloïde chronique (LMC). L’augmentation des basophiles dans le sang circulant est l’anomalie la plus commune de la LMC et un nombre de basophiles > 1 Giga/L est très évocateur d’une LMC. La basophilie peut être une découverte fortuite lors d’une numération, peut être isolée, voire être la seule anomalie pendant plusieurs mois. Elle peut également être associée à une éosinophilie, une thrombocytose ou une leucocytose liée à un nombre de neutrophiles matures ou immatures.
La LMC est un syndrome myéloprolifératif associé à la présence du gène de fusion BCR-ABL1 résultant d’une translocation réciproque t(9;22) ou chromosome Philadelphie. Elle évolue de la phase chronique à la phase d’acutisation. Détecter la maladie précocement sur la base d’une numération montrant une hyperbasophilie est d’autant plus crucial que le traitement ciblé actuel à base d’inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) comme l’imatinib a radicalement changé le pronostic de la LMC avec un taux de survie à 10 ans de 80 à 90 %(10).
L’augmentation des basophiles dans le sang périphérique est aussi un critère de sévérité, et le compte des basophiles est inclus dans le score pronostique(13). En effet, les polynucléaires sont une source majeure d’HGF, facteur proangiogénique associé à la progression de la maladie(14). Un pourcentage de basophiles supérieur à 20 % a été ainsi défini comme un critère de la phase de LMC accélérée.
Les basophiles peuvent être assez immatures et parfois hypogranulés chez les patients avec LMC, et sont donc parfois difficiles à reconnaître et à dénombrer en microscopie conventionnelle. Par conséquent, des marqueurs des basophiles ont été proposés comme l’histamine, qui n’est pas exprimée par les autres leucocytes circulants, la tryptase sécrétée par les basophiles immatures, des antigènes de surface détectables par cytométrie en flux comme le CD203c exprimé par les basophiles matures et immatures ou des marquages par immunohistochimie(14). Ainsi, la tryptase est un meilleur marqueur pronostique que le nombre de basophiles Enfin, la tryptase et l’histamine peuvent être mesurées pendant le suivi des patients traités et servir de marqueur fiable d’une réponse aux ITK ciblant BCR-ABL1(15).
Autres hémopathies malignes
Si le diagnostic de LMC n’est pas retenu, il faudra alors rechercher d’autres causes à la basophilie comme d’autres syndromes myéloprolifératifs (myélofibrose primitive, polyglobulie vraie ou thrombocytémie essentielle) ou des syndromes myélodysplasiques. L’augmentation des basophiles a été montrée comme associée à une survie globale réduite dans ces cas d’hémopathies(16). Cependant le nombre de basophiles reste inférieur à 1 Giga /L par rapport à la LMC.
Une basophilie associée à un pourcentage de cellules blastiques d’au moins 20 % dans le sang ou la moelle osseuse doit faire évoquer une acutisation de LMC, une leucémie aiguë myéloïde (LAM) ou une leucémie aiguë à basophiles très rare.
Dans la leucémie aiguë à basophiles comme dans la leucémie chronique à basophiles, on observe au moins 40 % de basophiles dans le sang ou la moelle osseuse associés à la présence d’au moins 20 % de myéloblastes + blastes métachromatiques dans la moelle pour la forme aiguë. Cette dernière peut être primaire ou secondaire à une hémopathie myéloïde sous-jacente, en particulier une LMC ou une LAM accompagnée de basophilie. Dans ces pathologies, il existe parfois des symptômes liés à l’augmentation importante de l’histamine, tels que des ulcères gastro-duodénaux, des éruptions cutanées, ou de la diarrhée(17).
BASOPHILES ET MALADIES AUTO-IMMUNES
Les maladies auto-immunes (MAI) ont des mécanismes pathogéniques liés à la présence d’anticorps reconnaissant des antigènes du soi ou autoanticorps. La régulation de la production de ces autoanticorps est centrale dans les cycles poussées/rémissions de ces MAI, et nombre d’entre elles voient d’ailleurs un ciblage des lymphocytes B (responsables de la production d’autoanticorps) par les immunothérapies récemment développées (rituximab, bélimumab…)(18). Le lupus érythémateux systémique est une MAI lors de laquelle les patients développent des autoanticorps dirigés contre des antigènes nucléaires dont l’ADN double brin et les ribonucléoprotéines. Au cours de la pathologie, les basophiles sont activés sans dégranuler par différents mécanismes, dont les IgE autoréactives au sein des complexes immuns circulants (CIC) et sécrètent de la PGD2 et de l’IL-3. Ces activations combinées mènent à l’extravasation des basophiles vers les organes lymphoïdes secondaires, rate et ganglions lymphatiques où ces cellules vont interagir avec les lymphocytes T auxiliaires folliculaires et les lymphocytes B et amplifier ainsi la production d’autoanticorps(19). Cette accumulation des basophiles dans les organes lymphoïdes secondaires se traduit par une basopénie périphérique marquée et indépendante des traitements. De manière intéressante, cette basopénie est corrélée avec l’activité de la maladie au même titre que les concentrations d’IgE autoréactives. La quantification des basophiles dans ce contexte donne donc une indication sur l’activité de la maladie.
Même si moins d’études sont disponibles, d’autres MAI à autoanticorps ont été associées à une basopénie. Les patients atteints du syndrome de Sharp (aussi appelée mixed connective tissue disease ou MCTD) voient leurs basophiles périphériques moins nombreux et plus activés de manière similaire à ce qui est observé dans le lupus(20). Sans être étudiée en particulier, une basopénie a également été décrite dans d’autres MAI rhumatologiques (polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Gougerot-Sjögren, sclérodermie, polymyosite/dermatomyosite, spondylarthrite ankylosante)(21).
Au cours du type IIb de l’urticaire chronique spontanée (UCS) associé à des MAI comme les thyroïdites auto-immunes, on observe également une basopénie (< 0,01 Giga/L) qui correspond au recrutement des basophiles activés, via les IgE et le FcεR, dans les lésions cutanées, associée à une éosinopénie et à des IgE totales basses(22). La forme IIb est plus sévère, associée à une mauvaise réponse aux antihistaminiques et à l’omalizumab mais a une bonne réponse à la ciclosporine. La mesure des basophiles pourrait donc être importante pour la prise en charge de ce type d’UCS(23).
CONCLUSION
La mesure des basophiles permet de rechercher une basophilie qui :
– si elle est transitoire et modérée se rencontre principalement dans les allergies et infections ;
– si elle est permanente doit faire suspecter une hémopathie maligne et en premier lieu une LMC (figure 2).
Une basopénie, plus difficile à évaluer, peut s’expliquer par un recrutement des basophiles vers les ganglions et sites inflammatoires comme observé à la phase aiguë de l’anaphylaxie ou dans les MAI, en rapport avec la sévérité et/ou l’activité de la maladie.
Figure 2. Interprétation d’une basophilie.
* 1 Service d’immunologie biologique, Hôpital Bichat, AP-HP, Paris ; Université Paris Cité, Inserm, PHERE, Paris
2 Centre de recherche sur l’inflammation, Inserm UMR1149, CNRS ERL8252, Université Paris Cité, Laboratoire d’Excellence Inflamex, Paris
Conflits d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt en rapport avec cet article.
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